mercredi 28 décembre 2016

Henri Droguet, borborygmes et soliloques




Tableaux de l'existence aux heures creuses de l'extrême ouest. En huit nouvelles rudes qui se partagent le même décor d'Armorique, le poète Henri Droguet pique sa prose aux ajoncs d'Aleth ou de Fréhel. Cela nous vaut une promenade pas ordinaire dans un univers lunaire, entre Synge et Beckett, sur fond de palaces balnéaires, kiosques à musique et masures croulantes. Dans la vase au pied des stations thermales, quand la tempête a démantelé la falaise « couleur de betterave cuite », un chômeur dort entre des traverses de chemin de fer, ratiocinant sur la fatigue et le travail. Apparaît sur les laisses de mer une espèce de crabe mutant. Un instituteur visionnaire entreprend un cycle romanesque, Comédie humaine des gueux écrite par un Balzac du Samu social. Un vagabond, adorateur de Gagarine, entreprend de reconstruire une cabane, entretient une liaison avec l'aubergiste du coin qui se suicide; il déterre son trésor de pièces d'or et s'en va. D’une nouvelle à l’autre, c'est toujours le même Albert, frère de misère des « messieurs rien de rien, les rois du pétrole », mangeurs de berniques, cohorte christique dont la voix (borborygmes et soliloques) est réunie dans une pulsation moribonde: « On se vautre encore et encore. Le pied gauche d'un arc-en-ciel tombe dans un carré de choux rouges de l'autre côté de la chaussée, plus loin. »
DM


Henri Droguet: Faisez pas les cons! éditions Fario, 98 pages, 14,50€

mardi 20 décembre 2016

Parti pour Avignon, je couvre l’attentat de #Nice




Pour moi, 2016, c’était ça. Le soir de la Fête nationale, à Nice, un homme a lancé son camion sur la foule. Je venais d’arriver en Avignon, pour le Festival. Je me suis dérouté.


On sait rarement ce qui nous attend quand on part en reportage. Mon agenda de 2016, du 14 au 18 juillet : Festival d’Avignon. Mon premier festival « in » en trente-quatre ans de métier. Dix-sept heures de théâtre au programme, des Damnés à 2666.
Le soir de la Fête nationale, à Nice, un homme a lancé son camion sur la foule, tuant 86 personnes. Je venais d’arriver en Avignon quand je reçus l’appel de la rédaction en chef. J’ai barré Avignon sur mon agenda, pour y inscrire : Nice.
J’étais dérouté.
J’ai trouvé là-bas mon camarade reporter Marc Mahuzier. Ultra-efficace. À l’hôtel Univers, aucun problème de réservation, les touristes fuyaient. J’ai marché sur la promenade des Anglais. 2 km de bitume, comme une marelle sanglante. La ville émergeait de vingt-quatre heures d’hébétude sous l’œil des chaînes d’info, posées là au carrefour, devant le public hostile.
Aux terrasses, le vieux Nice faisait semblant de vivre. Mais toutes ces âmes errantes, portant en elles des visions de corps écrasés. Ces cyclistes sillonnant la prom’, comme aveugles, lancés à fond. Joggeurs. Selfies. Fleurs, fleurs, fleurs. Petits mots. Je parlai avec l’homme qui avait organisé le plan blanc du CHU Pasteur : neuf salles d’op’ ouvertes pour accueillir 80 victimes, 29 urgences vitales la première nuit. De la chirurgie de guerre, à laquelle un exercice les avait préparés, en mai. Ils avaient «appris à être surpris».
Je suis retourné sur la prom’. Je regardais bêtement la Baie des anges, en me disant : tu ne vas pas parler du ciel bleu quand 84 personnes sont mortes. En me demandant si je saurais être surpris. Des gens passaient outre les cordons de police, serviette éponge sur le bras. Et j’ai vu. Quelque chose sans lien apparent avec la tuerie se passait là, dans le ressac des galets. Cette chose, c’était la mer.
Le désir de mer, plus fort que la mort ? Cela faisait cliché : en face d’un article sur la chaîne chirurgicale de survie, un autre sur le déchoquage de Nice aux bains de mer ? Sérieux ? Oui. Je marchai dans les galets. Un plagiste cambodgien avait étendu des blessés sur les chaises du Negresco. Il me dit: après le massacre, il faut se baigner, pour montrer qu’on n’a pas peur.
Un jeune couple de Lorient avait loué une semaine. Ils avaient vu le camion «chercher ses victimes», du vrai Stephen King. Ils refaisaient leur marelle de cauchemar, retrouvaient l’endroit où le camion les avait frôlés. Revoir la mer, se baigner « par nécessité, pour prendre soin de soi, et ne pas céder à la peur. »
Dans le magasin de la place Masséna, les maillots de bain étaient soldés. J’en ai acheté un orange. Une fois les articles livrés, j’ai piqué une tête dans l’indigo pur. À Nice comme ailleurs, la mer est synonyme d’un autre mot en trois lettres : vie. »
Texte et photo: Daniel Morvan.

