samedi 19 août 2017

Jean-Edern Hallier : je n'aime que ce qui fait pleurer

"La grande littérature doit faire monter les larmes"

‎jeudi‎ ‎14‎ ‎octobre‎ ‎1993
590 mots


Dis-moi ce que tu lis...

Jean-Edern Hallier a pleuré sur « Le dernier des Mohicans »


Jean-Edern Hallier, cinquième invité de notre enquête littéraire, a bien sûr lu et admiré Chateaubriand. Parce qu'il fut lui aussi « l'enfant du château », à Edern. L'écrivain va publier « La leçon de littérature » chez Bernard De Fallois. Il prépare des sculptures pour les colonnes de Buren, qui ne sont pour lui que des socles, et travaille sur un calvaire breton.

Quelle est votre première émotion littéraire ?

« Le dernier des Mohicans », sur lequel j'ai pleuré. De toutes façons, je n'aime que ce qui fait pleurer, la grande littérature doit faire monter les larmes : le roman c'est l'autre vie, la vie rêvée, le substitut de l'amour, de la haine, de la fraternité. C'est le médicament absolu. J'ai appris mon alphabet dans « Babar », puis ce fut Bécassine. J'étais indigné par le sort injuste fait à Bécassine, c'était un Poil de Carotte femme.

Parmi vos lectures, est-il un livre auquel vous revenez périodiquement ?

« Les mémoires d'outre-tombe » de François-René de Chateaubriand, comme on peut aisément l'imaginer. Comme on sait, mon Combourg est à Edern. A ceci près que j'ai une chance que Chateaubriand n'a pas eue : j'ai gardé mon Combourg, le château de la Boissière à Edern. Je n'en ai pas été chassé par l'infortune aristocratique. Dans la bibliothèque de mon grand-père, où étaient conservées des éditions originales de Chateaubriand, il y avait 10 000 livres, sentinelles obliques d'une armée imaginaire. Cette bibliothèque, c'était toute la présence impériale de la France, servitude et grandeur militaire. J'aimais aussi tous les grands Bretons, tout en craignant qu'on me considère comme un « plouc » à cause de ça : Souvestre et ses veillées, Anatole Le Braz et sa Légende de la mort, Brizeux, j'avais une passion pour le Barzaz Breiz de La Villemarqué, je feuilletais aussi la collection des bulletins de la société archéologique du Finistère. J'ai été formé dans cette celtitude - mot que j'ai d'ailleurs créé.

Que lisez-vous actuellement ?

Je ne peux plus lire. J'ai perdu la vue. On me lit les chroniques de Bernard Franck (« Mon siècle » éditions Quai Voltaire), notre dernier Montaigne français. Aujourd'hui, les beaux livres passent inaperçus, car la sous-culture journalistique occupe tout le terrain, avec des livres dont la durée de vie n'excède pas la quinzaine. La défense du livre est absurde, c'est la littérature qu'il faut défendre. On défend le bonbon, pas le cellophane. Parmi mes dernières lectures, il y a aussi « Le crime humanitaire », sur l'intervention en Somalie.

Quel est l'auteur ou l'oeuvre que vous admirez le plus ?

Shakespeare, comme tout le monde. Melville, comme pas mal de gens. Et le nouvelliste américain Salinger, comme plus personne. Le premier à cause de sa grossièreté aristocratique. Et aussi Rabelais, pour sa grossièreté ecclésiastique. Melville, lui, me donne envie d'aller mourir dans le Pacifique.

Recueilli par Daniel MORVAN.

Jean-Edern Hallier : « De toutes façons, je n'aime que ce qui fait pleurer, l. »

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