vendredi 28 avril 2017

Salut, la spectatrice

samedi 22 décembre 2012
201 mots
Daniel Morvan
Il est d'usage d'applaudir les comédiens lorsqu'ils quittent définitivement la scène. Je propose d'applaudir une spectatrice. Elle est partie sans rappels, fin août.
Du théâtre, elle en mangeait comme quatre. Pilier de salle Vasse, gourou de TU, inconditionnelle de TNT, lieu-uniquienne émérite, chauffeuse de salle pour les chanteuses débutantes, sphinx des générales. Il me souvient qu'un soir de première, un ami comédien me demanda, légèrement inquiet : « Tiens, c'est bizarre, je n'ai pas vu Michèle... » Mais elle était là, en bout de rang, avec son sourire couci-couça. On croyait savoir deux trois choses d'elle, sa vie théâtrale, son engagement, un passé qui pouvait expliquer que le théâtre était sa vraie maison.
À la rentrée, quand les salles ont démarré leurs saisons, les salles étaient pleines, mais il y avait un vide. Il manquait la spectatrice idéale. Cette patte de lapin des soirs de première. Il manquait Michèle dans son fauteuil. Son fauteuil qui roulait de théâtreen théâtre. Salut à toi, la spectatrice.
Daniel MORVAN.

Pierre Soulages



Un jour, enfant, Pierre Soulages traçait des traits noirs sur du papier. Que dessines-tu? lui demande-t-on. « De la neige », répondit Pierre, provoquant un éclat de rire familial. Pour cet enfant, le noir était une couleur qui éclaire tout le gris.
Né le 24 décembre 1919, Soulages connu pour son usage des reflets de la couleur noire, qu’il appelle «outrenoir ». Le maître de Rodez est au musée de Nantes par des œuvres qui sont des puits de lumière forés dans les profondeurs tectoniques du noir.  « L'outrenoir, dit-il, c'est un autre monde, où vous emmène la réflexion de la lumière par la surface du noir, qui est la plus grande absence de lumière. » Soulages n’est pas seulement le peintre de la densité maximale, il est aussi celui de l’espace: Plus un tableau est grand, mieux il vous emporte. Quelque part dans la grotte Chauvet ou à Altamira, avec ces peintres de la préhistoire, pour qui peindre, c’était broyer le noir, manger du charbon et le projeter sur un mur, pour donner une forme au mystère.

jeudi 27 avril 2017

Jean d'Ormesson: "Un seul conseil, travaillez dur"



Jean d’Ormesson est mort dans la nuit du 4 au 5 décembre 2017 à l’âge de 92 ans.. © Catherine Hélie




Je m'étais entretenu avec Jean d'Ormesson à l'occasion de la sortie du premier tome de son oeuvre romanesque dans la bibliothèque de la Pléiade (Gallimard). Sans doute l'une des personnes les plus agréables du monde en entretien... 


Jean d'Ormesson, comment sait-on qu'on va bientôt entrer dans la Pléiade ? Par un coup de fil de la maison Gallimard, comme un simple mortel?
Antoine Gallimard, directeur des éditions, m'a appelé pour me dire qu'il voulait me voir et que c'était un peu pressé. Cela aurait dû m'alerter, pourtant je n'ai pas pensé une seconde qu'il allait me proposer d'entrer dans la Pléiade. Nous nous vîmes et il me fit la proposition tout de go. J'en restai si confus que je lui dis en bredouillant: merci, merci beaucoup, merci infiniment. Puis, reprenant mes esprits, j'ai objecté que j'étais encore en vie. Il m'a dit : Ce n'est absolument pas un problème, ça peut s'arranger.


En réalisant ce volume, vous avez certainement découvert certains secrets de cuisine de la bibliothèque de la Pléiade?
J'ai appris que Saint-John Perse avait truqué sa Pléiade en antidatant des lettres de 1946, présentées comme étant de 1936. Du coup, il passait pour un visionnaire fabuleux ! C'est insensé, moi je n'ai rien truqué.


Cela vous fait drôle d'être imprimé sur du papier bible ?
Comme dit Groucho Marx, je n'entrerais pas dans un club qui accepterait quelqu'un comme moi. Mais Hughes Pradier, le patron de la Pléiade, m'a assuré : nous ne prenons pas dans cette collection les reines d'un jour, mais les auteurs qui resteront dans l'histoire de la littérature.
Une chose me faisait peur : « l'appareil critique » de la collection, qui déballe tout votre passé. J'aurais bien proposé une Pléiade sans appareil critique, comme Kundera.


Par la télévision et par Bernard Pivot, votre plus fidèle serviteur, vos yeux bleus et votre verbe ont régné sur les lettres. Mais quel genre d'écrivain êtes-vous en réalité ?
Jeune, être écrivain ne me traversait pas la tête. Je n'ai pas écrit de poèmes à ma mère à 9 ans, de polar à 15 ans et de tragédie à 20 ans. J'étais élève de normale sup', je ne voyais rien à ajouter à Flaubert.
J'ai écrit pour plaire à une fille, comme tout le monde. J'ai déposé un manuscrit chez Julliard, qui m'a rappelé le lendemain, enthousiaste : J'étais la nouvelle Françoise Sagan. C'était faux, bien sûr. Le livre a fait un bide.
Je suis entré une seconde fois en littérature avec La gloire de l'empire, qui reçut le Grand prix du roman de l'Académie française.


Quel est le secret que vous confieriez à un jeune écrivain ?
J'ai toujours vomi les conseils des vieux académiciens. Le seul conseil valable, c'est : travaillez dur. Certes, mieux vaut être écrivain que mineur de fond. Mais la littérature est un travail excessivement et formidablement difficile. J'écris très péniblement, il me faut récrire chaque page cinq à six fois.


On vous appelle l'écrivain du bonheur. Mais le bonheur d'écriture existe-t-il?
Écrire est «une joie atroce», dit Flaubert. Quel labeur, quels incessants retours sur l'ouvrage. L'été dernier, j'ai écrit 100 pages et j'en ai jeté 99. La production de tout un été, presque entière à la poubelle.


