mardi 29 novembre 2016

Benjamin Péret, soldat inconnu du surréalisme

Benjamin Péret, Tristan Tzara, Paul Éluard et André Breton



Une photo colle à la peau de Benjamin Péret. Prise en 1926, on le voit "insultant un prêtre" de Plestin-les-Grèves, lequel ignorait probablement avoir affaire, sinon au pape, du moins à l'un des cardinaux du surréalisme. Péret ne s'est pas remis de cette caricature. La comparaison avec Jacques Vaché renforce encore cette impression: L'écrivain nantais suicidé et sans œuvre (hors sa correspondance), fut célébré par André Breton, alors que le rezéen Péret a laissé une "œuvre poétique considérable" - mais introuvable. Le livre de Barthélémy Schwartz vient utilement corriger cette image pour resituer cet oublié de l'histoire dans la galaxie surréaliste et celle des combats des intellectuels au début du XXe siècle.

Né en 1899 dans cette cité ouvrière au sud de Nantes, il est introduit en littérature par sa mère, à la façon d'un employé de commerce. Il "monte" à Paris, où il rejoint l'avant-garde dadaïste au sein de la revue Littérature. Sa première apparition publique a lieu à la salle Gaveau en 1920, où il surgit sur scène pour prononcer ces mots restés dans l'histoire: "Vive la France et les pommes de terre frites". Marqué comme le plus provincial des dadaïstes, en raison de ses origines modestes et de son parcours d'autodidacte, il est l'un des instigateurs du "procès Barrès", et paraît une nouvelle fois sur scène muni d'un masque à gaz. Quelques chahuts plus tard, nous le retrouvons en Bretagne (Plestin-les-Grèves, Ploumilliau, Saint-Michel-en-Grève) auprès d'Yves Tanguy, puis à nouveau insultant des ouvriers qui vont le retrouver peu après sur la route, où il a été stoppé par une panne. Une fois de plus, le ridicule revendiqué semble dominer dans ces faits d'armes. Mais Péret est par ailleurs un écrivain, qui envisage la poésie, dit-il, comme une invitation à rompre "le charme maudit" et à rejoindre la vraie vie au paradis de l'écriture automatique.

Son parcours très "agit-prop" se confond alors avec le surréalisme. Parler de Péret, c'est parler de Breton, d'Eluard, d'Aragon mais aussi de Prévert par son goût du parler populaire. Qu'il soit décrit comme "boute-en-train incomparable" n'est pas de nature à mieux cerner son rôle, qui se précise quand il prend en 1926, pour quelques mois, sa carte au parti communiste. Après la publication des "Rouilles encagées", ouvrage saisi à l'imprimerie, qui ne sera publié qu'en 1970, il part pour le Brésil avec son épouse la cantatrice Elsie Houston, "figure emblématique du modernisme brésilien". Elle mène de front sa carrière de soprano et de chanteuse folk, membre du mouvement anthropophage (prônant le retour à la "brésilianité" et le rejet de l'héritage colonial).

Collecteur, correcteur


En 1931, il soutient la gauche d'opposition au Brésil d'où il est expulsé comme agitateur communiste; en 1936, il est un militant trotskyste au sein du POUM (parti ouvrier d'unification marxiste) à Barcelone. Il se brouille avec le POUM, qui envisage sérieusement de le fusiller. Il part diriger une unité de combat d'anarchistes opposés au Frente popular: les colonnes Durutti, sur le front de Teruel.
Pendant la Seconde guerre mondiale, il s'exile avec sa nouvelle compagne Remedios (artiste rencontrée en Catalogne) au Mexique, et sera proche de Natalia Trotski, l'épouse du leader bolchevique. Il est fasciné par l'art précolombien, et cherche à revivifier son communisme dans une ethnographie de l'âge d'or: "le surréalisme, écrit-il, voit dans l'art et les mythes primitifs une démonstration préexistante à ses théories sur l'art, la vie et la poésie qu'il entend faire pénétrer dans la conscience de tous les hommes". Il entreprend de collecter dans la forêt amazonienne des mythes précolombiens, tout en rédigeant "Le déshonneur des poètes", et de rentrer en France où il exerce le métier de correcteur.
Qui attendait une biographie orthodoxe de l'écrivain Péret sera déçu: ce livre est l'historique d'un parcours militant, en mêlant ses fils avec ceux d'une littérature que l'on retrouve dans une anthologie qui clôt l'ouvrage: le Benjamin Péret de la collection "Poètes d'aujourd'hui" (Seghers) a été publié en 1961, deux ans après sa mort. Depuis cette date, Péret était aux abonnés absents. Le présent ouvrage renoue le fil rompu, et fait entendre le premier signal de cette planète lointaine, si proche de nous, à Rezé.

Daniel Morvan

Barthélémy Schwartz: Benjamin Péret, l'astre noir du surréalisme. Libertalia. 328 pages, 18€.

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