mardi 18 octobre 2016

Après l'affaire Cantat, Wajdi Mouawad avait failli abandonner le théâtre






Wajdi Mouawad à Nantes en 2016: "j'ai voulu abandonner le théâtre pour écrire des livres"



Le diptyque « Les mourants » marque la fin de votre association avec le Grand T, la scène de Loire Atlantique. Quel est votre regard sur toutes ces années d'artiste associé ?

Le Grand T est devenu un foyer pour moi, j’ai même déménagé à Nantes avec ma famille. Je n’ai pas triché, des amitiés se sont nouées : les directeurs Philippe Coutant et Catherine Blondeau, les metteurs en scène Anaïs Allais et Sébastien Barrier. Nous aurions pu travailler davantage avec les compagnies locales et le conservatoire, mais je n’ai pas le sentiment d’avoir été un simple prestataire de services.

Votre plus beau souvenir ?
Un tout petit, mais le plus beau : la rencontre publique avec Elisabeth de Fontenay à propos de l’animalité et du « silence des bêtes ». Devant une salle pleine avec les ados du projet « avoir 20 ans en 2015 », et un public de tout âge. Une petite heure avec cette grande femme…

Le moment le plus terrible ?
Celui où j’annonce aux acteurs que j’annule Ajax, étant incapable de l’écrire. Et le plus beau, trois jours plus tard, où je leur amène le texte écrit dans ces trois jours.

Un miracle ?
Non, Catherine Blondeau. Elle ne m’a pas dit : « arrête de faire l’enfant, Wajdi, les abonnés comptent sur toi ». Mais seulement : « essaie encore un peu, deux ou trois jours ».

Votre plus grande déception ?
Je dirai plutôt une douleur. Tout ce qui a entouré la création de Des femmes en 2011 avec Bertrand Cantat (1), et qu'on a appelé l'affaire Cantat. J’étais peiné pour tout le monde : les acteurs, Bertrand Cantat, la famille de Marie Trintignant, le public choqué et ceux qui étaient choqués qu’on soit choqué. J’ai été sévèrement jugé pour ça, jusqu’au Québec. Ce fut une erreur de ne pas avoir anticipé cette polémique, mais c’est dans ces moments-là qu’on compte ses amis.



C’est aussi dans ces années que vous êtes aussi devenu romancier ?
Après cette affaire, j’ai voulu abandonner le théâtre pour écrire des livres, au moment de la sortie d’Anima (Actes sud). Je me suis enfermé un mois au grand T, pour voir si j’avais tout de même encore envie de faire du théâtre. C’est là que j’ai trouvé les nouvelles formes des derniers spectacles. Ce furent quatre années merveilleuses.

Mais le romancier ne s’est pas avoué battu ?
Depuis deux ans, une nouvelle histoire me passionne. Je porte ce secret, il me préserve. Et puis une aventure inouïe commence, celle du théâtre de la Colline…

Quel est votre projet, au théâtre national de la Colline ?
C’est un lieu puissant, qui appelle à être habité par une vision du lien d’hospitalité et du lien social. Le geste le plus révolutionnaire aujourd’hui est celui de l’amour, de la douceur et de l’amitié. Comment s’adresser aux jeunes, créer un lieu de naissance et d’apparition au monde, mon projet, ce sont toutes ces questions.



Recueilli par Daniel Morvan.




1 : En 2011, une âpre polémique agita Avignon, où Bertrand Cantat, ex-chanteur de Noir Désir, devait chanter les paroles du chœur dans la trilogie Des femmes. Il dut y renoncer.
Depuis septembre 2011, Wajdi Mouawad fut artiste associé au Grand T, théâtre de Loire-Atlantique à Nantes. Il est nommé en avril 2016 directeur du théâtre national de la Colline.

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