Ce labeur est-il compatible avec la vie mondaine qu'on vous prête ?
J'ai été mondain, mais depuis dix ans on ne me voit plus dans les soirées. La mondanité a disparu de ma vie, je suis sourd comme un pot et je crains les dîners en ville. À vrai dire, je suis maintenant presque muet dans les cocktails.



Recueilli ‎le  mercredi 6 mai et publié le jeudi‎ ‎7‎ ‎mai‎ ‎2015
par Daniel MORVAN.


Lydie Salvayre, l'indignée (archive 2003)


Je n'avais encore jamais rencontré Lydie Salvayre, avant sa venue un soir de 2003, au Lieu Unique, pour lire son dernier texte, Contre. La romancière (La compagnie des spectresLa puissance des mouches, et bien plus tard, Pas Pleurer, prix Goncourt 2014) exhortait au réveil des consciences : «Revenez à vous, vous n'êtes pas des veaux». Je poste cet entretien en souvenir de cette première rencontre.
Peut-on dire, Lydie Salvayre, que ce poème rock, « Contre », est une anthologie de vos indignations ?
Oui. L'indignation, plutôt que la colère. Je suis indignée depuis l'enfance. Mon père, qui était né dans une riche famille bourgeoise, était communiste. Il a rejoint les Républicains espagnols. Et il est revenu d'Espagne avec la blessure de la défaite. Mais il a fait plus que de perdre une guerre : il a perdu une langue, une situation sociale. Il nous disait, à moi et mes trois sœurs : vous n'êtes pas filles de maçon, vous êtes filles de politique ! Il est mort, mais il continue à me parler.
Cesserez-vous un jour d'être contre ?
Cela ne s'amende pas. C'est presque sanguin chez moi. Je suis psychiatre d'enfants en banlieue parisienne, et ce n'est pas fait pour me ramollir. Je vois beaucoup d'adolescentes maghrébines, déchirées, prises dans la crise des valeurs, celles du Coran et celles de l'Occident.

« Contre » est un texte fait pour être dit. Ce livre a-t-il fait de vous une comédienne?
Il s'agissait d'une commande de Laure Adler pour France Culture. J'ai donc, plus que jamais, œuvré avec le souci de la musicalité. J'ai travaillé avec Serge Teyssot Gay, le guitariste de Noir Désir et le compositeur Marc Sens. Je n'aurais jamais écrit Contre (qui s'inspire d'un poème de Michaux) sans eux. Mais j'étais terrorisée à l'idée d'avoir à le dire et j'ai vérifié que le métier de comédien est impossible. Vous offrez des images au public mais vous-même, une fois terminé, vous ne gardez rien.

Votre premier roman ?
C'était La déclaration, envoyé à cinq éditeurs par la Poste. J'ai maintenant la nostalgie de cette époque où je ne connaissais rien au monde de l'édition.

Comment écrivez-vous ?
Comme je travaille par ailleurs, j'écris à l'arraché, comme un vol, au café, en voiture. Et cela détermine une certaine façon de dire les choses. Je serais désespérée si j'avais de longues journées pour faire des jolies phrases.
Recueilli par Daniel Morvan.
« Contre », 2003. Verticales.

mercredi 26 avril 2017

Musique celtique. Un jour, Tracey Shiels est revenue


dimanche 4 février 2001 301 mots
Tracey avait alors les cheveux rouges et il semblait que la musique était capable de tout emporter. Et puis on ne parla plus des Sons of the Desert : peut-être qu'en effet la musique avait tout emporté. Y compris la chanteuse aux cheveux rouges et ses drôles de gusses.
Tracey Shiels, c'était un peu Ingrid Caven, version nettoyeuse de fest-noz, c'était la Gelsomina de La Strada, mode pub dublinois. Avec un côté cabaret allemand, bodhran ou tambourin en main, elle savait faire tourner un concert à la transe. Les Sons of the Desert (un nom tiré d'un vieux film de Laurel et Hardy, où il est question d'une secte de buveurs) avaient fini par mettre la cabane déglinguée sur le bodhran malade.
La mandoline effervescente d'Ewan Shiels, le compositeur, avait laissé au clou sa clef de sol. Adieu l'Ennio Morricone des rades d'Armorique, le Frank Zappa des fish & chips bretons, le Stan Laurel des bars à sciure. On s'était dit que c'était peut-être ça la vie : des gens formidables qui disparaissent.
Et puis non. Les revoici, décalfeutrés de leur chaumière de brousse trégoroise, droits sortis d'un western kig-ha-farz pour réapparaître au coeur de l'Auvergne, dans un village de la forêt de Dreuille. Ces Gaëls avaient seulement attendu que meurent les yodleurs de télé-crochet pour faire revenir leur petit cirque de puces. L'espièglerie est intacte, la mandoline et le saz (guitare turque) toujours aussi délirants, Tracey toujours aussi pétillante, éternelle Gelsomina des chemins qui vont au milieu de la mer, dans un groupe qui s'appelle The Shiels.
Daniel Morvan
Le Bourg 03430 Vieure (dans l'Allier à 27 km de Montluçon. Tél/ 04 70 07 52 76). Dans un petit village au cœur du bocage, le café-concert The Shiels (ancien bar datant de 1833) s'anime.
- Le dernier vendredi de chaque mois à partir de 18h jusqu'à minuit, concert de musiques éclectiques,
- Les dimanches matin devant le bar, petit marché de produits locaux et artisanaux.
À proximité (2 km) du plan d'eau de Vieure et de la forêt de Dreuille.
Ouvert toute l'année. Bar ouvert toute l'année tous les jours : jusqu'au 30 juin et du 1er septembre au 31 décembre de 10h à 14h. En juillet et août de 10h à 22h. Marché les dimanches matin devant le bar.




