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mardi 20 décembre 2016

Parti pour Avignon, je couvre l’attentat de #Nice




Pour moi, 2016, c’était ça. Le soir de la Fête nationale, à Nice, un homme a lancé son camion sur la foule. Je venais d’arriver en Avignon, pour le Festival. Je me suis dérouté.


On sait rarement ce qui nous attend quand on part en reportage. Mon agenda de 2016, du 14 au 18 juillet : Festival d’Avignon. Mon premier festival « in » en trente-quatre ans de métier. Dix-sept heures de théâtre au programme, des Damnés à 2666.
Le soir de la Fête nationale, à Nice, un homme a lancé son camion sur la foule, tuant 86 personnes. Je venais d’arriver en Avignon quand je reçus l’appel de la rédaction en chef. J’ai barré Avignon sur mon agenda, pour y inscrire : Nice.
J’étais dérouté.
J’ai trouvé là-bas mon camarade reporter Marc Mahuzier. Ultra-efficace. À l’hôtel Univers, aucun problème de réservation, les touristes fuyaient. J’ai marché sur la promenade des Anglais. 2 km de bitume, comme une marelle sanglante. La ville émergeait de vingt-quatre heures d’hébétude sous l’œil des chaînes d’info, posées là au carrefour, devant le public hostile.
Aux terrasses, le vieux Nice faisait semblant de vivre. Mais toutes ces âmes errantes, portant en elles des visions de corps écrasés. Ces cyclistes sillonnant la prom’, comme aveugles, lancés à fond. Joggeurs. Selfies. Fleurs, fleurs, fleurs. Petits mots. Je parlai avec l’homme qui avait organisé le plan blanc du CHU Pasteur : neuf salles d’op’ ouvertes pour accueillir 80 victimes, 29 urgences vitales la première nuit. De la chirurgie de guerre, à laquelle un exercice les avait préparés, en mai. Ils avaient «appris à être surpris».
Je suis retourné sur la prom’. Je regardais bêtement la Baie des anges, en me disant : tu ne vas pas parler du ciel bleu quand 84 personnes sont mortes. En me demandant si je saurais être surpris. Des gens passaient outre les cordons de police, serviette éponge sur le bras. Et j’ai vu. Quelque chose sans lien apparent avec la tuerie se passait là, dans le ressac des galets. Cette chose, c’était la mer.
Le désir de mer, plus fort que la mort ? Cela faisait cliché : en face d’un article sur la chaîne chirurgicale de survie, un autre sur le déchoquage de Nice aux bains de mer ? Sérieux ? Oui. Je marchai dans les galets. Un plagiste cambodgien avait étendu des blessés sur les chaises du Negresco. Il me dit: après le massacre, il faut se baigner, pour montrer qu’on n’a pas peur.
Un jeune couple de Lorient avait loué une semaine. Ils avaient vu le camion «chercher ses victimes», du vrai Stephen King. Ils refaisaient leur marelle de cauchemar, retrouvaient l’endroit où le camion les avait frôlés. Revoir la mer, se baigner « par nécessité, pour prendre soin de soi, et ne pas céder à la peur. »
Dans le magasin de la place Masséna, les maillots de bain étaient soldés. J’en ai acheté un orange. Une fois les articles livrés, j’ai piqué une tête dans l’indigo pur. À Nice comme ailleurs, la mer est synonyme d’un autre mot en trois lettres : vie. »
Texte et photo: Daniel Morvan.

Courriel : daniel.morvan@ouest-france.fr
Facebook :morvandani


Ph Ulf Andersen
Twitter : funamwalker
https ://www.facebook.com/morvandani
https ://twitter.com/funamwalker






 



vendredi 26 août 2016

Chirurgie de guerre le 14 juillet à Nice

Chirurgie de guerre au CHU Pasteur

Témoignage d'un chirurgien orthopédique, traumatologiste chef de clinique au CHU Pasteur 2 Nice.



Le soir du 14 nous étions à la maison, avec des amis, également médecins. Je reçois un coup de fil annonçant un attentat et le lancement du plan blanc. Nous confions notre jeune fils à une amie, et partons. Au CHU, tout le monde est là, les internes, les externes, les étudiants, par besoin d'être utile. Nous avons formons deux équipes: l'une pour accueillir et trier les blessés, l'autre pour opérer. Nous avons créé pour chacune des 18 salles du bloc une équipe complète, avec un chirurgien orthopédiste, un autre viscéral, un anesthésiste, des infirmiers et des internes. En une demi-heure nous organisons une chaîne humaine très efficace. A l'arrivée des premiers blessés au CHU, le personnel est choqué: les hématomes faciaux, les membres arrachés provoquent des pleurs et des évanouissements. C'est l'effroi, mais si on panique on ne fait pas les choses. Une femme demande où est sa fille, alors qu'elle est décédée. Une autre parle de son mari mort sous ses yeux. Au bloc, nous explorons les plaies, dressons un bilan des lésions vasculaires, des fractures, ligaturons les vaisseaux pour stopper les hémorragies. Il faut alors décider ou non d'amputer, décision lourde à prendre. Ce sont des blessés de guerre avec des plaies profondes, comme un accident de la route avec 50 blessés en urgence absolue, qui arrivent en même temps. A 5h du matin, les cas gravissimes sont traités. On se couche une heure. A 7h30, on débriefe et on affine le geste chirurgical pour certains patients, jusqu'au soir. 48h sur le pont.

