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samedi 22 décembre 2018

Fosbury, l'homme qui voulait "juste passer la barre"

Un livre inspiré par cette image de Dick Fosbury aux JO de 1968. L'une des pépites de la rentrée de janvier


Fanny Wallendorf ("L'Appel") est sélectionnée pour le Prix Senghor du premier roman francophone et francophile 2019.

Blasphème, hérésie: le sport était déjà une religion lorsque Dick Fosbury imagina de sauter en hauteur non en ciseaux, ni sur le ventre, mais sur le dos. L'appel, de Fanny Wallendorf, est et n'est pas l'histoire de ce champion, le seul à avoir donné son nom à une technique. Elle est celle, imaginée, de Richard, un gamin de Portland pour qui la compétition n'a jamais été un problème ni une obsession. Il aime "l'odeur du gymnase et celle des copeaux de bois". Qu'importe s'il plafonne à 1,50 mètre. Un dégingandé désinvolte et un brin dilettante, voilà ce qu'est Richard avant d'inventer cette chose incroyable. En 1968 à Mexico, le jeune Américain prend ses marques. Souffle dans ses mains. Bluffe la planète en effaçant l'obstacle sur le dos. Contre l'orthodoxe rouleau ventral. Le public mexicain a la barre, mais le flop de Fosbury triomphe. Une révolution en sautoir.
"Avant d'entamer les trois dernières foulées en suivant la courbe imaginaire, il sent son corps changer d'axe, son dos s'incliner au maximum, il accélère, et au lieu de lancer sa jambe d'appel pour attaquer la barre de côté, il pivote à cent-quatre-vingt degrés, engage son épaule gauche, élève son bassin, et passe la barre sur le dos." 

En préambule, Fanny Wallendorf explique que tout est parti d'une photo de Fosbury aux JO de 1968. "La main sur la bouche, il est tout entier dans ce qu'il regarde, c'est-à-dire dans la vision du saut qu'il s'apprête à accomplir et qui le couronnera". Cette image est la marque initiale qui permet à la romancière de s'élancer dans l'écriture, d'imaginer la vie d'un garçon qui s'emmêlait les crayons au saut, jusqu'à trouver cette manière radicalement neuve de prendre de la hauteur. 
Richard expliquera sa technique par un laconique "je voulais juste passer la barre". Et la barre y va. Avec force traumatismes à la colonne, à la nuque, liés à sa manière de passer, dans le dos des entraîneurs.
Cette manière transparente d'effacer l'obstacle fait de lui une sorte de poète gravitationnel brut. Il dispose pour toute philosophie d'une phrase culte de son père: "le bon moment c'est maintenant". 
Fanny Wallendorf décline cette équation mystérieuse qui relie la vie intérieure d'un jeune homme et le monde extérieur, manifesté par le scepticisme général, les quolibets et le soupçon de sorcellerie. 
D'une frustration à l'autre, Richard devra admettre que le bon moment "n'est pas maintenant", passer sous les fourches caudines de l'université, affronter la menace d'un enrôlement au Viet-Nam, convaincre les entraîneurs sceptiques, braver les rires, imposer son style: effacer la barre ne suffit plus, "il lui incombe aussi de créer et de défendre les circonstances qui lui permettront de s'exercer".
De record en record, Fanny Wallendorf réussit elle aussi un tour de magie dans ce roman qui est l'une des pépites de la rentrée de janvier. Un roman du saut qui mêle amours adolescentes, initiation au monde adulte et beauté d'un élan surnaturel: a-t-on jamais aussi bien rêvé le sport, comme grâce et comme appel ?
Daniel Morvan
Fanny Wallendorf: L'appel. Finitudes, 346 pages, 22€.

samedi 22 avril 2017

Nantes-Bastia: Sacré coup de sirocco à La Beaujoire (2001)

 Pris à rebrousse-poil par Bastia, les bétonneurs nantais et leurs supporters ont eu très, très chaud.
‎dimanche‎ ‎15‎ ‎avril‎ ‎2001
594 mots


Il fait pitié avec son petit tambour, le représentant de l'île de Beauté. Pas même un turban ' testa mora ' pour lui orner le front. Ils sont une vingtaine, coincés dans leur camembert du virage sud, scrutés comme des lépreux par des stadiers en rouge, houspillés par des gamins de douze ans qui leur font des gestes éloquents.
Bref, ce Nantes-Bastia, c'est pas l'extase pour le supporter corse. Et puis elle arrive, impériale, foulard bleu et blanc sur les épaules, au bras d'un chevalier servant qui porte le fin collier de barbe de l'hidalgo corse. Elle, c'est l'allégorie du tir canon, avec son port de fille du soleil qui dit : basta ! pour tout Bastia devant 37 000 aficionados.

Il court, il court

Il a fixé son tambour au grillage, fait badaboum sans conviction et vocifère contre les picadors jaunes qui y vont de leur ' Bastiais, Bastiais... ', en se frottant les mains comme si l'affaire était déjà faite. Le speaker annonce de prochains changements de garde-robes avec les nouveaux maillots pour le FCNA, prévus pour la finale, on grignote le BN pocket, antidote anti-boycott distribué à chaque spectateur.
Les 37 000 gosiers braillent le nom des joueurs nantais : Landreau ! Fabbri ! Monterrubio ! Ziani ! Au milieu du virage, la grosse caisse des Corsaires vendéens bat un martèlement de galère. La première percée nantaise va vite dégeler l'ambiance. Il court, il court, Moldovan, seul devant Durand, mais pourquoi il tire pas, pourquoi il tire pas ?
Il a pas tiré. L'ombre des tribunes s'allonge, la tête des supporters aussi, et pourtant, ils ignorent encore que ce ballon poussé un peu trop loin sera la seule action décisive nantaise du match. Les mottes de gazon volent, un corner du gauche part en chandelle, le tambour corse s'étiole, et à 17 h 41 le doute s'installe pour de bon.
La olà semble bien loin dans les têtes, mais un carton jaune pour Nantes devient un but entre les pieds de Monterrubio. Le drapeau jaune à croix verte bat dans l'air froid. Pourquoi ils font pas la vague ? demande une petite fille.
Il faut au moins deux à zéro pour faire une vague, lui explique son papa, et surtout pas un carton rouge pour Nantes, qui vient de sortir ­ le premier depuis des lustres. Alors, petite fille, on pavoise pas trop, d'accord ? Au train où s'engage la deuxième période, question vagues, on est encore loin d'Hawaï. Les Bastiais harcèlent, Landreau sauve, intercepte un penalty (la routine), une cannette fuse vers le camembert corse, le jeu se fait pulsatile, sur le fil du rasoir, on frôle la crise cardiaque. Un grand Landreau, un petit FCNA ? Avec son but d'avance, Nantes bétonne en défense, c'est ce qu'elle a de mieux à faire. La contre-attaque s'enfièvre, les Corses trouvent leur jeu, ça fuse de partout, ça cafouille devant la cage, un hors-jeu miraculeux annule un but corse et sauve la mise aux Nantais, le ballon chatouille la ligne de but. Alors petite, t'as vu ? On appelle ça un coup de sirocco.

Texte : Daniel MORVAN