Courriel : daniel.morvan@ouest-france.fr
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Ph Ulf Andersen
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samedi 17 décembre 2016

Pour moi, 2016 c'était ça: parti pour Avignon, dérouté sur l'attentat de Nice


On sait rarement ce qui nous attend quand on part en reportage. Mon agenda de 2016, du 14 au 18 juillet : Festival d’Avignon. Mon premier festival « in » en trente-quatre ans de métier. Dix-sept heures de théâtre au programme, des Damnés à 2666.
Le soir de la Fête nationale, à Nice, un homme a lancé son camion sur la foule, tuant 84 personnes. Je venais d’arriver en Avignon quand je reçus l’appel de la rédaction en chef. J’ai barré Avignon sur mon agenda, pour y inscrire : Nice. J’étais dérouté.
J’ai trouvé là-bas mon camarade reporter Marc Mahuzier. À l’hôtel Univers, aucun problème de réservation, les touristes fuyaient. J’ai marché sur la promenade des Anglais. 2 km de bitume, comme une marelle sanglante. La ville émergeait de vingt-quatre heures d’hébétude sous l’œil des chaînes d’info, posées là au carrefour, devant le public hostile.
Aux terrasses, le vieux Nice faisait semblant de vivre. Mais toutes ces âmes errantes, portant en elles des visions de corps écrasés. Ces cyclistes sillonnant la prom’, comme aveugles, lancés à fond. Joggeurs. Selfies. Fleurs, fleurs, fleurs. Petits mots.
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lundi 12 décembre 2016

Dom Juan dynamité par Jean-François Sivadier




Dom Juan, comme ces héros Marvel d’aujourd’hui, qui ne meurent jamais.© Brigitte Enguérand

Dom Juan est comme les cow-boys solitaires, qui laissent derrière eux des cœurs brisés et des cadavres, et l’interrogation : mais qui était cet homme ? Jean-Marie Sivadier en a fait un homme d’aujourd’hui : un Dom Juan pour la Star Academy, qui chante Sexual Healing dans un micro vintage - et comment oublier que Marvin Gaye fut assassiné par son père ? Même destin pour ces deux roucouleurs de soul music !
Mais la vraie histoire de Dom Juan remonte plus loin, en 1665. Dans la pièce de Molière, c'est un blond séducteur dont le chemin est jalonné de filles abandonnées et de familles en état de choc. Il défie Dieu, affirme que le ciel est vide et affronte tout l’inconnu au-dessus de sa tête, figuré par un bric-à-brac planétaire sorti de l’univers de Galilée. Si on ne croit pas au châtiment final de Dom Juan, en revanche on croit au théâtre de Sivadier. Par sa manière de jouer follement avec les codes du théâtre, avec l’adresse au public mis dans la complicité : d’entrée, Nicolas Bouchaud s’amuse à séduire les filles des premiers rangs, s’attachant d’abord à une certaine Amorine de Strasbourg : « Un autre objet a chassé Elvire de mes pensées », dit-il en lui offrant des fleurs.


Avec une machinerie à l’ancienne, ses coups de tonnerre et ses beaux effets de carton-pâte, Jean-François Sivadier, Nicolas Bouchaud et son équipe ont pris l’option d’un théâtre ludique. Le public adore l'irrésistible Lucie Valon dans son rôle de Bécassine et de clown, ainsi que Stephen Butel qui lui donne la réplique, dans un gallo venu de la nuit des provinces. L'extraordinaire et bondissant Nicolas Bouchaud joue avec la diction et en tire de très beaux effets comiques. Ainsi dans la phrase : « et tout le plaisir de l’amour est dans le... ? Dans le... ? Changement! », où il retarde le dernier mot comme un politique ou un maître d’école.
S’il est clair que Dom Juan avait toute la sympathie de Molière, c’est qu’il est aussi une figure du comédien. Irréductible au principe de réalité, il ne rembourse aucune dette, ne doit rien à personne. Un antihéros qui disparaît corps et biens, purement éclipsé. Dom Juan l’insaisissable est bel est bien comme ces héros Marvel d’aujourd’hui, qui ne meurent jamais.
Daniel Morvan.