vendredi 22 juillet 2016

Le 15 juillet 2016, sur la promenade des Anglais

48 heures après l' attaque terroriste du 14 juillet, la promenade des Anglais a été réouverte. Envoyé au festival d'Avignon, j'ai été dérouté sur Nice. 

La mer n'est pas moins bleue qu'avant-hier. Le lendemain du 14 juillet, un chemin de fleurs jalonne la trajectoire du camion. Un mausolée de fleurs, où les caméras tournent en continu. En marge, certains vont à la mer. Sac de plage en bandoulière, ils bravent les cordons de sécurité pour atteindre la plage. Et cela n'a rien à voir avec de l'indifférence: "Cela fait quarante ans que je me baigne ici, et je ne vois pas pourquoi ça s'arrêterait, justifie ce retraité bien campé sur ses galets, au milieu d'un groupe d'amis où se trouve l'italienne Nevina. "Le camion m'est passé à trois mètres, dit-elle, c'est juste la chance si je ne suis pas passée sous les roues. Alors je me baigne."
Pythou est le plus vieil employé de Neptune Plage. "J'ai connu les camps de réfugiés au Cambodge, dit-il, et j'en suis sorti très endurci. Mais ce que j'ai vu le soir du 14 juillet à Nice m'a tiré des larmes. Des enfants écrasés, des blessures affreuses. Pour moi, remettre mes 300 matelas sur la plage, c'est un peu une preuve de courage. C'est un acte civique de venir se baigner ici." Et ici, c'est la plage du Negresco, le palace niçois. Les souvenirs du 14 juillet débordent: "On a entendu un grondement sur la toiture du bar, une avalanche de personnes qui sautaient du parapet pour échapper au camion."
Patricia, la directrice du Neptune, raconte qu'elle avait organisé une soirée dans son restaurant de plage. Soudain, après le feu d'artifice, le public déferle en masse sur la plage, se réfugie dans la vaste salle, où sont étendus blessés, femme enceinte tétanisée, fillettes chinoises terrorisées. "On entendait des coups de feu sans savoir qui tirait, on s'attendait à être la cible de tirs de kalachnikov. Et vers 4 heures du matin, le désert. La promenade, les corps, l'armée. Nous avions eu peur d'un attentat pendant l'Euro de football mais le 14 juillet nous étions confiants, rien n'allait arriver, pensions-nous." 
Et ces mêmes histoires qui reviennent, d'enfants sauvés parce qu'ils voulaient acheter des bonbons, s'écartant de la trajectoire.


C'est un jeune couple, parmi ceux qui errent dans les rues de Nice, et vont déposer une rose, un bouquet là où ils ont vu des personnes tomber. Ils étaient venus à Nice passer une semaine, "Au Negresco, affirme Olivier, jouant les riches touristes, avant de corriger: Non, je plaisante, une petite chambre louée, juste derrière."
Ils reviennent confronter les images d'horreur au bleu de la mer. Vérifier la réalité de l'événement sur le bitume du boulevard de la mort. Ils refont lentement le chemin, marchent là où ils ont couru, se mettant à l'abri du 19 tonnes lancé à 90 km/h: "On s'est rangés derrière les porte-vélos, juste après les halles, là où le camion a traversé la chaussée, zigzaguant pour chercher ses victimes. On a couru dans les galets, j'ai dit à Anne: couche-toi", se souvient Olivier. 
"On aurait tellement aimé porter secours, dit-elle, navrée, mais on a juste réussi à sauver notre peau. Et depuis, on n'arrête pas de se retourner au moindre bruit." Eux aussi continuent de croire à la couleur de l'océan, sur cette promenade des sanglots qui dresse ses parasols. Tous frôlés par la mort, un soir de feu d'artifice. "Le lendemain, confie la jeune Lorientaise, je n'avais pas trop envie du plaisir de la baignade. Mais je me suis baignée quand même avec Olivier. Par nécessité. Parce qu'il faut prendre soin de soi, et ne pas céder à la peur."

Daniel Morvan, le 16 juillet 2016 à Nice (reportage relu et mis à jour le 8 août)