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vendredi 3 février 2017

Misa Tango, l’émotion en rouge et noir

« Une messe comme ça, c’est tous les dimanches ! » Ce mot en fin de concert, c’est « l’effet misa tango » : prenez une messe, colorez-la en rouge et noir d’Argentine, épicez de bandonéon, ajoutez une voix de mezzo (Corinne Bahuaud) qui vous colle des frissons, et vous obtenez 45 minutes de bonheur. Misa tango : l’eau et le feu. On bat la mesure, on se laisse emporter par les coups d’archets de contrebasse, les nappes des violons polonais. La plainte du bandonéon (Christian Grimault), roi du tango, répond à l’enthousiasme swinguant d’un chœur de chambre (Éclats de voix) plus fiévreux que jamais. Kyrie, gloria et credo passent comme une lettre à la poste de Buenos Aires. On croirait pourtant entendre se tendre une jupe fendue et un couple, front contre front, faire craquer le parquet d’une salle de cabaret. Ce tango-là, interlope et canaille, est une danse de l’âme : c’est un blues et une prière. Il est pétri de cette tristesse qui fait naître des sourires, allez comprendre !

Daniel Morvan




Gérard Baconnais dirige Eclats de Voix et l'orchestre de chambre du Sinfonia Varsovia
Enregistrement disponible à l’espace disques de La Cité.

La folle journée: Voyage dans un monde timbré



C’est timbré, la musique. Le timbre, c’est la vie du son, l’épaisseur de l’instrument, ce mélange de spectre, de vibrato, de son, de charnu, de boisé, de subtil, un truc indéfinissable. Prenez ce bête triangle, oui, celui de l’Orchestre national de Lettonie. Ne vous égarez pas dans la blondeur et la rousseur des violonistes, oubliez le pont des soupirs et concentrez-vous sur ce triangle. Si fascinant : la pièce la plus petite de l’orchestre, et pourtant… Andris Poga, le chef, a mené la répétition à l’arraché. On révise les raccords, on vérifie le velouté de la clarinette dans le beau tango d’Arturs Maskats, et roulez jeunesse. Ce concert va vous brouiller avec vos repères, mix de Venise (les chevelures), de Budapest (les danses hongroises) et de Buenos Aires. Baladés de Riga à Venise, vous n’aurez bientôt plus qu’un point d’ancrage : le son bien timbré du triangle qui traverse l’auditorium jusqu’à votre tympan. Imperceptible, minuscule, et pourtant, comme il porte la mélodie loin, cet accent aigu !
Avec le quatuor de percussions Esegesi, c’est un autre royaume. Quarante-cinq minutes de batterie : autant dire émotion zéro ? Pas si vite ! Un festival de timbres, là aussi, entre woodblocks, casseroles, chaudrons, marimbas, toms basses, bols tibétains. Partitions de Xenakis, Reich ou Nystedt, le public entassé dans le Lieu unique ne pipe mot : aucun doute, taper comme des dingues sur des tambours, ça peut faire vibrer la fibre humaine aussi.
Ce parcours se terminait sur la Music For Eighteen Musicians de Steve Reich. C’est un peu la Messe en si du minimalisme. Une merveille du XXe siècle, une heure d’immersion dans la rêverie lointaine des années 1970. Un orchestre beau comme le Chrysler Building : quatre pianos à queue, quatre xylophones, métallophones ou marimbas, un violon, un violoncelle, quatre choristes, et deux clarinettes basses qui rebrassent l’incroyable pâte sonore et vous transportent dans d’autres mondes. Par son ampleur et sa puissance, cette œuvre a fait disparaître la notion de « minimalisme » au profit de quelque chose de plus fort, de plus fou. Nous étions partis. En Inde, en Afrique, dans un continent inexploré, dont les timbres dessinaient la carte.
Daniel Morvan


Jérôme Fouquet

lundi 2 mars 2015

Irène Duval et Virgil Boutellis dans le tourbillon de la vie

Leur duo, c’est un peu Le tourbillon de la vie : on s’est connus, on s’est reconnus. L’un et l’autre se connaissaient de réputation. De rumeur en légende naissante, à un moment ou un autre, le duel était inévitable : croiser le fer, jouer en duo et sentir le feeling. Coup de chance, ils se sont reconnus et c’est tant mieux pour la musique, car Irène et Virgil forment un beau duo. « C’est mystérieux, quelquefois ça marche, parfois non », résume Virgil, couvant du regard la housse de son instrument et plus encore ce qu’il contient.





D’ailleurs, qui peut prétendre savoir que ça existe, les duos de violonistes ? « C’est vrai, confirme Irène, regard magnétique derrière ses lunettes à monture noire, on ignore souvent qu’il existe un vaste répertoire pour duos de violons, de Jean-Marie Leclerc à Philippe Hersant, en passant par Prokofiev et Chostakovitch ».


Empoigner un concerto de Bach


Mais difficile d’ignorer que ces deux-là, c’est la classe internationale, à ce genre de petite remarque : « Je me suis aperçu que je n’avais jamais pris l’avion sans mon violon dans le coffre à bagages » (Virgil), ou : « j’ai commencé par des cours particuliers à Hong Kong, avant Paris, d’ailleurs je suis à demi-coréenne » (Irène).
Inutile aussi d’avoir sa carte d’abonné à la salle Pleyel pour s’apercevoir qu’ils jouent comme des dieux. Mais pas effleurage d’archet mode Disney channel, non : comme ils vous l’ont empoigné, ce concerto de Bach, avec quel mordant ils en ont fait entendre le saignant et le swing !
À quoi cela tient-il, vous demandez-vous en applaudissant entre les mouvements, ce qui est contraire au code de bonne conduite mais tellement plus cool ?


En dehors du talent, ces deux-là, c’est un peu la mondialisation de l’archet. Étapes du parcours : France, Budapest, Londres, tel Aviv et États-Unis pour lui, Corée, Paris (professeur polonaise) et Crönberg pour elle : « Nous mixons les écoles russe, franco-belge et américaine, observe Virgil, mais à Budapest, j’ai aussi joué dans un club tzigane et Irène joue du tango ».


Un facteur porté sur la bouteille


À quoi cela tient-il ? L’instrument lui-même n’y est pas pour rien. Virgil joue sur un Domenico Montagnana. Il fut joué par Régis Pasquier et a été reconnu hier par de fines oreilles.
« Quand on est soliste, on n’est jamais sonorisé, on doit emplir tout l’espace avec le seul son sorti du violon. Compte-tenu de la valeur des instruments, nous n’en sommes jamais propriétaires. Nous avons donc toujours un rêve : Trouver le mécène qui financera ce rêve. »
Le rêve peut s’appeler Stradivarius. Mais un peu trop facile, tout de même. Un Strad’est tellement idéal qu’il peut façonner votre jeu. Virgil et Irène rêvent encore plus haut : d’un violon qu’on dompterait comme un cheval sauvage. Un farouche, hirsute et sanguin, par exemple un Guarneri del Jesu. « Il a un son plus sombre, il est abrupt, taillé au couteau par un facteur à la réputation de bon buveur. Personne ne sait pourquoi ses violons sont parfaits. »
Les violons ont ce point commun avec les pyramides : un secret jamais dévoilé. Et un charme immarcescible.


Daniel MORVAN.
Irène Duval et Virgil Boutellis, dirigés par Maxim Emelyanychev (Sinfonia Varsovia) : A 22 ans et 29 ans, ils forment un duo à la fois gracieux et vif.
Marc Ollivier