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samedi 4 novembre 2017

La beauté vociférante du cinéma de Macaigne



L'histoire. Pauline et Pascal ont hérité du domaine familial où ils ont grandi. Ils ont préféré courir le monde. Quinze ans plus tard, les deux cigales reviennent pour vendre leur domaine grevé de dettes. Ils retrouvent leurs amis d’enfance. Telle est la trame de "Pour le réconfort", premier film du metteur en scène Vincent Macaigne.

La petite histoire. L'acteur et metteur en scène de théâtre Vincent Macaigne est devenu l'une des figures de la "nouvelle nouvelle vague" française. Ce film âpre et rugueux est à l'origine un travail d'acteurs, un montage de vidéos tournées sans aide financière lors d'un séjour à la campagne, près d'Orléans. Par delà les contingences du tournage et les à peu près du montage, une écriture forte s'est dégagée de cette suite de variations contemporaines autour de La Cerisaie de Tchekhov, en phase avec la crise de la "France oubliée" et vouée aux maisons de retraite. Au terme d'une quarantaine d'heures de vidéo, tournées à coup de répliques écrites sur le vif et taillées au couteau, puis suggérées aux comédiens qui s'en saisissent immédiatement (à la Cassavetes), le projet a pris corps. Ce travail au long cours (quatre années et 80 heures de rushes) a dégagé sa cohérence formelle à partir du travail sur la vocifération, malgré et grâce à son côté nature. "Les comédiens sont venus habillés comme ils l'étaient, et on a décidé que ce serait ça le costume du personnage." Un film "pour rien", donc, sans espoir de gratification, de salaire ou de gloire, juste "pour le réconfort" qu'il apporte à ceux qui l'ont fait, et à ses spectateurs.

Pourquoi faut-il aller le voir? C'est d'abord un film sur la France clivée, la France de "ceux qui ne sont rien" chers à Emmanuel Macron, face à la gentry hédoniste et mondialisée. L'aisance des jeunes aristocrates Pauline et Pascal est une insulte à leurs copains qui, eux (patron de BTP ou pépiniériste), ont travaillé dur. Le rachat du domaine aux enchères, pour une bouchée de pain, constitue une revanche de classe pour ces copains minés par le ressentiment. 
Mais finalement tout le monde s'y retrouve, sauf l'amie paysagiste, une femme douce qui rêvait de voir grandir une forêt sur les terres prêtées par Pauline et Pascal. 
Le film est constitué de plans fixes et de travellings à bord d'automobiles. 
De véritables tunnels de parole, de retour du refoulé social et de rancoeur qui explose en colères hurlées sur un registre théâtral et violent. C'est la partie la plus voyante du film, où s'affirme la signature Macaigne. Le réalisme social a rarement été traité avec autant de conviction sur un tel sujet de "sociologie française". 
On retient pourtant davantage une diatribe amère et calme de la soeur (Pauline Lorillard), magnifique de cinégénie, constat glacial de nullité existentielle adressée à son frère. La référence nouvelle vague s'impose aussi par la désinvolture affichée du montage, par certains plans d'une beauté picturale abstraite (les captures de skype depuis New York au début du film, une scène de nightclub, la procession sévillane filmée à l'Iphone et importée en douce dans l'univers des fêtes johanniques d'Orléans). C'est un film low cost tourné en dehors des clous (il a fallu se battre pour en imposer la légalité au regard des conventions collectives), qui possède tout le charme des oeuvres savamment improvisées et touchées par la grâce. Il faut voir Pour le réconfort, pour sa beauté et sa modernité, malgré le pessimisme d'une fin assez cruelle.
D Morvan

Pour le réconfort, de Vincent Macaigne
avec : Emmanuel Matte, Pascal Reneric, Laure Calamy, Pauline Lorillard, Joséphine de Meaux, Laurent Papot…

samedi 7 octobre 2017

Godard vidéaste en 1986: Mocky et les 40 chômeurs

Marie Valera est Eurydice dans Grandeur et Décadence d'un petit commerce de cinéma


La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable.
Distribué pour la première fois en salle cette année 2017, Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma fut réalisé par Godard pour TF1 en 1986, avant la privatisation de cette chaîne. Dans le cadre d'un hommage télévisé collectif à la Série Noire, il est supposé s’inspirer d'un mauvais polar de James Hadley Chase, Chantons en chœur. Le film dénude la mécanique boutiquière du cinéma, les rouages financiers, l'argent sale, la dimension artisanale d'un art dont les grands sont, comme les maréchaux napoléoniens, tombés au champ d'honneur.

