mercredi 30 août 2017

L'amour fou au temps de Louis XIV


DIMANCHE OUEST-FRANCE
dimanche 6 septembre 2009
420 mots
Daniel Morvan
Laurence Plazenet est maître de conférence à Paris-Sorbonne et spécialiste de Port-Royal. - Crédit DR
RomanLe second livre de Laurence Plazenet raconte une folle passion à l'époque de la Fronde.
Il met aussi en miroir deux quêtes d'absolu, en Chine et en France.
Histoire d'amour fou, roman d'aventures, prodige d'écriture, La blessure et la soif est tout cela. Une passion naît entre un noble d'épée, M. de la Tour, et une grande dame, Mme de Clermont.
La guerre le mutile, elle le soigne. Ils s'aiment et, à la différence de La princesse de Clèves, il y aura une nuit d'amour. « Nous étions comme des dieux, mais les dieux sont suspendus entre des abîmes. » Car cet amour offense Dieu : La Tour décide de vivre à l'égal des bêtes dans un pays sans miroir, la Chine. Il trouve en Orient un frère, Lu Wei.
Doit-on s'étonner de cette rencontre ? L'amitié entre un ascète chrétien et un taoïste chinois est historiquement improbable. Laurence Plazenet déploie assez d'imagination savante pour la rendre captivante.
Ils vivent dans une cabane au milieu d'un lac. La Chine commence sur ses rives. Nous saurons l'enchaînement infini de sièges atroces, de sanglantes mises à sacs et de villes rasées qu'on appelle la chute de la dynastie Ming.
À la mort de son compagnon, La Tour revient en France, « rongé par son impuissance à préférer Dieu plutôt qu'une femme »L'amour qui a fulguré ne s'efface pas. Les brèves retrouvailles dans l'ombre d'une grange ressemblent à une grande page d'opéra. Mme de Clermont est une sublime héroïne romantique.
Tout dans ce livre respire la passion ardente diffusée dans la langue la plus pure, tour à tour haletante et lyrique, brève et ample. C'est Madame de La Fayette revenue au XXIe siècle. Et l'on voudrait en répéter les innombrables joyaux : « Il y a dans la ruine générale et incessante des choses, malgré l'écroulement permanent des créatures, des dons définitifs. »
La blessure et la soif
Gallimard, 23,50 €, 558 pages.
Laurence Plazenet est maître de conférence à Paris-Sorbonne et spécialiste de Port-Royal.
Daniel MORVAN.

samedi 26 août 2017

Liam O'Flynn, prince de la cornemuse irlandaise (uiellann pipes)


Liam O'Flynn, "a complete musician and a gentle soul" © donald glackin



Liam O'Flynn, l'un des plus illustres joueurs de uilleann pipes et de flûte irlandaise au monde, est mort le 14 mars 2018. Il appartint au célèbre groupe Planxty avant de fonder son groupe, «The Given Note Band». Il avait aussi joué aux côtés de Kate Bush, Emmylou Harris et Dire Straits. En 1997, j'avais rencontré cet homme discret, mais cependant légendaire par une maîtrise instrumentale portée au plus haut, et par son élégance. Je lui trouvais même une petite ressemblance avec mon grand-père maternel - autant de raisons pour vouloir le rencontrer quand l'occasion s'en présenterait. Voici l'article (sans angle, il faut bien le reconnaître!) paru le 20 mars 1997.


«Où peut-on louer un vélo?» Dieu sait pourquoi, ce désir de se promener en bicyclette nous surprend. L'impénétrable Liam O'Flynn aime surprendre son monde. Son image de sonneur hiératique n'est qu'une impression de surface. Son ami personnel Seamus Heaney, prix Nobel de littérature, l'écrit: «Sa grande stature de musicien illustre le paradoxe d'Oscar Wilde selon lequel en art le contraire du vrai est également vrai. En d'autres termes, derrières ces mélodies on peut entendre la liberté comme la discipline, l'élégie comme l'allégresse, un désir de solitude et l'amour des «seisiun» (pub sessions).»

Liam O'Flynn est un familier de la Bretagne. Il fait partie de ceux qui trouvent dans les finis terrae des climats similaires. Le piper a d'ailleurs entamé un dialogue avec la Galice et, en février dernier, a donné une grande tournée dans toute l'Espagne. «J'étais très étonné de voir de très jeunes garçons de Madrid ou Vigo s'intéresser au uilleann pipe. Et aujourd'hui en Irlande, on n'a jamais autant joué de cet instrument qui a failli disparaître il y a une cinquantaine d'années, du fait de l'émigration. Aujourd'hui, plus personne ne vient me demander quel est l'instrument bizarre dont je tire ces sons étranges, comme c'était le cas il y a encore quinze ans.» Son plus récent album («The Given Note», 1995) comporte d'ailleurs trois danses galiciennes jouées avec le groupe Milladoiro. 


