mardi 24 mai 2016

Mai 69

Après Miss Bella Donna et La Fille du sorbier, vous venez de publier Mai 69, votre troisième roman, aux éditions du Temps (2009).
C'est LE livre que je voulais écrire. Mes deux premiers ouvrages étaient une sorte d'apprentissage à l'écriture. Celui-là, je l'avais en tête depuis des années. Il est dédié à ma mère qui est décédée à 53 ans. Je lui avais fait la promesse de devenir un écrivain du peuple, comme le Finistérien Per-Jakez Hélias ou le Briochin Louis Guilloux.


L'histoire de Tristan, c'est un peu la vôtre ?
Oui, il y a des similitudes. C'est l'histoire d'un gamin, fils de paysans, qui est le témoin d'une collision inouïe entre deux mondes : d'un côté, l'intelligentsia parisienne qui vénère Mao et qui veut aller sur le terrain, en Bretagne, pour se frotter aux réalités quotidiennes du peuple. De l'autre, une paysannerie elle-même en pleine révolution. Mais c'est aussi l'histoire d'un adolescent des campagnes reculées qui découvre l'amour avec Judith, une jeune Parisienne. Ou encore l'histoire de la langue bretonne qui recule face au français et à l'anglais. Du modernisme qui pénètre dans le Far-West breton...


Ce n'est pas un livre de « rétro pleurnichage » ?
Absolument pas. Ce n'est pas non plus un livre sur les paysans. Mais c'est un livre qui raconte les paysans à une période charnière, où ils s'ouvrent sur le monde. Comme je l'écris quelque part, je ne fabrique pas du pittoresque. C'est un roman qui se déroule en mai 69, un an tout juste après l'autre mai, en Bretagne.


La partie la plus originale de votre livre raconte cette découverte du monde rural par les militants maoïstes en 1969. Pour évoquer cette période, vous avez beaucoup travaillé les archives ?
J'ai fait une enquête de terrain sans tomber dans le reportage pur et dur. J'ai rencontré des auteurs comme Jean Claude Pinson (Drapeau rouge) qui ont vécu cette période. J'ai enregistré le témoignage de mon père qui les a accueillis. J'ai lu quelques bouquins. Il a même fallu que je retrouve un Larousse de l'époque où Mao n'était encore qu'un simple philosophe.


La couverture du livre est très originale... Elle fait penser à une œuvre d'Andy Warhol...
Avec l'équipe des éditions du Temps, on a travaillé sur l'habillage du livre. Le format est original. On a mis quatre projets de couverture sur Facebook. Une trentaine de personnes ont été consultées : des graphistes, des artistes, des écrivains, des journalistes... Et c'est après cette consultation que nous avons choisi Le ramassage des pommes de terre, une illustration des peintres finistériens du Hangar't.


Une nouvelle façon de travailler pour un écrivain ?
Mai 69 est un véritable travail d'équipe. Avec les éditions du Temps, j'ai découvert d'autres facettes du métier d'écrivain. Tout ce qui touche à la diffusion. J'ai notamment rencontré le représentant des éditions du Seuil qui diffusera mon livre à Paris. Il est pointu au niveau commercial. Mais, à ma grande surprise, il pourrait aussi parler littérature sur France culture.
Recueilli par Joël Bigorgne
Mai 69, éditions du Temps, 207 pages, 13€.

Svadba, veille de noces au village universel



Sept moments de la vie d’une future mariée aux joues roses, entourée de ses amies. Pas de place pour autre chose que la grâce pure dans ces cinquante minutes de chant a cappella : Svadba (mariage en serbe) est un opéra de chambre qui suit les étapes d’un « enterrement de vie de jeune fille ». Cet opéra sans instrument, créé en 2011 au Berkeley Street Theatre de Toronto, réunit les voix de six femmes qui chantent et dansent avec la future mariée. Entre tradition et avant-garde, Ana Sokolovic reconstitue en petits tableaux les épisodes de ces adieux joyeux (mais secrètement mélancoliques) aux comptines de l’enfance : bain, coloration des cheveux au henné, jeux et disputes des jeunes filles. Le naturel de ce conte d’une nuit d’été, porté par des textes dialectaux, est un vrai tour de force vocal, entre stridences et mélopées, lyrisme et danses sur des rythmes complexes.
Ana Sokolovic, compositrice serbe vivant au Canada, mêle les échos folkloriques des Balkans à ses propres inventions, comme dans la scène où deux camps s’affrontent en se lançant des lettres de l’alphabet comme des insultes. La tradition serbe est cependant tenue à distance, tant dans les danses que dans les mélodies : c’est une veille des noces au village universel, portée par des rythmes palpitants qui mènent Milica jusqu’au seuil de sa maison.
D. Morvan
Mardi 24 et mercredi 25 mai 2016 à 20 h au théâtre Graslin, Nantes.

Angers Nantes Opéra: Les abonnés paieront bientôt plus cher


L’adjoint à la culture de Nantes David Martineau annonce une nouvelle politique tarifaire : les abonnements sont un privilège qui se paie.