A l'heure du recrutement des figurants, c'est le ballet des chômeurs et des techniciens qui défilent dans les locaux de JLG Films, la petite entreprise de Jean-Luc Godard, en crise depuis La Chinoise (voir le biopic "Le Redoutable" de Michel Hazanavicius, d'après le roman d'Anne Wiazemsky, Un an après). Voilà pour la contingence qui constitue, selon Baudelaire, "une moitié de l'art". L'éternel et l'immuable se situent dans la manière dont Godard fait fusionner le scénario de commande avec une recherche de la beauté. 
"Le cinéma c'est autant l'art de chercher un beau visage à mettre sur la pellicule que celui de trouver l'argent nécessaire à l'achat de cette pellicule", écrit-il dans le synopsis fourni au spectateur (le singulier est de mise, lorsque vous êtes le seul spectateur dans la salle, avec toutefois, ce jeudi-là, la projectionniste du Concorde venue en début de séance caler la mise au point du film restauré). 

Grandeur et décadence… nous offre en effet de belles retrouvailles avec Jean-Pierre Léaud, chef furax du casting, et Jean-Pierre Mocky, double fulminant de Godard, qui construit son système de production autonome et manie les liasses de billets dont la provenance douteuse inquiète la comptable. Autant de circonstances qui nous mènent au moment réellement merveilleux du film celui du casting, où les candidats "de l'ANPE" défilent devant la caméra de la chef opératrice (jouée par Caroline Champetier). 
Godard déconstruit une phrase de Faulkner qu'il découpe en morceaux pour les faire prononcer par les candidats au casting, comme des bovins dans une ligne d'abattage, sur une musique d'Arvo Pärt. Tant de figurants pour articuler une seule phrase de Faulkner. Envoûtante séquence répétitive où l'on parvient difficilement à saisir l'intégralité de la phrase, séquence qui annonce les études formelles d'Histoire(s) du cinéma, grand oeuvre vidéo que Godard s'apprêtait alors à mettre en chantier. 
Oui, les références antiques affluent ici, tantôt à travers le visage d'Eurydice (Marie Valera filmée comme un tableau de Vermeer dans un jeu de surimpressions), d'une actrice du muet, et d'autres beautés revenues d'entre les morts qui font de cette séquence une cantate de visages inquiets, banals et sublimes. 

Daniel Morvan


race humaine.

mardi 7 février 2017

Godard, peintre du XXe siècle



Du dimanche 12 au dimanche 26 février 2017, le Cinématographe (Nantes) revisite l'œuvre de Jean-Luc Godard, de la Nouvelle-Vague aux années 2000. Occasion de revoir 34 de ses films, 7 courts-métrages et des cinétracts.
Entretien
Alain Bergala, critique, enseignant, spécialiste de l’œuvre de Godard.

Pourquoi a-t-on tant aimé Godard?
Dans les années 60, les jeunes disaient: lui, il parle de nous. Et aujourd’hui, il renoue avec ça: ce vieux cinéaste est le plus fort pour attraper l’air du temps. Il reste synchrone, alors que le cinéma a toujours dix ans de retard sur son temps. Il sait trouver la forme pour dire le présent.

Où son originalité se situe-t-elle?
La rupture qu’il introduit avec l’économie traditionnelle du cinéma, de sorte que faire un film peut lui prendre un an ou deux jours. Pourquoi? Parce que son modèle est plus proche de la peinture, et qu’il travaille avec le temps.

Mais on cite toujours les mêmes films: A bout de souffle, Pierrot le fou, Le mépris. Et après?
L’après années 60 est aussi importante. Il a sa période militante où il n’est plus vu par personne. Il fait ensuite de la télévision à Grenoble, avant de revenir au cinéma. Il ne refait jamais deux fois le même film, comme Picasso ne refaisait pas ses tableaux. Les entrées ne sont plus son problème; il ne se laisse imposer aucune règle. Et pour un producteur, c’est un honneur absolu, la gloire d’une vie que de produire un Godard, même à perte.