Théâtre. Suivre les morts: Quand les corps migrants reviennent




Chère metteure en scène Monique Hervouët, je n’étais pas très chaud pour aller voir ta pièce sur la mort. Une proximité excessive avec le sujet va me faire perdre tout mordant, je le crains.
Mais allons, trop tard pour reculer.
Belle idée que celle de transposer un sujet de recherche en pièce de théâtre. Nous le devons aux deux chercheuses nantaises Anne Bossé et Elisabeth Pasquier. Le spectacle, « Suivre les morts », raconte la migration post-mortem des immigrés, migrants et de tous ceux qui, décédés hors sol, aspirent à rentrer à la maison, avec le cortège de la parentèle à la suite.
Les deux auteures ont « écrit les voix » des personnes interviewées. Rien de plus vivant, de plus drôle, que ces nouveaux rituels qui s’inventent au bas de la soute de l’Airbus vers Alger ou Ankara. Avec ses objets comme le "cercueil rapatriement" à hublot. Comment on se cotise ou pas pour l'avion; comment on rattrape le mort à l'arrivée; comment on finit là-bas la prière commencée ici. Comment, en Turquie, on observe le rite de la pelle plantée mais jamais tendue à l’autre.
Les morts sont des barques qui tracent un sillage lumineux dans la nuit des migrations, quelquefois ils nous font la visite d’un pays ancestral que nous, générations nouvelles, ne connaissions pas. On ouvre des maisons qui ne respiraient plus, et maintenant elles sourient. On rouvre de vieux chemins de terre. Oui, on devrait plus souvent faire du théâtre avec des thèses de socio. Et avec tout, d’ailleurs.
Daniel Morvan.

Mercredi 24 Avril à 20h30 & jeudi 25 Avril à 19h30 au Théâtre - Scène nationale de Saint-Nazaire

dimanche 23 avril 2017

L'ancienne poissonnerie dit: chalut les artistes !


QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
vendredi 21 avril 2017
654 mots
Daniel Morvan

Un lieu d'arts va voir le jour dans un ancien commerce du quartier Chantenay. Une manière de faire du neuf avec du vieux, pour le bonheur de ce quartier nantais bien à l'ouest.
Le projet
Chalut les artistes, Neptune rouvre la boutique ! Au-dessus de la vitrine aveugle, un poisson en tôle rouillée. Emblème peu riant d'un commerce fermé depuis des poissons-lunes. Enseigne devant laquelle tout Chantenay est passé : qui pour prendre son C1 ou n°10 (place Macé), qui pour écouter Dominique A période « La Fossette » à l'Olympic. Autant dire que cette Chantenay la rouge où tout ferme attend un peu de rose dans sa vie. Un peintre poète à la Jacques Demy pour rêver un peu.
La poissonnerie ne rit plus depuis 1972. Date avancée par René, mémoire de Chantenay la rouge. Depuis, silence d'aquarium pour poissons solubles et aloses dépressives. Cherchant un atelier, quelques Picassos de Chantenay ont eu la curiosité de pousser la grille. Grille murée, lieu clos. Mais un lieu, c'est fait pour nager, non ?
Un étal de faïence
C'est l'un de ces petits commerces d'autrefois que l'on visite avec au coeur un effroi abyssal. Une fois le seuil franchi, miracle : un étal orné de poissons et crustacés de faïence, comme la friture d'or des rois d'Égypte dans la crypte de Ramsès. La déesse des sardines avait, en secret, décoré la boutique. Un korrigan des landes, dit-on, a coulé une chape de béton dans la nuit.
Tout le monde s'y est mis, pioche à l'épaule et crayon à l'oreille, pour donner un coup de neuf. Pinceau d'une main, truelle dans l'autre. Les dieux de la métamorphose ont pour nom Kat et Louise, Gladys et Pascal, Erwan, Claire, Bruno. Six artistes et un lutin bricoleur réinvestissent le 24, boulevard de la Liberté pour en faire un atelier tous âges.
On ne ramène rien à la maison !
Ici, autour de l'ancien étal, l'atelier des peintres. Gladys pourra y peindre, Pascal et Bruno se feront des toiles. En bas, un grand espace pour les enfants du quartier. « Les enfants et tout le monde, assure Kat, l'animatrice à bretelles, aux yeux plissés qui rient du désir de créer et de partager. Le seul principe, c'est que les enfants ne ramènent pas les dessins aux parents, pour être complètement libres de s'exprimer. » Et, présume-t-on, même principe pour les adultes : on ne montrera rien à personne, sauf consentement des enfants.
Ils présentaient ce nouveau lieu un certain vendredi de grand vent. Il y avait de la résurrection dans la blouse rouge à pois de Gladys, qui filait un coup de fil à avril. Roger Dimanche, peintre à fresque du bas Chantenay, allait peindre des murènes sur cette vitrine murée.
Pour l'instant, on cause plaque de plâtre, on espère une vitrine. L'atelier devrait ouvrir ses portes en se greffant à une fête de rue voisine, celle de la Tannerie, le 10 juin prochain. « Cette poissonnerie, elle veut dire quelque chose, ça parle aux gens du quartier, s'anime Bruno, le peintre guévariste de la rue Garibaldi. Lui redonner une vitrine et revoir les étals en faïence, ça va être magique. Remonte tes bretelles, on va se marrer à la Poisonnerie ! »
Samedi 10 juin, ouverture de La poissonne rit, atelier d'arts, 24, boulevard de la Liberté, à Nantes. Contact : kat.lecointe@laposte.net
Daniel MORVAN.

Le prof nantais avec ses élèves et Jacques Chirac aux funérailles de Lucie Aubrac

Jacques Chirac dans la cour des Invalides
Lucie Aubrac est morte le 14 mars 2007, à l'âge de 94 ans, à l'hôpital suisse d'Issy-les-Moulineaux. Ses obsèques avec les honneurs militaires ont eu lieu aux Invalides le 21 mars en présence du chef de l'État, du premier ministre Dominique de Villepin, de plusieurs ministres et candidats de l'élection présidentielle de 2007. Étaient également là quelques élèves de lycée professionnel venus de Nantes avec leur professeur Luc Douillard. 

