mardi 6 mars 2012

Adieu à Arthénice


Ce texte avait été lu aux funérailles de Mathilde.

Pour changer un peu des trucs tragiques, j’avais écrit un petit refrain pour toi :

Je voudrais que la marchande me dise bonne semaine Simone
Ou bien qu’elle me dise : tout de même quel bel automne
Je voudrais aussi qu’elle me dise bonne année René
Mais la marchande me dit toujours bonne journée.


Ce refrain reste suspendu dans l’air, comme la pièce de théâtre que nous allions créer, Traces de Khôl. Nous étions tellement heureux d’imaginer tes copines comédiennes, Léa, Lucie, Morwenna dans leurs différents rôles.

Tu avais peur que j’aie peur. J’avais peur que tu voies que j’avais peur.

Je n’ai même pas eu le temps d’encadrer l’affiche des Parapluies de Cherbourg offerte à Noël.

Tu m’a démontré que Benjamin Biolay est un vrai chanteur.

Tu ne croyais pas à la mort, puisque tu étais la musique et la grâce dans leur pureté intense. Mais le mélanome n’est pas mélomane.

A l’Hôtel-Dieu, tu as fait le mur en pyjama avec ta voisine de chambre (pompe à morphine sous le bras), pour aller au concert.

Tu taquinais les chirurgiens sur l'imprécision de leur vocabulaire, quand ils disaient : « tu branches ce truc-là sur ce machin ».

Tu avais une conversation délicieuse.
Tu disais des choses marrantes, touchantes, comme :
« Est-ce que les neurochirurgiens, quand ils font leur footing, se racontent des histoires de cerveau ?»
« Mes parents, vous êtes mes meilleurs amis » ;
« Il y a dans la nature humaine quelque chose qui fait qu’on espère toujours » ;
« pour certaines personnes, le cancer est la chance de leur vie » ;
« je prépare ma légende » ;
« 25 ans de bonne santé, c’est pas mal déjà » ;
« C’est sûr maintenant, juillet n’est pas un mois comme les autres » ;
« je me sens pleine de patience et d’amour, je me sens comme mère Térésa » ;
« Je vais prier. Pour moi. On ne sait jamais »


Ton côté grande marquise, tenant salon dans le hall de l’hôpital, comme l’impératrice Plotine. Tu m'as piqué le portrait de Madame Récamier. Tu m’as aussi piqué une diapositive, pour en faire ta première chanson.

Je me souviens de ton sommeil paisible dans le jardin, avec la nature qui t’entoure, te protège de toutes ses forces, comme un paravent d’oiseaux, un bouclier de fleurs, une barrière de parfums.

"Ce qui est fascinant, c’est la dernière fois. Saurons-nous quand nous serons pris en photo pour la dernière fois ? Le savons-nous quand nous voyons une personne pour la dernière fois ? La dernière phrase d’un livre a plus d’importance que la dernière".

Ta réponse à la maladie fut la couleur rose, le rose Jacques Demy.
Rose la robe de chambre,
rose le turban,
rose, les langoustines,
rose, le rosé.
Rose, ta belle robe de scène cop. Copine dont tu étais si fière et qui est aujourd’hui ta dernière robe.

Adieu ma fille adorée, toi qui ne croyais pas en la mort.
Tu nous as tant donné que nous ne manquerons de rien pour poursuivre le chemin, sans toi mais avec toi.

Sache aussi que ton frère Louis est beau et fort dans l’épreuve. Il a posé sa tête sur mon épaule, a versé ses larmes et s’est redressé comme un vrai samouraï.
Il t’admirait en silence.

Adieu ma jolie Arthénice.
Tu étais aussi ma meilleure amie.

Les citations de la co-location





Mathilde et Léa ("Simone et Bertille", sur la sonnette d'entrée) louaient un appartement des plus demyesques, rue Rosière d'Artois à Nantes. Mathilde notait sur sa page Facebook quelques moments de fou-rire partagé avec sa chère et fidèle complice.
"-j'aimerai bien avoir un groupe!
-mais on est un groupe! A partir de deux ça fait un groupe"

"On est chianteuse alcolloc!"

"Tinquiète, la pièce va marcher, et puis c'est sans compter le bouche à bouche."

"elle sortait avec un mec qui mixait tu vois, un mixeur"

"j'me souviens même plus de la dernière fois que j'ai eu un trou noir..."