Lundi 12 décembre 2016 à 20 h 30, mardi 13, mercredi 14 et jeudi 15 à 10 h, vendredi 16 à 20 h 30 et samedi 17 à 19 h. Au Grand T (Nantes), tél. 02 51 88 25 25.

vendredi 9 décembre 2016

Snobé par Moïse, le prophète aux 10 singles


La comédie musicale écrite par Élie Chouraqui et Pascal Obispo était sur la scène du Zénith fin janvier 2017. Rendez-vous incontournable pour la presse grand public, qui se doit aussi de traiter des événements populaires. Verbatim de l'interview la plus bête de l'année 2016.


Hôtel Mercure, gare sud, Nantes, mardi, 10h30.

La comédie musicale rebaptisée part en tournée en janvier 2017. Joshaï et Merwan, vous étiez doublures de la première version de 2000. Une version mythique?
Moïse (Joshai), très sèchement: pff, elle n'est pas mythique puisqu'il n'est pas question de mythologie.
M: L’impression d’être cette fois sous les feux de la rampe, avec toute la pression que cela représente! Car ce spectacle est mythique. Des personnes nous disent combien c’est un rêve pour elles, de voir en vrai un spectacle qu’elles ont vu mille fois en DVD!

Vanina, vous êtes la Nefertari de cette re-création des Dix Commandements. Un rêve?
Vanina. Je suis Algérienne de Corse et je rêvais de jouer dans une comédie musicale. J’ai envoyé une vidéo et le rêve s’est réalisé: j’étais convoquée devant Elie Chouraqui et Kamel Ouali, le chorégraphe original. Cela au terme d’un parcours passant par une école de danse jazz à Lyon, puis Paris, où j’ai été candidate à la Star Academy.

Recréer une comédie musicale en cinq semaines, un tour de force?
Merwan. Oui, d’autant quie ce n’est pas un spectacle à l’identique. Seize ans après la création, les décors ont été repensés et une nouvelle troupe mise en place. Nous, les anciens, avons retrouvé nos petites habitudes de l’époque au cours de ces répétitions à la Cité du cinéma, à Saint-Denis. Nourris de cette expérience, nous avons pu aider Vanina à vaincre les difficultés de la partition.

Ensuite, quel fut votre parcours?
Merwan Rim. Les Dix commandements m’ont mis le pied à l’étrier, j’ai enchaîné sur Le roi Soleil, Mozart l’opéra rock, enregistré mes propres singles. Je suis passé de remplaçant à titulaire.

Quelle est l’attente du public? Le message?
Vanina Pietri. C’est un spectacle que le public connaît par cœur. Au-delà de la religion, c’est un spectacle sur le vivre ensemble. Pour cette seconde version, le metteur en scène veut affirmer le besoin, toujours plus urgent, d'amour de son prochain et de tolérance. Sur la chanson « L’envie d’aimer », le public se soulève littéralement pour chanter avec nous. Et pourtant, sur le papier, ce n’était pas gagné d’avance!

Le paysage de la comédie musicale grand public a-t-il changé?
Merwan Rim. A l’époque, nous avions deux concurrents: Roméo et Juliette et Notre-Dame de Paris. En décembre 2016, Paris proposait dix-sept comédies musicales. Londres et Broadway tournent sur cinquante ou soixante productions, certaines à l’affiche en continu depuis des années. Si on pouvait faire ça à Paris, ce serait juste magique.

mercredi 7 décembre 2016

Ambra Senatore, danser de tout et de rien

Du Beckett en décor Ikea (Ph.: Berlanga)

On attend sans doute trop d’Ambra Senatore, comme si elle venait libérer le geste, rendre la parole au danseur, démocratiser l’art, et son beau sourire en plus. Si on regardait juste son spectacle, ce serait déjà bien, non? Mais là, pas question d’esquiver à la nantaise, genre : « Je ne connais pas assez son univers pour juger sur un seul spectacle ». Laissons ça aux botteurs en touche et assumons le fait d’avoir aimé Pièces.
Dans un intérieur standard de classe moyenne, des trentenaires en jeans évoluent comme en apesanteur, prennent le thé et conversent élégamment, dansant cocoon, comme le ver tisse sa soie. Kristin Scott Thomas dans Star Trek revu par Jacques Tati. Une vie artificielle de série télé française dans un emballage synthétique de cold wave française. Les corps y évoluent comme des mouches dans la toile de la conversation. Ça danse de tout et de rien.
Encore cette vieille histoire de vie quotidienne stylisée ? Oui, bien sûr : tout ça c’est des codes gestuels, verbaux et non-verbaux, nous dit la chorégraphe. Elle révèle la beauté tragique de nos bla-blas, récits de voyage au Japon et ronds de jambe. Pourquoi est-ce drôle ? À cause des échanges de regards où le spectateur devine des micro-histoires marrantes, dramatisées façon « In the mood for love » par l’excellent musicien Jonathan Seilman. Cela ne va nulle part, c'est du Beckett dans un décor Ikea. C’est drôle et c’est pathétique, c’est un peu nous.