Ils ont entre 17 et 18 ans. 21 élèves de BEP finition, sept plâtriers et quatorze peintres. Luc Douillard, leur professeur de lettres du Lycée professionnel Michelet, à Nantes, aime bien les défis. « Tenter le déclic. Parier qu'en 24 heures, ils seront capables de s'intéresser à leur Histoire. »
Luc Douillard a pour consœur Élisabeth Elfer-Aubrac, fille de Lucie. C'est lui qui a rédigé en 2004 l'appel national (signé par les Aubrac) à défendre « le socle des conquêtes sociales de la Libération ». Deux bonnes raisons pour embarquer ses élèves, grâce au soutien des Pays de la Loire, à l'hommage des Invalides. «C'est une action de guerre contre l'ignorance, dit-il. Les jeunes souffrent d'un manque de personnes à admirer.»





Seuls lycéens de France, à cinq mètres de Jacques Chirac


Sur place, la surprise : pas d'autres lycéens. « Très impressionnant, dit Mélanie. Se dire qu'on est là, à cinq mètres du Président Jacques Chirac, et que visiblement nous sommes les seuls scolaires... » Et même les seuls de France ! Mélanie est peintre et se destine à peindre des trompe-l'oeil. La longue silhouette du chef de l'État s'avance sur les pavés glissants des Invalides : ce n'est pas un trompe-l'oeil. « Si vous voyez des gens âgés avec des médailles, leur a dit leur prof, une étincelle dans le regard, ce seront des résistants. Les plus jeunes auront 80 ans. Allez leur parler, ils seront heureux. »



Avec leur professeur Luc Douillard, les élèves du lycée professionnel Michelet (Nantes) rencontrent des amies de Lucie Aubrac, aux Invalides
Le cercueil de Lucie Aubrac quitte la cour. Le chant des partisans résonne encore dans l'air glacial. Les lycéens, transfigurés par la solennité de l'événement, font cercle autour des anciens résistants. Ils écoutent, affamés de paroles. « Vous l'avez connue, Lucie Aubrac ?», demande Mélanie. « Oui, répond Claude, j'ai enseigné dans le même lycée qu'elle à Rome. Elle ne se contentait jamais de parler, elle agissait. Et toujours en première ligne contre l'injustice dans les conseils de classe. »

Maxime interroge le Breton Gabriel de Tournemine : « Quel âge aviez-vous à l'époque ? - 17 ans en 1940. La Résistance, c'était un grand western. Faut jamais lâcher, les garçons, ni dans votre vie ni dans vos études. »

Silencieuse, Mélanie boit les paroles. Capte des bouts de destins qui viennent d'entrer dans sa vie. «Oui, j'ai envie d'approfondir l'histoire de ces résistants. Ils nous ont promis de venir nous voir. »
Pari gagné, monsieur le professeur. Et chapeau, Luc Douillard.

Daniel MORVAN


Les derniers combats de Lucie Aubrac


Lucie Aubrac à Nantes, en mars 2005 pour la remise de la légion d'honneur à son gendre, Jean-Pierre Helfer, directeur d'Audencia, entourée de sa famille dont sa fille Élisabeth Helfer-Aubrac (3e en haut en partant de gauche).


Élisabeth Helfer-Aubrac enseignait au lycée Michelet de Nantes. Pour notre consoeur Isabelle Labarre, elle témoignait en mars 2007 des derniers combats menés par sa mère: "Que ce soit auprès des sans-papiers, des enfants handicapés, des mal logés, ma mère a signé toutes les pétitions qu'il fallait. Sans aucune honte, elle se servait de son nom pour faire entendre une cause, toujours avec un souci de grande honnêteté et fidèle au seul credo de mes parents : le programme du Conseil national de la résistance. Son mot d'ordre, c'était de rester vigilant face aux injustices, au racisme, à l'homophobie. Dans ses dernières interrogations, elle parlait des élections présidentielles. Elle n'a jamais adhéré à un parti depuis la Libération mais en tant que femme de gauche et engagée pour les droits des femmes, elle était sensible à ce qu'une femme, plus jeune, soit candidate... Son dernier déplacement, c'était en octobre dernier, un hommage aux jeunes juifs déportés à Mont-de-Marsan. Nous n'étions pas fiers de la voir partir, déjà grabataire. Depuis quinze ans, elle avait perdu la vue. Mais c'était elle..., une battante jusqu'au bout !
De quelle façon, interroge Isabelle Labarre, cet esprit de résistance a-t-il traversé la vie de famille ?
Avec la guerre, nous avons été élevés de façon chaotique, mon frère, ma soeur et moi. Mais avec cette idée que la justice prime sur tout. On n'avait pas de croyance religieuse, on croyait en l'Homme. Le confort était accessoire : le quotidien, la maison, ça passait après les actions de nos parents. Mon père, Raymond, plus intellectuel. Ma mère, médiatique et efficace. Je ne l'ai jamais vu baisser les bras, elle avait toujours l'intelligence de rebondir devant les difficultés.

D'où vient ce vaisseau intersidéral appelé Pelléas et Mélisande ?

jef rabillon

Pelléas et Mélisande : intersidéral
QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
mardi 25 mars 2014
389 mots
Daniel Morvan