" ça commence à me pomper la ciboulette"

"- léa tu veux pas qu'on achète un porte vaisselle?
- non
- pourquoi?
- par gout du risque"

"- Léa, je crois qu'on est en plein déclin...
- qui ça? nous deux ou le monde en général?
- nous en général"

"on rigole tellement... je comprend pas pourquoi on a pas + d'abdos"

-il paraît qu'un p'tit verre de vin par jour c'est bon pour la santé.
-Ben nous on a notre quota pour la vie je crois.

-moi je veux pas d'un mec branché, je veux un plouc, un has been qui aime Michel Berger et Michel Legrand!

À propos de moi :
"on est jamais si heureux ni si malheureux qu'on imagine"
Livres préférés :
Mai 69 de Daniel Morvan
Maximes de La Rochefoucaud
Platonov de Tchekhov

à ma fille








Très chère Mathilde,

Je ne sais pas grand chose de toi. Comme tant d’événements qui te font désormais une légende, tu es entrée dans ma vie un matin de juillet dernier. Ton père avait lu un livre que je faisais paraître. Nous avons correspondu. Il m’a parlé de toi. Je me souviens que j’étais à la campagne. C’était le matin. La fenêtre de ma chambre était grande ouverte. Le soleil était éclatant, et l’odeur du bois en dessous presque étourdissante. Tu portais le prénom que j’avais donné à l’héroïne d’un livre après lequel je n’avais plus écrit pendant dix ans. Tu aimais La Rochefoucauld et la musique que j’aime tant, l’un et l’autre. Tu avais un amoureux. Tu composais des chansons. Ta vie était toute rayonnante, et menacée. Ton père et moi, nous t’avons nommée la belle Arthénice, comme les nymphes et les dames du Grand Siècle qui tenaient salon, qui voulaient que l’esprit et la beauté fussent une loi du monde. Je ne crois pas qu’il y ait un jour depuis ce matin de juillet où je n’ai pas pensé à toi. J’ai admiré ta force, ta grâce imparable, cette extraordinaire négation du laid, de la mort, de la tristesse, dont tu devenais de plus en plus l’image, comme le laid, la tristesse et la mort auraient voulu avoir raison de toi. Comme j’aime cette photo où tu enregistres ton disque et où tu poses sur celui qui te photographie ton regard clair de très jeune femme que rien ne brisera. J’ai redouté le combat que tu menais. Ton père m’a dit que tu ne croyais pas à la mort. Comment aurais-tu pu ? Tu voulais et tu incarnes de la vie chacune de ces beautés improbables qui ne sont pas la mort.

Tous les matins du monde sont sans retour, Mathilde, et un matin de janvier t’a emportée. Je ne t’ai jamais rencontrée. Nous n’avons pas eu le temps. J’ai entendu ta voix et je l’écoute encore en t’écrivant. J’avais pensé que je t’écrirais une chanson. Les matins du monde sont sans retour : ta voix ne s’emparera pas de mots que j’aurais inventés pour elle. Mais ta voix demeure, et ce que ton regard clair dit. Tu me manques déjà. Comme tu dois manquer à tes parents, à ta sœur, à ton frère, à tes amis, à ceux que tu aimais. Comme je songe à vous, mes amis, ce matin, et comme votre peine demeurera la mienne. Belle Arthénice, tu as jusqu’au bout envoyé promener toutes les ténèbres et la laideur que nous laissons si souvent s’insinuer en nous. C’est à nous maintenant de te faire vivre encore et longtemps. Nous souvenir de toi, ce n’est rien. Nous allons essayer d’être dignes de toi. Nous allons mettre des mois de juillet partout, et ta voix, et la musique qui faisait de toi une princesse, et ton rire, et ton ironie, ta douceur, cette façon de ne pas s’en laisser compter par ce qui voudrait nous grignoter et nous faire peur, nous tenterons d’en remplir nos jours. Voilà, ce matin, parce que ta voix résonne en nous, mais que tu n’es plus tout à fait là, parce que tu avais vingt-cinq ans, parce que tu aurais tenu salon et enchanté les tiens longtemps sans un matin de janvier, nous nous moquerons des matins qui ne reviennent pas. Nous allons vivre pour l’éternité du soleil, pour une jeune femme qui croise les jambes sur une bergère au milieu des gravats, qui hausse à ses lèvres une tasse de thé en souriant, qui est la vie. Ta vie trop courte, belle Arthénice, nous allons essayer de la rendre longue, très longue.