Chantre de « la vérité vingt-quatre fois par seconde », Godard est ensuite devenu le dépositaire de l’histoire du cinéma. Qui est le vrai Godard, selon vous?
Le plus grand cinéaste. Les autres trouvent leur style, lui a créé vingt styles, il est le seul à avoir tout exploré, et son œuvre est sans le moindre doute la plus importante du XXe siècle. Il a payé cher cette liberté en angoisse, il ne mène pas ce qu’on appelle une belle vie, lui qui est né en 1930.

Où vit-il?
Il est revenu à Rolle, sur les bords du lac Léman, où son père médecin avait sa clinique. Il vit dans un petit appartement standard et sans luxe.

Vos trois séquences préférées?
J’adore vraiment la séquence abstraite des corps étendus sur les draps dans Une femme mariée, où il invente une esthétique. Puis la dispute dans l’appartement romain du Mépris, qui résume son cinéma. Et la scène du garage de province dans Film socialisme, qui m’a sidéré.

Vos trois films préférés, que vous emporteriez sur une île déserte?
Le Mépris, qui est le plus achevé. Godard casse ce qu’il fait au montage. Là, il a conservé la perfection de l’objet. Ensuite Pierrot le fou, un objet romantique lui aussi tourné au bord de la Méditerranée.  Ce film solaire est le contraire de ce qu’il est. Et enfin Film socialisme, où il sert du cinéma pour faire l’état des lieux de nos vies, nos familles, nos enfants, nos classes sociales.

Le mépris est revenu en salle dans une version restaurée. Et l'Italie va enfin le découvrir?
Mais oui, les Italiens n’ont jamais vu le vrai Mépris. Il est sorti en Italie dans une version charcutée, amputé de 16 minutes et sans la sublime bande originale de Georges Delerue. Le producteur italien lui a préféré la musique d’un jazzman local. Le vrai Mépris va enfin être montré en Italie, et je suis heureux d’aller leur présenter une copie parfaite de ce film.

Recueilli par
Daniel Morvan.


Quinzaine Godard du 12 au 26 février au Cinématographe, 12bis rue des Carmélites, tél.02 40 47 94 80.
Du 12 au 26 février, voir et revoir l'oeuvre de Jean-Luc Godard, au Cinématographe, qui projette 34 films.

Deux ou trois films qu'il faut avoir vus de lui

 
 

Le mépris
Les images tournées à Capri, dans le décor de la villa Malaparte, et la musique de Delerue, gravent ce film dans le marbre antique. Scénariste à succès, Paul travaille à une adaptation de L’Odyssée. Paul est marié à Camille. Subitement, Camille le méprise, sans explication. A la fin sereine du cinéma classique incarné par le cinéaste allemand Fritz Lang, s’oppose le début angoissé du cinéma moderne, personnifié par Michel Piccoli. Un film totalement envoûtant, qu’on aime avant de le comprendre. Lundi 13 février à 20 h 30, vendredi 17 à 14 h 30.













Pierrot le fou
Le grand film cubiste de Godard, bourré de collages et de citations : Balzac, Jules Verne, et les chansons : Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerais toujours, ô mon amour et Ma ligne de chance de Serge Rezvani. Dans son dixième long métrage (1965), Godard joue avec les couleurs primaires : bleu, jaune, rouge. Il travaille le texte, le mot, à la manière d’un écrivain. Tout oppose l’impulsive Marianne, qui préfère les disques et la danse à l’intellectuel Ferdinand qui préfère la lecture et l’écriture. Cette opposition était déjà celle de Camille et de Paul dans Le Mépris.