Critique

Un peu groggy, on retrouve à l'entracte la place Graslin éblouissante après la pluie. Avec ses houles, ses navires, ses fontaines, ses bagues perdues, d'où vient ce vaisseau intersidéral appelé Pelléas et Mélisande ? On voudrait répondre : d'un désir de tragique et d'érotisme absolu.
Emmanuelle Bastet (mise en scène) peut, on l'a vu, rendre crédible le tréfonds des enfers d'Orphée et Eurydice. Ici, elle pourrait faire se succéder les lieux magiques. Mais nous voici dans le cadre d'une maison bourgeoise claquemurée dans ses tiroirs à secrets, n'ouvrant sur la mer que par une fenêtre à guillotine. Décor suicidaire, qui évoque autant Rebecca de Daphné du Maurier que le roman Extinction de Thomas Bernhard. Ou l'Argol de Gracq. La tendance est au gros décor avec escaliers et balustrades, pris dans un flot de lave : on voit ce qu'on paie.
Ne résumons pas cette intrigue vénéneuse, conservons les images les plus obsédantes ciselées par Bastet. À commencer par celle de Mélisande à la tour, inondant Pelléas de sa chevelure, scène où s'affirme l'excellence du choix de Stéphanie d'Oustrac (mezzo), parfaite antithèse du cliché d'une Mélisande diaphane: celle-ci fait monter de quelques degrés la température de Graslin.
Il faut saluer la beauté de l'interprétation surplombante de Jean-François Lapointe (Golaud). Le récitatif de l'enfant Yniold (Chloé Briot) condense la vivacité d'une musique dont la mélodie secrète est à déchiffrer, dans les entrelacs des désirs et des peurs. Ce qu'exprime l'aveu d'amour à peine expiré de Mélisande, dans un duo d'une telle intensité que la musique elle-même se tait. Muette d'admiration, comme nous.
Daniel MORVAN.

Diverrès, diva jusqu'au butô


Flash Dance : Diverrès, diva jusqu'au butô
jeudi 13 février 2014
341 mots
Daniel Morvan


C'est à se boucher les oreilles. Rien, dans cette introduction à vriller les tympans, ne laisse supposer que ce qui va suivre a un lien avec le théâtre japonais. Vous avez le droit de ne rien savoir, juste que c'est une danseuse. Et qu'elle s'éloigne de nous, en pas sautillants. La bande-son indique, par sa gravité, que nous sommes entre les vivants et les morts. Côté morts, il y a Kazuo Ohno, chorégraphe japonais récemment disparu et maître du butô. Cette danse « du corps obscur » fut inventée pour exprimer l'angoisse de devoir habiter son corps, et le Japon, après Hiroshima. Côté vivants, il y a Catherine Diverrès, dont le nom indique peut-être qu'elle habite la Bretagne, ce qui ne va pas non plus forcément de soi. Entre les deux, un écran blanc, et des voix, par exemple celle d'Ingrid Caven qui chante un Ave Maria atrocement éraillé. On aimerait dire que Ô Sensei (c'est le titre du solo joué mardi au TU par la diva Diverrès) est une suite de métamorphoses jusqu'au salut final, presque enfantin. Masque impénétrable, comme noyé sous la craie, corps incertain muant d'un costume à l'autre, jusqu'à la robe du soir rouge portée sous la tenue martiale japonaise, gestes hésitants, palpant le vide, sans rien offrir au public qui rappelle l'ordinaire des gestes, comme si la danse nous attendait quelque part, là-bas, de l'autre côté, où se trouve déjà la danseuse.
Festival flash dance 3. Prochains spectacles : vendredi 14 février à 20 h 30, au Studio Théâtre (Héroïnes, de Julie Nioche) et Bound II 0 (Andrey Bodiguel). A 19 h 30 au TU : In Vivo de la compagnie S'Poart. Mardi 18 février : Mùa d'Emmanuelle Huyn (19 h 30 au Studio Théâtre) et le Grand Jeu d'Olivia Grandville (TU à 20 h 30). Tél. 02 40 14 55 14.
Daniel MORVAN.

Un livre que j'avais aimé: Portrait d'une dame


QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
lundi 12 décembre 2005
337 mots
Daniel Morvan
Une chose est sûre : il s'agit d'un couple soudé. Quelle femme supporterait, sinon, de se promener avec un mari qui note tout ce qu'elle dit, du matin au soir, pendant trois ans ? Samedi 4 septembre 1982, 18 h 09 : « Tu vois j'arrive et le feu devient vert. » Un peu plus tard : « Tu as vu les petits coqs de la dame ? » et à 22 h 13, pour clore la moisson quotidienne : « C'est un peu la quintessence du bateau mouche. »
Marie-Hélène Dhénin a donc supporté cette drôle d'expérience de se promener avec un scribe permanent, son compagnon Alain Frontier. Lequel est aussi auteur d'un Cours de langue grecque et d'une Grammaire du français. On pourrait s'attendre, avec ce Portrait de dame, d'une sorte de démonstration avant-gardiste un peu vaine, version intello du « Comme dit ma femme » de l'inspecteur Columbo. Mais l'expérience, très productive, recèle une drôlerie accessible, une douce étrangeté : « Je suis prise parfois de découragements ménagers intenses » (un 7 juillet à 13 h 56), « il y a des tas de paroles, comme ça, dont on ne se souvient jamais » (21 h 52). Ou encore : « Tes dents ne doivent pas être bien rangées, parce que c'est anormal que tes dents claquent comme ça »« ce bébé a beau être tout petit, il est d'un encombrement ! », « Il y a moins d'avaleurs de feu que l'été », « Cet homme, c'est sa femme ? »
Ce montage dadaïste de micro-tranches de vie finit par devenir une sorte de fiction du quotidien où le lecteur circule à sa guise, cernant le mystère d'une personne. Il peut reconnaître les situations, imaginer le contexte de phrases qui, incongrues, surréalistes, banales, cimentent et donnent sens à ce qu'on appelle la vie de couple.
Daniel MORVAN.
Portrait d'une dame, récit expérimental. Par Alain Frontier. 432 pages, 25 €. Éditions Al Dante.