Message de Laurence, lu aux funérailles de Mathilde

Dominique A: Les treize titres de "Vers les lueurs" (album 2012)



Voix haut perché, mode sombre et tendu, exigence littéraire dans le droit fil de Manset, Murat : le Dominique A de 2012 est un bon cru - un quintette à vents ajoutant une tonalité boisée et baroque aux sons électriques. Le chanteur commente ses nouvelles chansons, titre par titre.
1 : Contre un arbre. « Oublie la ville : Une vraie déclaration d’intention en début d’album. Guitares électriques, hautbois et basson sont associés comme dans tout le disque, enregistré en son « direct ». Dans la vie, le Nantais Dominique A n’oublie pas sa ville : « je ne me réinstalle pas à Nantes, mais j’ai envie d’être là. Je me sens apaisé et serein, ici. » Avec vue sur la Loire.
2 : Rendez-nous la lumière. « Une chanson lyrique, voire pompière, pour dire les regrets de l’homme d’avoir saccagé son univers. » Le premier single du 9e album.
3 : Ostinato. « Des bruits de verre, un enfant qu’on entend pleurer dans une maison. Un titre marqué par mon obsession de la fuite. »
4 : Parce que tu étais là. « Une mélodie d’amour boisée, inspirée d’un roman où j’ai trouvé cette idée : Au-delà de tout romantisme, le fond de l’affaire tient à ce constat objectif : je suis venu vers toi parce que tu étais là. »
5 : Parfois j’entends des cris. « J’ai pensé au travail jazzy de Comme à la radio, de Brigitte Fontaine. C’est le morceau de bravoure scénique du disque. »
6 : Close West. « Cette chanson évoque mon ouest proche, celui de Beslé-sur-Vilaine, près de Massérac et Guipry. J’y ai toujours une maison de famille. C’est un lieu d’enfance lointain et proche, à cheval entre les deux départements. Quand je passe en train, si j’oublie de regarder la Vilaine, j’ai l’impression d’avoir raté mon voyage. »
7 : Loin du soleil. « C’est mon Enfant du Pirée [la chanson de Dalida] à moi ! J’ai voulu une chanson chaloupée et suave. Elle raconte un désir de douceur. J’aime les deux, le côté à vif du rock et la nonchalance jazzy, avec (comme tout l’album) un son live, travaillé en résidence à Fouesnant. »
8 : Quelques lumières. « Parmi la vingtaine de chansons de départ, cette chanson pop a d’abord été écartée. On me disait qu’elle méritait d’être sur le disque : il y avait quelque chose à faire. Ce n’est pas toujours le cas. J’ai voulu faire une reprise de Ma jeunesse enfuie, d’Yves Simon. David Euverte (arrangeur) m’a dit : je ne peux rien faire pour celle-là. »
9 : Vers le bleu. « Une histoire de mauvais garçon. Elle ne parle pas de mon frère, je suis fils unique. Je ne sais pas d’où ça vient. D’un roman de Dominique Fabre. Cette chanson est une petite nouvelle. En répétitions, elle est partie vers un son très « Motown ». J’aime bien ce côté sucré-salé de la pop, une histoire sombre sur une musique gaie. Ce n’est pas ma préférée… Pourtant, elle sera sans doute un single ! »
10 : La Possession. « C’est le nom d’une localité de la Réunion. Cette chanson assemble des images éparses sur une pulsation afrobeat, avec les arrangements à la Ravel de David Euverte. »
11 : Ce geste absent. « Un slow classique à la Christophe. »
12 : Le Convoi. « Quatre accords en boucle, des images de jungle birmane, une envolée d’instruments. »
13 : Par les lueurs. « Les trois dernières chansons du disque, comme celle-ci, sont des boucles de quatre accords non-évolutives. Celle-ci collecte une série de flashs sur l’envie d’être traversé par des euphories, des bonheurs impalpables. »
Daniel Morvan
Vers les lueurs, sortie le 26 mars 2012. Dominique A en concert au Lieu Unique (Nantes), jeudi 12 avril à 20 h 30 (18 €/25 €). Avec en première partie, « La Fossette » (premier album du chanteur) en live. Réservation : tél. 02 40 12 14 34.