L’opéra passe pour une culture élitaire. Qu’envisagez-vous pour le démocratiser ?
Le budget de l’opéra est de 10 millions. Quand autant d’argent est engagé, on ne peut pas se satisfaire d’un public d’habitués « accaparant » cette manne. Comme le Grand T, qui va limiter l’accès des abonnés, nous allons changer de politique tarifaire : l’abonnement sera plus cher, car il sera considéré comme un privilège. Cela ne va pas se faire à la saison prochaine, mais fera partie du cahier des charges de la nouvelle direction de l’ANO, après le départ en retraite de Jean-Paul Davois.
L’opéra ne peut-il donc se financer seul ?
C’est une critique qu’on entend souvent à gauche : pourquoi subventionner l’opéra ? Mais sa billetterie ne couvre que 15 % du budget total. S’il coûte cher, c’est parce qu’il y a du monde sur scène. L’ANO est aussi le plus gros employeur culturel de la région après l’ONPL. Une grande métropole a besoin d’un opéra, elle doit à la fois diffuser le répertoire et développer des créations. Nous ne sacrifierons rien, qu’il s’agisse d’action culturelle, de coproductions, de créations, de spectacles hors les murs… Nous menons actuellement un audit pour nous assurer que la maison est en ordre de marche, afin de développer encore le second volet de notre action : l’ouverture à de nouveaux publics. Il faut cultiver la capacité de Graslin à surprendre, à conquérir des non-initiés, comme c’est le cas avec le spectacle Histoires sacrées.
Allez-vous obtenir le label d’opéra national ?
C’est un objectif, et l’ANO colle parfaitement aux critères. Encore faut-il que l’État suive. Or l’État ne verse que 1,17 million, soit le centième de ce qu’il accorde à l’opéra de Paris. Le sujet le plus important est d’être satisfaits de notre maison lyrique, et de bâtir un nouveau projet avec Angers, pour les dix prochaines années.

Angers Nantes Opéra, la saison 2016-2017 est avancée


Angers Nantes Opéra présente sa nouvelle saison 2016/17. S’y côtoient œuvres du répertoire, créations et spectacle jeune public.

« Angers Nantes Opéra est considéré comme le meilleur rapport qualité-prix des opéras nationaux », n’hésite pas à affirmer Jean-Paul Davois, directeur d’Angers Nantes Opéra (ANO). La « maison lyrique » de Nantes et Angers ne se contente pas d’accueillir des spectacles clefs en mains. C’est bien un lieu de création, d’approches nouvelles du répertoire : les succès récents de Don Giovanni et de Maria Republica l’ont montré au cours de la saison qui s’achève.
Jean-Paul Davois, qui prépare son départ fin 2017, s’attache chaque année à mettre en œuvre un service public de l’opéra, entre audace et formation des nouveaux spectateurs. La saison 2016-2017 s’engage sur une œuvre colossale, dans sa version de concert : Lohengrin. Un drame musical de quatre heures qui mettra en valeur l’orchestre régional, dirigé par Pascal Rophé, à la Cité des congrès.

Eloge de la contrainte créative

En septembre et octobre, la rentrée au théâtre Graslin permettra de découvrir une création nantaise, La guerre des théâtres. Ce texte de Françoise Rubellin, spécialiste du théâtre forain, raconte le conflit entre la Comédie française et les théâtres sur tréteaux, qu’elle voulait faire interdire. Ce qui suscita une floraison de contournements astucieux de la censure royale. Créée à l’Opéra comique de Paris, cette « guerre » est un éloge de la contrainte créative.
En octobre, Offenbach tient l’affiche, avec Orphée aux enfers. Une féerie en deux actes coproduite par les opéras de Nancy et de Montpellier. Le jeune public découvrira ensuite la version lyrique d’une bande dessinée fondatrice du début XXe siècle : Little Nemo, l’enfant rêveur, aux prises avec les terreurs nocturnes du monde de Slumberland.
« Le Little Nemo de David Chaillou est devenu adulte, raconte Jean-Paul Davois, et pratique l’évasion fiscale. C’est un opéra sur l’enfance perdue, qui montre au jeune public la réalité du monde où il va vivre. »



Retour de Mozart avec Les Noces de Figaro

Mars 2017, On retrouve le tandem des metteurs en scène Patrice Caurier et Moshe Leiser, pour une nouvelle production des Noces de Figaro, de Mozart. Jean-Paul Davois ne tarit pas d’éloges sur ces metteurs en scène, « sans doute parmi les cinq meilleurs metteurs en scène d’opéra au monde, qui ont réussi le tour de force d’être acclamés à la Scala de Milan, où l’on est plus souvent hué. »

Mozart a transformé la pièce à succès de Beaumarchais (Le mariage de Figaro) en opéra italien, sous la plume de Da Ponte. Succès européen immédiat, qui ouvrira la voie à Don Giovanni.
Et en clôture de saison, l’ANO inscrit une recréation d’un opéra d’Antoine Dauvergne, revu et recomposé par le contemporain Gérard Pesson : La Double coquette. Isabelle Poulenard tient le rôle principal de ce divertissement, joué par l’ensemble Amaryllis d’Héloïse Gaillard. L’art de «restaurer» un opéra de cour et de lui rendre, grâce à quelques rajouts, toute sa modernité.