Jan Karski, celui qu'on n'a pas cru

Jan Karski, la vérité inaudible de l'Holocauste
DIMANCHE OUEST-FRANCE
dimanche 4 avril 2010
441 mots
Daniel Morvan

Récit. Dicté en 1944 à une traductrice, Mon témoignage devant le monde bouleversa le public américain,
qui en fit un best-seller. Retraduit en français, ce témoignage a gardé toute sa force.
Le terme de héros semble presque faible pour décrire Jan Karski, émissaire de la Pologne auprès des Alliés. « Il vous est arrivé au cours de cette guerre, lui dira un ministre britannique, tout ce qui peut arriver à un homme sauf une chose : les Allemands n'ont pas réussi à vous tuer. »
Un parcours à la James Bond. Une odyssée à travers la noirceur du siècle, écrite d'une plume vive, parfois drôle, à l'exemple de ces mots que lui adresse l'un de ses libérateurs après son évasion : « Mes félicitations pour ton divorce d'avec la Gestapo. Je parie que ce mariage, tu n'y tenais pas trop, hein ? »
En octobre 1942, les nazis ont déjà tué 300 000 Juifs à Varsovie. La résistance polonaise invite le diplomate Karski à parcourir le ghetto, afin qu'il puisse témoigner. Dans son roman Jan Karski (2009), Yannick Haenel imaginait la rencontre entre le président américain et l'Émissaire polonais. Il campait un Roosevelt scandaleusement indifférent. Ceci au nom d'une version selon laquelle l'Amérique aurait volontairement laissé faire les nazis.
Mais rien, dans les mémoires du messager polonais, ne le corrobore. Karski a été écouté par Roosevelt, mais n'a pas été entendu. Dans une séquence inédite du film Shoah (de Claude Lanzmann), Karski esquisse une explication: « L'extermination des juifs était incompréhensible aussi pour moi. L'humanité qui n'avait pas vu de ses propres yeux ces horreurs ne pouvait pas les concevoir. »
La vérité de Karski était-elle si inouïe qu'elle fut inaudible? Comme en témoignent ces mots adressés à Karski par un magistrat américain : « Je ne dis pas que vous êtes un menteur, je dis que je ne vous crois pas. »
Jan Karski (1914-2000), messager de la Pologne, alerta le monde sur la destruction du peuple juif quand il était encore temps de l'arrêter.
Daniel Morvan.
Mon témoignage devant le monde, Robert Laffont, 432 pages, 22 €

Julie Wolkenstein. La vie de son arrière-grand-mère était un roman


Julie Wolkenstein enseigne la littérature comparée à l'Université de Caen. Adèle et moi est son sixième roman. - Crédit Sarah Moon/P.O.L
dimanche 13 janvier 2013
540 mots
Roman. Dans des papiers de famille, Julie Wolkenstein découvre une belle histoire d'amour : celle d'Adèle, son arrière-grand-mère née un siècle avant elle.
Pourquoi Julie Wolkenstein, née en 1968, s'est-elle passionnée pour la vie de son arrière-grand-mère Adèle ? Parce qu'elle a découvert, en rangeant les papiers de son père (l'académicien Bertrand Poirot-Delpech) après sa mort, un journal intime et un « mémoire » dicté par Adèle. Le tout formant comme le roman d'une amoureuse de la vie.
Secrets d'une famille bourgeoise
À partir de ce texte jamais publié, Julie Wolkenstein a écrit un autre livre. Un vaste roman constitué du dialogue entre leurs deux sensibilités, à partir d'un unique lieu familial : la plage normande de Saint-Pair, près de Granville, où Adèle édifia sa maison de vacances, la Croix Saint-Gaud. « C'est ici, à Saint-Pair, dans une sorte de pli du temps que ma vie rejoint vraiment celle d'Adèle. Nous faisons chacune la moitié du parcours. »
Quoi de plus romanesque que la vie de ses parents, de ses ancêtres ? C'est bien ce que découvre Julie en parcourant ces journaux. C'est plein de secrets de famille qui se dévoilent par révélations. Intuitions. Aimée, la mère d'Adèle, était-elle « une femme légère » ? Adèle en hérite peut-être sa distance à l'égard de son milieu huppé, confiant dans les vertus du collier à perles et du serre-tête.
S'agit-il seulement des petits secrets d'une grande famille bourgeoise de Sèvres (dont Charles, son beau mari, en sera le maire) ? Le mouvement du livre est bien plus profond : il procède du flux et du reflux, découvrant comme une grande marée les fonds insoupçonnés d'un érotisme ardent, comme cette émouvante scène d'amour entre Adèle et son futur mari Charles, au clavier d'un Grand Orgue. À elle seule, cette découverte des mots et des usages amoureux réels d'un temps lointain, dans les mots de l'aïeule, justifie ce roman magnifique.
Peu à peu le journal s'évapore, se résume à des listes de films vus et revus, le cinéma devenant un refuge, mais la romancière continue d'épouser cette écriture élégante, ses mots soulignés, en capitales. Et la vie ressemble de plus en plus à une page de Virginia Woolf, lorsqu'allongée dans le bow-window, Adèle écoute du Mahler et attend le rayon vert, la dernière et rare lumière qui s'échappe du soleil couchant. Le rayon vert va-t-il, avant la dernière goutte de champagne, fuser du disque rose fuschia du soleil sur les îles Chausey ?
Daniel MORVAN.
Adèle et moi, P.O.L, 595 pages, 22 €.

Ces amateurs qui rêvent en Cunningham

mardi 17 décembre 2013 
462 mots

"la danse appartient à tous et qu'elle n'est pas liée à une virtuosité"