Daniel Morvan.

Jeudi 8 décembre
 à 20 h 30 au Lieu Unique, quai F. Favre. Durée 1 h.

mardi 6 décembre 2016

Ambra Senatore: Pièces



Ambra Senatore (CCN/Berlanda)

Notre rencontre a commencé par un gag, autour d’une table de jardin, avec des chaises pliantes en fer. Ambra Senatore est arrivée en retard, et moi en avance. J’en ai profité pour feuilleter une revue de chorégraphie. Et sonder l’étendue de mon ignorance. Certains noms n’étaient pas inconnus : Pierre Rigal, Boris Charmatz, Anne-Sophie de Kersmaeker… Et donc Ambra Senatore, « l’Italienne blonde aux yeux bleus » (Balzac, Proust, au secours!), une femme portée sur les petites histoires pleines de fantaisie. Ambra est arrivée, s’est assise sur la chaise qui s’est effondrée sous elle. Cette chute tombait assez bien : « J’aime beaucoup Buster Keaton, s’amuse-t-elle en se relevant. Et j’aime qu’un spectacle de danse soit drôle. »


Le corps du récit


Il se passe de drôles de choses avec Ambra Senatore, nouvelle directrice du centre chorégraphique de Nantes. Sa nouvelle création, ce soir au Lieu Unique ? Sur le plateau, cinq danseurs aguerris, rompus à ses méthodes de travail, capables d’improviser, parmi lesquels un comédien. « Oui, un comédien, car Pièces se situe entre la danse et le théâtre. Cela se passe dans une cuisine. Nous avons commencé à travailler sur la vie quotidienne, en fragmentant ces instants vécus, jusqu’à ce qu’un récit entier prenne corps. Mais sans pourtant aller jusqu’au bout des histoires qui s’amorcent. Le spectateur est appelé à un grand travail de regard pour construire ces bribes d’histoire. »
Les fragments de vie sont assemblés dans un puzzle humoristique, sur une musique du nantais Jonathan Seilmann. « Nous avons découpé le temps. Des heures d’improvisation, de manière très dirigée, j’ai même donné des vincoli aux danseurs. » Chic, un mot italien ! « Vincoli ? Des chaînes, mais ce n’est pas joli pour parler de danse. »


Ambra Senatore a donc fixé des contraintes à ses danseurs, pour parvenir à une heure de spectacle : Pièces a été créée à Besançon, où elle a été artiste résidente avant de venir à Nantes. « Les sept premières représentations d’une chorégraphie appartiennent encore à sa gestation. Grâce aux spectateurs, elle peut commencer à exister. Mais le moment de la création est le plus faible d’une œuvre. »
Chaque représentation permet de nouveaux ajustements, la chorégraphe aligne ses notes pour biffer et ajuster. Mais pourquoi donc aller voir cette pièce naissante, sans attendre qu’elle devienne parfaite ? « C’est une œuvre accessible à tous, rassure la chorégraphe, il n’y a pas besoin de mode d’emploi comme pour une machine à laver. Il suffit de se laisser porter. Ça rigole et ça dit des choses tristes. Pour le reste, on touche du fer. Vous dites ça, en français ? »

Daniel Morvan.

Du mardi 6 au jeudi 8 décembre 2016 à 20 h 30. 12 €/22 €. Durée : 1 h. Billetterie:  tél. 02 51 88 25 25.
Rencontre avec Ambra Senatore mercredi 7 à l’issue de la représentation.


Noël dansé


Venez fêter Noël avant l’heure les 17 et 18 décembre. Le CCNN propose un week-end gratuit de rendez-vous pour tous les âges. Au programme : trois courtes pièces à découvrir seul, à plusieurs ou en famille ! Une seule règle : pas de billetterie, mais apportez un objet qui vous appartient à offrir à un autre spectateur.
Samedi 17 décembre à 16 h, dimanche 18 décembre à 10 h 30 et 16 h 30. Réservations : tél. 02 40 93 30 97.