Histoire(s) du cinéma (1999)
Le cinéma était fait pour penser, dit Godard. Le XXe siècle n’en a pas voulu, le cantonnant à d’autres rôles. Histoires(s) du cinéma raconte toutes les histoires nées du désir mégalomane de leur réalisateur d’être maître du monde. Confronté à ce qu’il aurait pu être, un instrument de pensée, confronté aux lâchetés de la guerre, le cinéma n’est plus que « la monnaie de l’absolu ». Avec le sac à main de Marnie, le chignon de Madeleine dans Vertigo, l’autocar dans le désert de La mort aux trousses, Hitchcock invente une manière de partager les signes mystérieux par un milliard de spectateurs.

mardi 12 juillet 2016

Ennio Morricone, portrait du musicien en chien de prairie


Extérieur jour, un taxi traversant Rome.
L’homme est sujet aux éruptions brutales. La gaffe peut vous valoir la roche tarpéienne: « Lorsque vous vous adressez à Ennio Morricone, précise la feuille de route de la production à l’intention des journalistes, il convient de l’appeler Maestro. Ne surtout pas utiliser l'expression Spaghetti Western. »
Sur la route vers le centre de Rome, le chauffeur du taxi nomme les beautés de sa ville: le Capitole, la gorgone appelée « la bouche de la vérité », la piazza Navona, le rue des Boutiques Obscures, « la machine à écrire », comme les romains appellent le monument à Victor-Emmanuel II. Sur lequel donnent les fenêtres du Stakhanov italien de la clef de sol.
500 musiques de films au compteur: Il était une fois dans l’ouest, Le Bon, la brute et le truand,  Pour une poignée de dollars, L’Oiseau au plumage de cristal, Mission, Cinéma Paradiso, Here’s to you (thème de Sacco et Vanzetti) ou Il était une fois en Amérique.

Mais six seulement avec Leone. Les autres vont d’Almodóvar à Zeffirelli en passant par Pasolini, Molinaro, Brian de Palma, Giuseppe Tornatore, et même les séries Z d’épouvante. Ces tubes forment une partie du concert de sa tournée européenne, manière d’adieu au western de nos enfances. Au pupitre, l’homme que nous rencontrons dans un instant: bon, brute ou truand?

Intérieur jour: antichambre d’un luxueux appartement de la piazza Venezia.
Derrière cette porte capitonnée d’or, le maestro nous reçoit. Rien, sur les murs, n’évoque le cinéma. Céramiques de Picasso (des gorgones), tapisserie de l’Enlèvement des Sabines (le western des origines de Rome). Un décorum de patricien. Et le voici, glissant sur le tapis: pas de tic nerveux, pas de baguette brisée. Visage de vieux seigneur, à la Visconti.
C’est avec quelques centaines de partitions qu’on fait un maestro et ce rentier romain n’échappe pas à la règle: « Quand j’étudiais la trompette, jamais je n’aurais imaginé gagner ma vie en composant des musiques de western. J’étais comme un avocat: c’est le client qui décide de quoi vous êtes spécialiste. Et dans mon cas, le cinéma m’a sacré compositeur de musiques de films. »  Un genre qui lui a bien réussi. Parce qu’il a su trouver le passage secret entre la pop et la symphonie. Il a le génie des sons qui accrochent, des gimmicks grotesques, ces bruits de crotales, ces flûtes plaintives dans la nuit, ces guitares sarcastiques, sifflements, claquements de fouets. Et ces chœurs qui donnent le frisson, lorsque Claudia Cardinale va donner à boire aux ouvriers du rail.
Comment ne pas prononcer le nom de Sergio Leone, son alter ego, son jumeau de cinéma? « J’ai parlé de Sergio toute ma vie, vous savez. Sa mort fut une perte terrible, j’essaie de ne pas trop y penser. Il a souffert que son génie soit associé au western, genre si peu italien. Il était considéré comme un réalisateur de série B et n’a jamais reçu un seul prix en Italie. »


Pour Sergio, son ami d’enfance, Ennio écrit des partitions aussi fortes que ses films. Des musiques saisissantes que Sergio diffusait pendant le tournage des scènes. Des gros plans émotionnels qui donnent des idées au cinéma. « Je ne change jamais une note, mais le montage gagne à suivre la musique. Elle peut suggérer des pistes au spectateur. » Leone l’appelait d’ailleurs « mon meilleur scénariste ». Dans Il était une fois dans l’ouest: l’harmonica est le leitmotiv du film et le nom de son personnage principal (Charles Bronson). Le scénario est signé des quatre fines gâchettes: Dario Argento, Bernardo Bertolucci, Sergio Donati, Sergio Leone.