La période la plus sombre


Il faut dire que Liam O'Flynn a hérité son art en droite ligne d'une tradition qui remonte au XVIIe siècle. Il accorde peu de crédit à la légende selon laquelle le uilleann pipes serait une manière, pour les Irlandais, de détourner l'interdiction de jouer debout de la cornemuse. Pour lui, la cornemuse de salon est, dans son ultime raffinement, le fruit d'une série de perfectionnements. «Vers 1750, des facteurs ont réalisé des améliorations au niveau des anches du «chanter» (chalumeau) qui ont permis d'ajouter un second octave. Mais l'histoire du uilleann pipes est une histoire non écrite dont les héros sont des inconnus. Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que cet instrument trouve sa forme définitive pendant la période la plus sombre de l'Irlande.» 

L'ancien piper de Planxty, le groupe qui popularisa le son de la cornemuse irlandaise, est d'abord un flûtiste. Il commence à pratiquer le pipes à l'âge de 12 ans, et rencontre Leo Rowsome (1903-1970), l'un des plus grands pipers du siècle. «Quand j'ai entendu le son du uilleann pipes pour la première fois, cela a été un grand moment d'émotion, j'ai su que c'était l'instrument dont je devais jouer.» Leo Rowsome était piper, luthier et professeur, «trois personnes en une seule à ma disposition». Son autre maître sera Seamis Ennis. L'un et l'autre légueront à Liam leurs instruments, dont il joue toujours en concert. La transmission d'une tradition, Liam O'Flynn a une certaine idée de ce que cela veut dire.

Daniel MORVAN

Liam O'Flynn: «The Given Note», Tara/Keltia Musique, 1995. 


Paru le jeudi‎ ‎20‎ ‎mars‎ ‎1997

675 mots

samedi 19 août 2017

Jean-Edern Hallier : je n'aime que ce qui fait pleurer

"La grande littérature doit faire monter les larmes"

‎jeudi‎ ‎14‎ ‎octobre‎ ‎1993
590 mots


Dis-moi ce que tu lis...

Jean-Edern Hallier a pleuré sur « Le dernier des Mohicans »


Jean-Edern Hallier, cinquième invité de notre enquête littéraire, a bien sûr lu et admiré Chateaubriand. Parce qu'il fut lui aussi « l'enfant du château », à Edern. L'écrivain va publier « La leçon de littérature » chez Bernard De Fallois. Il prépare des sculptures pour les colonnes de Buren, qui ne sont pour lui que des socles, et travaille sur un calvaire breton.

Quelle est votre première émotion littéraire ?

« Le dernier des Mohicans », sur lequel j'ai pleuré. De toutes façons, je n'aime que ce qui fait pleurer, la grande littérature doit faire monter les larmes : le roman c'est l'autre vie, la vie rêvée, le substitut de l'amour, de la haine, de la fraternité. C'est le médicament absolu. J'ai appris mon alphabet dans « Babar », puis ce fut Bécassine. J'étais indigné par le sort injuste fait à Bécassine, c'était un Poil de Carotte femme.

Parmi vos lectures, est-il un livre auquel vous revenez périodiquement ?

« Les mémoires d'outre-tombe » de François-René de Chateaubriand, comme on peut aisément l'imaginer. Comme on sait, mon Combourg est à Edern. A ceci près que j'ai une chance que Chateaubriand n'a pas eue : j'ai gardé mon Combourg, le château de la Boissière à Edern. Je n'en ai pas été chassé par l'infortune aristocratique. Dans la bibliothèque de mon grand-père, où étaient conservées des éditions originales de Chateaubriand, il y avait 10 000 livres, sentinelles obliques d'une armée imaginaire. Cette bibliothèque, c'était toute la présence impériale de la France, servitude et grandeur militaire. J'aimais aussi tous les grands Bretons, tout en craignant qu'on me considère comme un « plouc » à cause de ça : Souvestre et ses veillées, Anatole Le Braz et sa Légende de la mort, Brizeux, j'avais une passion pour le Barzaz Breiz de La Villemarqué, je feuilletais aussi la collection des bulletins de la société archéologique du Finistère. J'ai été formé dans cette celtitude - mot que j'ai d'ailleurs créé.

Que lisez-vous actuellement ?

Je ne peux plus lire. J'ai perdu la vue. On me lit les chroniques de Bernard Franck (« Mon siècle » éditions Quai Voltaire), notre dernier Montaigne français. Aujourd'hui, les beaux livres passent inaperçus, car la sous-culture journalistique occupe tout le terrain, avec des livres dont la durée de vie n'excède pas la quinzaine. La défense du livre est absurde, c'est la littérature qu'il faut défendre. On défend le bonbon, pas le cellophane. Parmi mes dernières lectures, il y a aussi « Le crime humanitaire », sur l'intervention en Somalie.

Quel est l'auteur ou l'oeuvre que vous admirez le plus ?

Shakespeare, comme tout le monde. Melville, comme pas mal de gens. Et le nouvelliste américain Salinger, comme plus personne. Le premier à cause de sa grossièreté aristocratique. Et aussi Rabelais, pour sa grossièreté ecclésiastique. Melville, lui, me donne envie d'aller mourir dans le Pacifique.

Recueilli par Daniel MORVAN.

Jean-Edern Hallier : « De toutes façons, je n'aime que ce qui fait pleurer, l. »