« Roman photo » se plonge dans l'oeuvre de Merce Cunningham. Un livre sur le chorégraphe est pris pour point de départ d'une pièce élaborée par vingt danseurs, avec Olivia Grandville.
Entretien
Olivia Grandville, chorégraphe.
Comment avez-vous sélectionné les danseurs ?
En octobre dernier, 70 personnes ont été auditionnées au Théâtre universitaire. 24 danseurs ont été retenus : de 14 à 61 ans, profils variés (étudiants, ingénieurs, musiciens, demandeurs d'emploi, enseignants, comédiens), ils ont travaillé plusieurs week-ends durant à l'élaboration de ce spectacle. Conçu par le chorégraphe Boris Charmatz, Roman photo est un projet pour danseurs non professionnels, adapté à Nantes sous cette forme du « roman-photo ».
Le plus étonnant est que vous proposez à ces non-danseurs de résumer un demi-siècle de danse ultra-conceptuelle...
Oui, le point de départ est un livre sur le chorégraphe et danseur Merce Cunningham, Fifty years. On le voit depuis ses débuts, et même à l'âge de 5 ans. La vie du danseur est devenue un livre, qui devient de la danse. Le concept de départ est de le prendre comme un « flip book », un livre d'images qui devient une partition photographique pour ce spectacle. La partition, c'est le livre.
Comment jouez-vous cette partition ?
Nous allons réaliser les 400 photos de ce livre, consacré aux différentes chorégraphies de Cunningham. La performance adopte un titre différent suivant les équipes concernées : Flip Book (danseurs professionnels), 50 ans de danse (anciens interprètes de la Merce Cunningham dance company). Dans notre cas, elle est baptisée Roman photo (étudiants, amateurs ou non danseurs).
Que pensez-vous du résultat ?
Ce qui est très beau, avec ces non-danseurs, c'est qu'on voit aussitôt la danse apparaître. Ils y entrent vraiment. C'est une manière de montrer que la danse appartient à tous et qu'elle n'est pas liée à une virtuosité. Même si les photos de départ révèlent la virtuosité de la technique Cunningham.
Peut-on parler d'une virtuosité de l'amateur ?
Il y a une vraie émotion dans cette joie de la dépense.
Le « continent amateur » est-il redécouvert par les professionnels ?
Il est régulièrement oublié. Beaucoup de courants américains des années 1970 s'y sont intéressés. On le voit revenir dans le retour du spectacle participatif, comme les flashmobs.
Recueilli par Daniel MORVAN.

En 2000, je rencontre Armand Gatti



‎mercredi‎ ‎25‎ ‎octobre‎ ‎2000
583 mots

A la Libération. Mon régiment de parachutistes était fixé à Château-Bougon. Nantes, c'était pour moi André Breton, lui qui m'avait pour ainsi dire sauvé la vie par ses livres. J'ai voulu mettre Nantes en état de réception. On a pris de l'alcool et on a forcé les agents de ville à en boire une demi-bouteille, revolver sur le ventre. 
Ça a surréalisé Nantes, les agents dansaient dans les carrefours. J'ai été arrêté mais je le garde comme quelque chose de précieux. 

Poésie. On vit sous domination rationaliste. Notre seul compagnon est Nietzsche qui a dit : ' nous avons l'art pour ne pas mourir de la vérité '. Dans le combat contre l'exploitation de l'homme par l'homme, tout le monde a échoué. Au Chiapas, le sous-commandant Marcos dit que ' la seule voie, c'est la poésie '. Quand je fais du théâtre avec mes ' loulous ' de Marseille, je commence par leur demander d'envoyer une lettre au chef des zapatistes pour lui dire que leur combat et le sien sont identiques. 

Loire. La Loire est un fleuve de langage. Moi je me suis marié avec la langue française, que je considère comme ma femme. Mon père était anarchiste (il avait créé une commune libertaire en Argentine, a été poignardé, puis a retrouvé ma mère à Monaco le jour de ma naissance). Pour lui, l'italien de Mussolini était ' la mauvaise langue '. Mes parents ­ balayeur et femme de ménage ­ travaillaient pour que je sois le premier en français, la langue des riches : ' montre-leur ce que sait faire le fils de l'anarchiste '. Mon père a été tué pour avoir écrit ' Cronstadt ' (1) sur un mur à 200 m du Casino de Monaco

Guerre Civile. La guerre civile est la seule où l'on connaît celui qui est en face. J'ai appelé mon fils Guerre Civile, on m'a condamné, au motif que ' Guerre Civile est un nom ordurier assimilable à pipi ou caca '. Du coup je l'ai appelé Stéphane. A cause de Mallarmé. Le seul poète anarchiste, l'anar des mots, qui n'écrit pas pour le peuple afin de faire accepter la défaite des pauvres. Aujourd'hui, le Verbe est mort. La communication l'a tué. 

Heiseiberg. Il a été accusé de physicien juif par les prix Nobel de l'époque, et n'a été sauvé que parce que sa mère était une amie d'enfance de la mère de Himmler. Les physiciens ont été les seuls à mener la bataille du langage, ils ont avancé l'idée d'un langage du possible pour créer une science de ce qui n'est pas directement visible. 

Daniel MORVAN

1. Cronstadt : en 1921, les marins de la flotte de Cronstadt se rebellent contre le pouvoir soviétique.

La robe de déportée de Gisèle va au musée






‎mercredi‎ ‎7‎ ‎mai‎ ‎2008
661 mots
Daniel Morvan

Plusieurs objets viennent d'être donnés au Musée d'histoire de Nantes : drapeau nazi, affiches. Et la robe de déportée d'une résistante, Gisèle Giraudeau.

De quel tissu cette robe est-elle faite ? Gisèle ne le sait pas. « Un tissu indéfinissable. » Cette robe fut pour elle comme une seconde peau, depuis son arrivée au camp de Ravensbrück en mai 1944 jusqu'à sa libération le 7 mai 1945.
« Je l'ai portée sous la neige, sous la pluie, sous la glace, quand il faisait moins 20 °C. » C'est l'un des objets qui viennent d'être donnés par des Résistants au Musée d'histoire de Nantes. Souriante, Gisèle Giraudeau dissimule son émotion. Répond aux questions les plus ingénues : « Alors, c'est vrai que cette robe, quand tu l'as enlevée, tu as mis un jogging allemand ? »

« Encore mettable, cette robe »

En effet, lorsque son camp fut libéré, Gisèle reçut comme ses camarades des vêtements propres, des survêtements. « Celles qui voulaient ont jeté leur robe. Moi je suis rentrée avec la mienne sous le bras. J'ai dit à maman : « Mets-la à bouillir ». Elle est habitée par des petites bêtes. Elle l'a bouillie et rebouillie. Et je l'ai gardée sous plastique. Elle est encore mettable. Si je puis dire. »
Cette robe sur les genoux, Gisèle raconte. La robe est un souvenir de l'horreur mais aussi de la survie. « Je l'ai fait voir aux enfants. La laisser au musée, c'est donner quelque chose de moi-même. Elle représente tant d'heures d'angoisse, de froid, de faim, de peur, d'attente que ça me serre encore le coeur d'en parler. J'ai dit à mes enfants : cette robe, vous la connaissez tous. C'est mon devoir de la remettre dans un musée où elle sera racontée. »
Gisèle Fraud (son nom de jeune fille) était membre du réseau Front national de lutte pour la libération et l'indépendance de la France. Elle fut arrêtée le 3 avril 1944, aux Assurances sociales de Nantes, où elle travaillait. « Une amie de mon groupe a été torturée et elle a dû lâcher des noms, dont le mien. Mais c'était surtout mon frère, Joseph Fraud, qui était recherché. »
Gisèle retrouvera son frère en 1945. Tous deux feront l'expérience identique : « Au bout d'un moment on n'avait plus envie de nous entendre et on a gardé ça pour nous. Quinze ans sans en parler. »

