samedi 4 novembre 2017

La beauté vociférante du cinéma de Macaigne



L'histoire. Pauline et Pascal ont hérité du domaine familial où ils ont grandi. Ils ont préféré courir le monde. Quinze ans plus tard, les deux cigales reviennent pour vendre leur domaine grevé de dettes. Ils retrouvent leurs amis d’enfance. Telle est la trame de "Pour le réconfort", premier film du metteur en scène Vincent Macaigne.

La petite histoire. L'acteur et metteur en scène de théâtre Vincent Macaigne est devenu l'une des figures de la "nouvelle nouvelle vague" française. Ce film âpre et rugueux est à l'origine un travail d'acteurs, un montage de vidéos tournées sans aide financière lors d'un séjour à la campagne, près d'Orléans. Par delà les contingences du tournage et les à peu près du montage, une écriture forte s'est dégagée de cette suite de variations contemporaines autour de La Cerisaie de Tchekhov, en phase avec la crise de la "France oubliée" et vouée aux maisons de retraite. Au terme d'une quarantaine d'heures de vidéo, tournées à coup de répliques écrites sur le vif et taillées au couteau, puis suggérées aux comédiens qui s'en saisissent immédiatement (à la Cassavetes), le projet a pris corps. Ce travail au long cours (quatre années et 80 heures de rushes) a dégagé sa cohérence formelle à partir du travail sur la vocifération, malgré et grâce à son côté nature. "Les comédiens sont venus habillés comme ils l'étaient, et on a décidé que ce serait ça le costume du personnage." Un film "pour rien", donc, sans espoir de gratification, de salaire ou de gloire, juste "pour le réconfort" qu'il apporte à ceux qui l'ont fait, et à ses spectateurs.

Pourquoi faut-il aller le voir? C'est d'abord un film sur la France clivée, la France de "ceux qui ne sont rien" chers à Emmanuel Macron, face à la gentry hédoniste et mondialisée. L'aisance des jeunes aristocrates Pauline et Pascal est une insulte à leurs copains qui, eux (patron de BTP ou pépiniériste), ont travaillé dur. Le rachat du domaine aux enchères, pour une bouchée de pain, constitue une revanche de classe pour ces copains minés par le ressentiment. 
Mais finalement tout le monde s'y retrouve, sauf l'amie paysagiste, une femme douce qui rêvait de voir grandir une forêt sur les terres prêtées par Pauline et Pascal. 
Le film est constitué de plans fixes et de travellings à bord d'automobiles. 
De véritables tunnels de parole, de retour du refoulé social et de rancoeur qui explose en colères hurlées sur un registre théâtral et violent. C'est la partie la plus voyante du film, où s'affirme la signature Macaigne. Le réalisme social a rarement été traité avec autant de conviction sur un tel sujet de "sociologie française". 
On retient pourtant davantage une diatribe amère et calme de la soeur (Pauline Lorillard), magnifique de cinégénie, constat glacial de nullité existentielle adressée à son frère. La référence nouvelle vague s'impose aussi par la désinvolture affichée du montage, par certains plans d'une beauté picturale abstraite (les captures de skype depuis New York au début du film, une scène de nightclub, la procession sévillane filmée à l'Iphone et importée en douce dans l'univers des fêtes johanniques d'Orléans). C'est un film low cost tourné en dehors des clous (il a fallu se battre pour en imposer la légalité au regard des conventions collectives), qui possède tout le charme des oeuvres savamment improvisées et touchées par la grâce. Il faut voir Pour le réconfort, pour sa beauté et sa modernité, malgré le pessimisme d'une fin assez cruelle.
D Morvan

Pour le réconfort, de Vincent Macaigne
avec : Emmanuel Matte, Pascal Reneric, Laure Calamy, Pauline Lorillard, Joséphine de Meaux, Laurent Papot…

Michon et Pinson: "Ecrire avec les mots d'un ouvrier du BTP"


Jean-Claude Pinson
#PierreMichon



C'était à l'occasion du prix décembre 2002, décerné à Pierre Michon pour Abbés et Corps du roi (éditions Verdier). La veille d'une rencontre au Lieu unique de Nantes, j'avais réuni les deux frères de plume, Michon et le poète Jean-Claude Pinson.


Le monde, la zone

« Quand je lis Pierre Michon, dit Pinson, je m'intéresse beaucoup moins à l'intrigue qu'à l'intensité de la langue, et cela me permet de sortir de la poésie, de son afféterie. »
Écrivains de la grandeur déchue, des idéaux brisés, du ratage magnifique, tous deux confient à l'écriture le soin de « sauver » l'humain. Pour Pinson, "il y a le poème imprimé et le poème non-imprimé, qui est la vie, pouvant se concevoir comme un poème. » Conception qui n'est pas celle de Michon, pour qui l'absolu littéraire ne peut engendrer aucune prescription de vie : «Je laisse faire ma vie comme je peux et j'en tire ce que je peux. J'admire l'exigence morale, mais je ne suis pas un être moral. Le monde, c'est la zone, mais en l'écrivant, on en fait un réel aussi beau que le réel archéologique ».
Tous deux ont connu les années 70 où, entre mort de Dieu et maoïsme, de Blanchot à Sollers, il fallait oser pour écrire en dehors des clous. « Ils ont tout bloqué, et c'est tant mieux, ironise Michon. Déjà, ça en faisait moins sur le marché, car pour survivre comme écrivain, il fallait un solide bagage. »

Pinson, lui, parle de sa découverte des Vies minuscules comme d'une bouffée d'oxygène. Il était donc encore permis d'être inspiré et de produire de l'inouï, d'ignorer les nouvelles religions littéraires pour s'en remettre à sa propre vérité, à ces « moments de grâce où tu as l'impression que le vent te pousse dans le dos, avec l'idée qu'on peut faire si bien son nid dans le langage qu'il fera son travail tout seul ».

Lyrisme pas mort. Écrire avec du souffle, et qu'on entende « battre le pouls de l'expérience », dans une langue que tout le monde puisse comprendre. Un rêve ? « Je n'en suis pas encore capable, dit Michon. J'aimerais écrire des textes où il n'y ait pas un mot à chercher dans le dictionnaire. Comme Hugo : les gens du peuple peuvent le lire et c'est de la sur-littérature. J'aimerais pouvoir écrire sur Beckett avec les mots d'un ouvrier des travaux publics. »
 
Daniel Morvan




‎jeudi‎ ‎21‎ ‎novembre‎ ‎2002
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