Intérieur nuit. Gros plan: Ennio aboie
La nuit tombe sur la piazza Venezia. Soudain, comme l’artichaut braisé qu’on sert dans le vieux ghetto voisin, les murs ornés de l’appartement semblent s’ouvrir sur l’Amérique rêvée par Rome. Quittant le ton de la conversation, Ennio Morricone nous offre un exemple de sa méthode de composition. L’octogénaire laisse échapper un cri de coyotte: c’est le thème du Bon, la brute et le truand.
Le maestro se lâche, psalmodiant le cri des chiens de prairie. Alors que les artistes du monde entier viennent toujours à Rome puiser aux sources de l’art, il est allé chercher ses idées dans des espaces étranges, des aboiements sauvages puisés aux tréfonds de son imagination. « Parfois, j’ai eu des fulgurations. L’idée du coyotte est de celles-là: c’est à la fois un son réaliste, qui appartient à l’Ouest américain, et elle a aussi une signification symbolique. »


Extérieur nuit, taxi. La  bouche de la vérité
Demeure ce mystère: pourquoi, à 86 ans, remonter sur scène? Ennio Morricone est le seul compositeur à avoir reçu un oscar de cinéma. La fortune et les lauriers sont sur sa tête. Pourquoi revenir avec 170 musiciens et choristes, plus une soprano (Susanna Rigacci)? Dans le taxi de retour, nous passons à nouveau devant la Bocca della Verità, supposée dévorer la main des menteurs. Le maestro y mettrait-il la sienne? Quel est le secret?
L’instrument d’un chef est son orchestre. Comment en jouer, sinon devant un public? Un pur désir d’orchestre. Une envie de musique qui sonne en nous, aussi nostalgique qu’un air d’harmonica.

Daniel MORVAN.

mardi 10 mai 2016

Baden Baden: sexe, mirabelles et bricolage


 Elle oublie de rendre la Porsche de la production, se ballade en marcel et sa grand-mère est Claude Gensac, la femme de Louis de Funès dans les Gendarme de St Tropez. Là, c’est pas St Trop’ mais Baden Baden, enfin dans ses rêves… Quand sa mamie est hospitalisée, la chauffeur de stars décide de lui offrir une station thermale à domicile, ou disons, de lui refaire sa salle de bain. Gracieusement maladroite, elle gère elle-même le casting de son chantier, alpaguant un bricolo intérimaire, recrutant un carreleur peu sensible à son charme de garçonne. Des dialogues qui fusent, mode enfants du paradis, des amours copains et un peu braques, la présence distraite et intense de Salomé Richard: un merveilleux premier film frontalier de l'Alsacienne Rachel Lang. Sexe, mirabelles et bricolage, elle a déjà tout d'une grande.
Daniel Morvan.

1h34, sorti le 4 mai 2016. Vu au Katorza (Nantes).

lundi 25 avril 2016

Jacques Demy 2010

Se promenant dans l’univers incertain des visages féminins, Demy assure ses titubements d’un charme à un autre en élevant des intérieurs extravagants...


« C’est à Nantes que j’ai tourné, disait Jacques Demy, parce que j’y suis né et que je connais bien cette ville folle et très belle ». Né en 1931 à Pontchâteau, Jacques Demy acheta sa première caméra en 1945, dans une boutique du passage Pommeraye.

Ses premiers films de marionnettes en papier découpé, image par image (Attaque nocturne, La Ballerine), vont le conduire à l’école de cinéma Vaugirard à Paris. Son film de fin d'études, Les horizons morts, dans lequel il apparaît, est marqué par une esthétique doloriste et bressonienne. Puis il réalise deux courts métrages majeurs (vidéo: Le sabotier du Val de Loire, 1955, chef d’œuvre du cinéma documentaire et méditation sur la mort, et le road-movie îlien Ars)...


... avant de réaliser en 1960 Lola. Un film-comète porté par la Nouvelle vague (et son producteur Georges de Beauregard), mais qui se singularise par son intensité fiévreuse, sa pellicule ultra-sensible et ses cœurs surexposés, son goût des chassés-croisés et des rencontres de hasard, des filles-mères mélancoliques et des amours  socialement ou moralement interdites (entre la petite Cécile et Frankie le marin, unis dans la délicieuse et sinueuse obscurité d'une chenille de fête foraine, sur la musique du Clavier bien tempéré: vidéo).

