lundi 16 mars 2015

Lucia Antonia, funambule: "une dinguerie de sable blond, d'oiseaux et de cirques"

© Bernard Galeron


Voici un roman atypique que nous offrent à lire les éditions Zulma en cette rentrée littéraire 2013 arpentée par le bruit des canons. Délicat, déconnecté du chaos, entre terre et mer, entre songe et oubli, Lucia Antonia, funambule est un roman perché, à contretemps, empreint d’une dinguerie joliment surannée faite de sable blond, d’oiseaux des marais et de cirques de province.
« Lucia Antonia », narratrice de son état, est une funambule. Sur le fil de l’existence, elle ondule, basculant d’une rive à l’autre. A ses côtés Arthénice, sa  romanesque jumelle de funambulisme prenant la pose pour des peintres égarés dans des moulins sans âge. Puis, un jour, la chute, le vide. Arthénice s’éclipse du monde des vivants pour le hanter de sa grâce. Endeuillée de cette lumière gémellaire, de son déséquilibre dans l’équilibre, Lucia Antonia s’exile sur une presqu’île sauvage où s’orchestre l’amertume de la réminiscence. Terre saline que foulent des réfugiés à peau sombre. Recommencer ailleurs, se perdre parmi l’indolence des herbes folles. Suspendue au vide, Lucia Antonia se souvient des jours heureux. En guise d’exorcisme, quelques mots croqués sur un carnet, ça et là. Pour que le deuil ne soit pas que cette urne de cendres éparpillées par le vent. Au creux d’un paysage d’une sensuelle hostilité, des rencontres, des mains inconnues pour renouer, un nez rouge sur le visage d’un clown du passé, des femmes toujours là, tisseuses du présent.
Dans ce climat propice à la contemplation à mi-chemin entre les rêveries de Fournier ou mieux encore celles plus vénéneuses de Nerval, Daniel Morvan déploie tout en discrétion et sans pathos le cheminement du deuil et l’infinie douleur de l’absence. Ce saut de l’ange sans filets que seuls les esthètes cisèlent telle une dentelle noire dont la trame vous poursuit longtemps. Obsédante de raffinement.
Un court roman revêtant avec classe ses habits du dimanche, sans tambours ni trompettes. Une invitation à la mélancolie aussi légère que la vie est grave. Simplement beau.

Astrid MANFREDI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire