dimanche 23 avril 2017

D'où vient ce vaisseau intersidéral appelé Pelléas et Mélisande ?

jef rabillon

Pelléas et Mélisande : intersidéral
QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
mardi 25 mars 2014
389 mots
Daniel Morvan

Critique

Un peu groggy, on retrouve à l'entracte la place Graslin éblouissante après la pluie. Avec ses houles, ses navires, ses fontaines, ses bagues perdues, d'où vient ce vaisseau intersidéral appelé Pelléas et Mélisande ? On voudrait répondre : d'un désir de tragique et d'érotisme absolu.
Emmanuelle Bastet (mise en scène) peut, on l'a vu, rendre crédible le tréfonds des enfers d'Orphée et Eurydice. Ici, elle pourrait faire se succéder les lieux magiques. Mais nous voici dans le cadre d'une maison bourgeoise claquemurée dans ses tiroirs à secrets, n'ouvrant sur la mer que par une fenêtre à guillotine. Décor suicidaire, qui évoque autant Rebecca de Daphné du Maurier que le roman Extinction de Thomas Bernhard. Ou l'Argol de Gracq. La tendance est au gros décor avec escaliers et balustrades, pris dans un flot de lave : on voit ce qu'on paie.
Ne résumons pas cette intrigue vénéneuse, conservons les images les plus obsédantes ciselées par Bastet. À commencer par celle de Mélisande à la tour, inondant Pelléas de sa chevelure, scène où s'affirme l'excellence du choix de Stéphanie d'Oustrac (mezzo), parfaite antithèse du cliché d'une Mélisande diaphane: celle-ci fait monter de quelques degrés la température de Graslin.
Il faut saluer la beauté de l'interprétation surplombante de Jean-François Lapointe (Golaud). Le récitatif de l'enfant Yniold (Chloé Briot) condense la vivacité d'une musique dont la mélodie secrète est à déchiffrer, dans les entrelacs des désirs et des peurs. Ce qu'exprime l'aveu d'amour à peine expiré de Mélisande, dans un duo d'une telle intensité que la musique elle-même se tait. Muette d'admiration, comme nous.
Daniel MORVAN.

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