C’est la singularité de cet univers qu’explore le livre Jacques Demy, alors que les salles de Nantes projettent ses films. Ils sont également disponibles en DVD, avec une nouvelle restauration des Demoiselles de Rochefort, à partir du négatif original de 1966, dont chaque image (le film en compte exactement 179 010) a été numérisée.



« Jacques Demy est un des rares inventeurs de formes du cinéma français, avec Robert Bresson et Jacques Tati, souligne Olivier Père, directeur du festival de Locarno et co-auteur de l’ouvrage. Il fut le seul à travailler en France à l’intérieur d’un genre bien codifié, la comédie musicale, qu’il a entièrement repensé et révolutionné. Ses films non musicaux relèvent aussi d’une stylisation originale à tous les niveaux : décors, image et son, mais aussi dialogues et interprétation. Un film comme Les Parapluies de Cherbourg n’a pas d’équivalent dans le cinéma mondial. Lola, malgré son style très Nouvelle Vague, se différencie fortement des films de Chabrol, Godard, Truffaut et Rivette par une poésie et une mélancolie très personnelles. »



1963 marquera la consécration mondiale pour ce film de tous les risques, où Demy intègre avec force le matériau esthétique qu’il a constitué dès l’enfance, à commencer par l’opérette et l’opéra qu’il découvre au théâtre Graslin. Demy veut en effet un cinéma qui soit aussi « total » que l’art lyrique, qui magnifie la voix humaine et la parole la plus quotidienne, placée dans un registre de pur tragique. En ce sens Demy n’invente pas un monde idéal, platement démarqué de la comédie musicale américaine, mais porte à incandescence des émotions qu’il prélève du registre réaliste et transplante dans un lyrisme généralisé, auquel concourent la gestuelle, la diction et le chant, les décors, tous codifiés avec rigueur.


Des décors flashy des Parapluies de Cherbourg à la Porsche cabriolet repeinte aux couleurs flower power de Model Shop, on relèvera dans tous les films ce goût pour les « signes du temps ». On pourrait opposer le cinéma euphorique de Demy, plein de signes, à celui d’un Wim Wenders (à qui le Cinématographe de Nantes a consacré une rétrospective), dysphorique et chargé de l’inquiétude propre au « jeune cinéma allemand ».
Les adieux poignants de Geneviève à Guy, à la gare de Cherbourg, semblent répondre à la scène non moins admirable des trains parallèles dans Faux Mouvement.


Dans ce film de 1975, le Trans-Europ-Express emporte Hanna Shygulla vers Milan, loin des yeux et du cœur de Rüdiger Vögler. Le cinéma de Demy ressortit au roman de mœurs à la Balzac quand Wenders creuse le sillon du roman d’apprentissage de Goethe (Wilhem Meister).
Mais chacun fait, à sa manière, parler paysages et décors là où s’arrête la voix humaine, soit par le poids des conventions qui feront le malheur d’un jeune couple d’amoureux, soit par le mutisme pur et simple de la jongleuse incarnée par Nastassja Kinski.
Demy et Wenders s’installent chacun dans une convention romanesque et lyrique pour la faire exploser, soit en montrant la vacuité métaphysique de l’héritage des anciens, soit par exaspération chromatique de l’univers petit-bourgeois de la France d’après l’Algérie.
Dans les deux cas, la résolution esthétique vient d’une « révolution » formelle, Wenders conjuguant la grande rigueur du cadrage et l’atmosphère pétrifiée d’un road-movie sans réelle action, Demy donnant au futur garagiste de Cherbourg la pompe des héros de Verdi, mais avec ses propres mots… et son papier peint ! Car il n’est pas de profondeur métaphysique chez Demy qui ne s’appuie sur une gourmandise insensée des décors.


Se promenant dans l’univers incertain des visages féminins (vidéo: Lola), Demy assure ses titubements d’un charme à un autre en dressant des intérieurs extravagants, comme s’ils pouvaient le protéger lui-même. Le décorateur Bernard Evein a témoigné des exigences particulières du cinéaste, dont le mauvais goût maniaque et assumé atteint une sorte de perversité, à la hauteur du défi : faire du mélodrame dans la France des sixties (Une chambre en ville: vidéo).