Daniel MORVAN.
Abonnements individuels avec au moins une place Premières (160 €) dès le vendredi 27 mai 2017. Abonnements pour 4 spectacles : dès le samedi 4 juin. Au théâtre Graslin, place Graslin. De 5 € à 60 €.
Et par internet, le mercredi 1er juin dès 10 h, pour au moins 4 spectacles : www.angers-nantes-opera.com


David Martineau, adjoint culture Nantes, et Laurence Garnier, conseillère régionale


Jean-Paul Davois, directeur de l'ANO, et Dominique Prime, sous-directeur


vendredi 13 mai 2016

{archives} Célia Houdart: Les merveilles du monde (2007)

Vous avez ouvert ce tout petit roman. Il vous a fait une toute petite heure de train, trois ou quatre parcours de tram ou de métro. Vous le refermez. Et là vous mesurez la distance immense qu'il vous a fait parcourir. Vous n'avez rien vu venir. Igor, photographe, qui doit quitter Douarnenez pour sa maison familliale de Vevey, dont les fenêtres ont été brisées par un orage. L'écriture très lisse de Célia Houdart nous fait glisser du présent au passé et de la Suisse au Mexique. Il faut être une magicienne pour jouer ainsi sur la porosité de l'espace et du temps, juste en suggérant, par fragments éclatés. On se croyait embarqué dans un livre intimiste, nous voici dans un road movie dans le désert. L'amour va modifier les échelles de sensibilité, révélant les merveilles du monde (le journal de Marco Polo), dans un miracle d'apparitions fabuleuses.

{Archives} Gondry filme Chomsky



Uun film « bien perché ». Il est d'ailleurs aussi question d’arbres dans Conversation animée avec Noam Chomsky, film sur l’origine du langage. Sur la manière dont les idées se forment, dont les concepts rencontrent le monde et ses objets. Et finalement sur les prodiges du cerveau humain, qui continuent d’étonner le philosophe Noam Chomsky, au centre de ce film documentaire dont 80 % des images sont animées.
Le spectateur sort étourdi d’un maelström de lignes, d’acrobaties graphiques et verbales, de naïvetés très travaillées. L’accent anglais exécrable de Gondry, les coq-à-l’âne incessants bloqueront des spectateurs. Ce film fourre-tout et foutraque est cependant un très bel hommage à Noam Chomsky, ancienne vache sacrée de la linguistique, devenu le vieil anar qui dérange la droite comme la gauche américaines.
La rencontre des deux hommes ? Un rêve de Michel Gondry, réalisateur français de Eternal Sunshine of the Spotless Mind (film préféré de Mathilde) ou de L’Écume des jours. Il rêvait de ce documentaire à l’ancienne sur l’américain Noam Chomsky, écrivain engagé.
Muni d’une bruyante caméra à pellicule (une antique Bolex), Gondry filme son entretien avec Chomsky, illustrant la conversation de dessins animés sur papier, d’une manière artisanale et, faut-il l’ajouter, très gracieuse. Il improvise sous nos yeux une traduction graphique des entrelacs intellectuels de son interlocuteur. Il en dévoile aussi un versant intime et secret, entre l’évocation de l’antisémitisme qu’il subit dans son enfance, sa formation, le souvenir bouleversé de son épouse Carol (morte en 2008) : un film atypique, formidablement vivant, stimulant, humaniste et donc promis à une carrière confidentielle.
Daniel Morvan

Conversation animée avec Noam Chomsky(Is the Man Who Is Tall Happy?: An Animated Conversation with Noam Chomsky), documentaire d'animation réalisé par Michel Gondry, 2013

mardi 10 mai 2016

Baden Baden: sexe, mirabelles et bricolage


 Elle oublie de rendre la Porsche de la production, se ballade en marcel et sa grand-mère est Claude Gensac, la femme de Louis de Funès dans les Gendarme de St Tropez. Là, c’est pas St Trop’ mais Baden Baden, enfin dans ses rêves… Quand sa mamie est hospitalisée, la chauffeur de stars décide de lui offrir une station thermale à domicile, ou disons, de lui refaire sa salle de bain. Gracieusement maladroite, elle gère elle-même le casting de son chantier, alpaguant un bricolo intérimaire, recrutant un carreleur peu sensible à son charme de garçonne. Des dialogues qui fusent, mode enfants du paradis, des amours copains et un peu braques, la présence distraite et intense de Salomé Richard: un merveilleux premier film frontalier de l'Alsacienne Rachel Lang. Sexe, mirabelles et bricolage, elle a déjà tout d'une grande.
Daniel Morvan.

1h34, sorti le 4 mai 2016. Vu au Katorza (Nantes).