Amoureux d'une jolie blonde

L'histoire a un épilogue que raconte Jean-Claude, fils d'une amie de déportation de Gisèle. « Ma mère soutenait la petite Gisèle, au début, et ensuite c'était l'inverse. J'ai toujours le gobelet de ma mère, où elle avait gravé le prénom de ses enfants, pour s'en souvenir, parce que dans sa détresse il lui arrivait de les oublier. Et puis un jour, moi, fils de déportée, j'ai vu un jour débarquer un train allemand à La Baule. C'était dans le cadre du rapprochement franco-allemand. Une jolie blonde est descendue du train. C'était Elke. Je suis tombé amoureux. Son père était un soldat de la Wehrmacht. Forcément, ça n'a pas été simple à organiser comme mariage. »
Il paraît que le beurre blanc a largement facilité les choses.
Daniel MORVAN.

Gisèle Giraudeau donne sa robe d'internée du camp de Zwodau au Musée d'histoire de Nantes (château des Ducs de Bretagne).

samedi 22 avril 2017

L'Empereur d'Atlantis, sombre joyau de Terezin (2015)




Louise Moaty




‎lundi‎ ‎2‎ ‎novembre‎ ‎2015
756 mots
Daniel Morvan

À Nantes et à Angers, Louise Moaty avait déjà signé une mémorable mise en scène de « Vénus et Adonis », en 2013. « L'Empereur d'Atlantis », de Viktor Ullmann (1898-1944), a été créé en 1975, à Amsterdam. C'est à Theresienstadt que cet élève de Schönberg a composé son troisième opéra pour ses camarades de captivité en 1943. Il fut créé en 1975, à Amsterdam. Louise Moaty en propose une mise en scène poétique.



Entretien
Louise Moaty, metteur en scène de cette production de l'Arcal,compagnie nationale de théâtre lyrique et musical.


Quelles sont les circonstances exactes de la création de L'Empereur d'Atlantis ?
Il a été composé en 1943, au camp de Terezin (Theresienstadt), ghetto et camp de transit sur le chemin d'Auschwitz. Les arts y étaient tolérés. Terezin était une sorte de « vitrine officielle » des camps nazis, mais 33 000 personnes y sont mortes. J'ai visité ce camp, pour comprendre les conditions dans lesquelles on a pu y écrire et répéter un opéra. Ce sont des caves minuscules et glaciales, des greniers exigus. Il faut avoir mesuré l'étroitesse de ces lieux pour comprendre ce que l'art pouvait représenter, en terme de survie et de résistance contre la mort, pour ceux qui y étaient enfermés.
Quelle histoire nous raconte-t-il ?
Viktor Ullmann écrit L'Empereur d'Atlantis ou la mort abdique fin 1943, sur un livret de Peter Kien, qui disparut lui aussi à Auschwitz. Ils imaginent un monde dévasté, dirigé par l'Empereur Overall, enfermé dans un palais qui peut faire penser au bunker de Hitler. Un monde de l'entre-deux, où passent un Arlequin, la Mort, un haut-parleur évoquant la séduction de la parole fasciste. Dans sa folie, il invente la guerre totale de tous contre tous. La Mort refuse de se laisser enrôler dans cette entreprise. Elle fait grève et décide de cesser de faire mourir les hommes...
Mais l'ouvrage ne traite pas directement du nazisme ?
Ullmann et Kien n'y font jamais ouvertement référence. J'ai pris le parti d'un langage scénique simple, en utilisant la lumière comme langage fondamental. Je m'inspire, pour cela, d'un dessin d'un enfant de Terezin, Petr Ginz, mort à 16 ans, à Auschwitz. Un « paysage lunaire » qui délivre une force poétique dépassant le contexte d'écriture de cet opéra. Petr Kien était artiste peintre et les images des prés, des montagnes bleues, du monde du dehors sont, chez lui, très fortes. La partition est un florilège de styles, du mélodrame au bel canto, du jazz au choral luthérien. L'écriture est parfois surréaliste, ce qui justifie un costume à base de collages, par exemple. J'utilise aussi un décor de toiles de parachutes, qui contribuent à cette chorégraphie lunaire et rêveuse.
N'avez-vous jamais été tentée d'évoquer le camp avec plus de réalisme ?
Il ne serait pas juste de tenter d'évoquer les camps avec réalisme, avec des uniformes par exemple. Ils n'en portaient pas, là-bas. Nos projections mentales sont fortes : les camps sont déjà dans l'esprit du public, nul besoin de les montrer. Ma mise en scène n'est pas documentaire, elle se veut le manifeste de la poésie nécessaire pour survivre, sans illusions.




Recueilli par
Daniel MORVAN.


Viktor Ullmann
Né en 1898, Viktor Ullmann compta, parmi ses professeurs, Arnold Schönberg. Son oeuvre comporte des opéras, de la musique de chambre et des lieder. Déporté à Terezin en 1942, il compose, pour ses compagnons, vingt-cinq oeuvres. Viktor Ullmann écrivit en tête de la partition de L'Empereur d'Atlantis : « Les droits d'exécution sont réservés par le compositeur jusqu'à sa mort, donc pas très longtemps. » Il confia la partition à un ami avant de prendre le train de la mort. On perd sa trace à Auschwitz, le 16 octobre 1944.