Olivier Père et Marie Colmant ont même consacré un chapitre thématique au seul papier peint, et montrent comment le réalisateur charge les décors de significations : ainsi le « papier aubergine aux lourds motifs mordorés » des Parapluies suggère la fantaisie cachée de Mme Emery, mère de Geneviève. Sans parler de la robe de future mère de cette dernière, assortie de manière quasi-hallucinatoire au papier peint bleu et rose de sa chambre.


Le livre s’attache de cette manière aux grands thèmes demyesques : l’androgynie du confidentiel Lady Oscar (inspiré par le manga Rose of Versailles), les filles-mères, l’inceste, les forains, musiciens errants et bateleurs, chers au cœur du cinéaste, la guerre d’Algérie, « trauma majeur des jeunes nés pendant la guerre ». Et la lutte des classes, réduite par les auteurs à un « vieux concept » hérité de Marx, et n’ayant à leurs yeux de vertus que dramaturgiques, dans Une chambre en ville. Cet affadissement de la vision critique peut conduire à s’interroger sur l’héritage d’un cinéaste encore associé par malentendu au cinéma « enchanté » promu par la publicité des Parapluies. Il nous semble aujourd’hui porter non seulement les couleurs de son époque, mais prêter aux suivantes sa gaîté désenchantée.



En 2010, le 20e anniversaire aura permis à Nantes de revendiquer à nouveau son grand cinéaste, comme l’avait fait Rochefort-sur-Mer quand cette ville avait célébré les 25 ans des Demoiselles. Deux villes dont Demy a révélé la cinégénie, sachant les percer à jour comme il le fait des comédiennes, pour en faire de grandes actrices de cinéma. Cet anniversaire nous aura aussi valu la réapparition d’Anouk Aimée, « miraculeuse de beauté préservée comme une Belle au bois dormant revenue sur ses pas », écrit dans son blog (1) le nantais Luc Douillard, qui a su voir tourner en Lola "la roue du monde des occasions manquées, si véridique et si poétique, la roue qui tourne pour nous tous, par nous tous, malgré nous et à cause de nous". La parution de l’intégrale Demy en 12 DVD avait aussi permis de combler les « blancs cinéphiliques » entre les chefs d’œuvre, de découvrir les petits films de l’adolescence. 

Dépliant en main, Nantes marche maintenant sur les traces de Demy (l'ancien garage Demy, allée des Tanneurs, sur le cours des 50 Otages, ou l'appartement de la colonelle d'Une chambre en ville, rue du Roi Albert, où le père de Jacques avait lui-même pris une chambre à son arrivée à Nantes), ou sur l'absence de traces : disparu, l'escalier et la fameuse rampe de la rue de l'Abreuvoir, où Frankie se laisse glisser, et où se trouve l'appartement si désordre de Lola, a été remplacé par l'escalator de la tour Bretagne.

Enfin, la très belle exposition Un Nantais nommé Jacques Demy (commissaire : Marie-Vianneytte Moulin) faisait ressentir le « frémissement des images qui se réveillent » (Bresson) grâce à un dispositif de cabine de projection. Après une entrée toute en couleurs acidulées sur plexiglas, rappel des sixties, le visiteur pouvait, tel un projectionniste, sélectionner des extraits de film qui défilent sur grand écran. On trouvait aussi tout le minutieux bric-à-brac de l’adolescent passionné, élève des cours du soir aux Beaux-arts de Nantes, qui manipule les premières pellicules Pathé-Baby de l’après-guerre, les scénarii, les figurines découpées, tout ce qui montre qu’avant d’être industrie, le cinéma est un artisanat, et que pour faire de beaux films, il faut d’abord aimer la pellicule, déraisonnablement.

Daniel Morvan.


 1 : http://lucky.blog.lemonde.fr/

Jacques Demy, par Olivier Père et Marie Colmant, publié aux éditions de La Martinière (280 p., 45 €). En vente à la boutique du cinéma Katorza et dans l’exposition de la Médiathèque Jacques Demy et dans les maisons de la presse : le dossier Demy de Place Publique (160 p., 10 €).

Les DVD : Intégrale Demy en 12 DVD, 2008 (toujours disponible). Ciné-Tamaris et Arte Éditions rééditent séparément Lola, La Baie des Anges, L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune, Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort.

jeudi 21 avril 2016

Pour sa ligne de pont, le bateau-musée figure dans le film Dunkerque





Cher escorteur d’escadre,
Nous t’avions sous-estimé. Trop prompts à t’assimiler à une vieille coque style « port de l’angoisse », pour les touristes. Pour tout dire, nous t’avons considéré comme une épave. Mais c’est là qu’on reconnaît les vrais outsiders : "la vieille dame du quai de la Fosse" était notre Scarlett Johansson, et nous n’en savions rien.
Cher vieil escorteur anti-sous-marin, tu nous as bien snobés au départ du quai de la Fosse. Nous étions là, encore actif parmi la foule des retraités attirés par le spectacle : Le Maillé-Brezé bouge ! Il part à la guerre! La carcasse se meut ! Eux, ils savaient ce que tu avais sous le capot. Pas la puissance, vu que tu as été privé de moteur, mais ce glamour vieille tôle et gris marine, typiquement années 50.
Maintenant, tu vas jouer les vedettes d’un film de guerre tourné par Christopher Nolan: Dunkerque. Un blockbuster financé par la Warner, qui a craché au bassinet pour affréter la bête : on parle de plus deux fois le budget annuel de l’asso qui s’en occupe, ce qui nous fait deux cent mille euros tout rond.
Nous, on reste sur le quai. Le gars de la production n’a même pas voulu nous adresser la parole. Bien fait. Tu as été lancé le 4 mai 1957. On t'a vu devant Alger cette même année mais la presse n'est guère bavarde sur le sujet, rien en archives. Toutes ces décennies, on t’a à peine concédé un regard, bateau-musée! Aujourd’hui, te voilà héros d’un film sur l’évacuation des forces alliées bloquées dans la poche de Dunkerque.
Rapport à ton élégance, qu’ils disent. Au fait que ta ligne de pont fait furieusement sixties.
Si si, ça, on l’avait vue, ta ligne de pont, juré.
Ça doit pouvoir se retrouver dans un vieil article de 1962. Un de Paul Guimard, si ça se trouve, quand il pigeait pour le canard local.
Si tu peux rapporter un autographe de Scarlett Johansson, ça serait cool, cher escorteur Maillé-Brézé. La bise !
DM


mardi 8 mars 2016

Cinéma: Les Ogres, de Léa Fehner




Pour son second film, l'enfant de la balle Léa Fehner, ancienne étudiante de la formation Cinésup de Nantes, et de la Femis de Paris, réussit un coup de maître. Oubliez l'idée de "petit film français": nous voici dans un territoire peu exploré par les réalisateurs hexagonaux, celui de la fresque baroque et ambitieuse, du roadmovie exubérant à la Kusturica, avec des personnages démesurés, "incapables d'être raisonnables", une histoire forte animée d'une énergie solaire, où théâtre et vie s'interpénètrent. Léa Fehner s'inspire de la troupe de théâtre de ses parents, et du milieu tumultueux et passionné des compagnies itinérantes. Loin d'en faire une chronique tiède aux marges du documentaire, la réalisatrice en tire une histoire romanesque à souhait, et même fort romantique: les couples de baladins se déchirent, entre cruauté et tendresse, cachant parfois une douleur indicible sous le masque de la comédie. Le film (2h24) prend le temps d'approfondir chaque personnage, composant autour de chaque individualité, chaque complexité, chaque ego (et ils peuvent être énormes) un véritable hymne au collectif. Adèle Haenel, lumineuse et puissante, avait été choisie par Léa Fehner avant le succès des Combattants, parmi de nombreuses comédiennes. Elle s'inscrit parfaitement dans une distribution qui réunit comédiens de théâtre et acteurs de cinéma. En toute harmonie!
Daniel Morvan

Sortie nationale le mercredi 16 mars


Léa Fehner






lundi 3 janvier 2011

50e anniversaire de "Lola": Charlotte célèbre l'événement


21 novembre 2010 à La Cigale de Nantes.
50e anniversaire de la sortie du film "Lola" (1961), tourné en ces lieux par Jacques Demy, qui aurait eu 80 ans en 2011. Charlotte célèbre l'événement en toute simplicité. En croquant un macaron.