jeudi 23 septembre 2021

Christine & the Queens, une allure, une écriture



Vous ne l'aurez pas forcément repérée parmi toutes les filles qui attendent sur les marches de la Fnac. Vous ne l'aurez pas vue traînant ses guêtres avec ses copines à H & M, essayant quelque babiole, traînaillant dans les travées de l'étage mode enfantine garçon.
 
Elle n'était pas non plus spécialement voyante au fond de la classe, en cours de solfège, poussant son filet de voix depuis le coin du radiateur jusqu'aux oreilles poilues d'un vieux prof de solfège tout ridé, répétant : « Chante, Héloïse, bon sang, chante ! »
Vous êtes donc passé à côté de Christine and the Queens. Comme tout le monde. Comme le jury de Normale sup Lyon qui n'a rien de trouvé de mieux à faire qu'à la déclarer admise, elle qui est faite pour professer, du haut d'une chaire, comme un conducteur de train à crémaillère est fait pour dire de l'opéra.
On croyait qu'elle ne savait pas chanter. Elle la première : « Ma voix est sortie épidermiquement, je ne me suis pas réinventée mais je me suis créée une seconde fois, et cela m'a attiré des ennuis, parce que je n'avais pas travaillé ma voix. Et c'est un muscle à travailler, sans quoi vous pouvez la perdre. »

Surgissent trois drag-queens

Cette invention de Christine and the Queens par Héloïse, on l'a déjà racontée : en pleine crise, elle se morfond dans un pub anglais du coeur de Londres... Surgissent trois drag-queens mode Almodovar, Héloïse reçoit la révélation de l'esthétique « queer ». Et se décorsette corps et âme : « J'ai décidé d'être qui je veux, de manière libre et décomplexée, sans choisir le genre, entre fille et garçon, suspendue en zone trouble. »
Retour du refoulé : Christine explose, s'enferme avec ses textes et ses magnétos, « à tel point qu'on me déposait de la nourriture et que ça passait pour une sorte de dépression. Quand j'ai commencé à poster mes chansons sur Youtube, mes amis étaient contents que ça aille mieux. C'est en cela que mon projet était assez beau, je trouve : je m'en suis sortie en réussissant à me sentir utile, juste en devenant chanteuse. »
Pas le coffre d'une Cecilia Bartoli : à l'opéra, elle serait parfaite dans des rôles de Chérubins, mais rêve juste d'être une icône gay. Pourtant, cette Bowie un peu Rimbaud est un Rambo des cordes vocales, de la posture. Elle sait comme l'essentiel est dans l'allure : « Pour moi, chanter est une forme de sport. Dans toute discipline, il y a du sport, il faut être un peu athlète et exercer l'écriture comme un muscle. »
Un muscle qui lui permet de tirer un fil entre chanson, pop mode Michael Jackson et électro mode mode, avec une présence androgyne qui font aussi partie de son invention. Le mot « écriture » s'entend chez elle comme au cinéma, quand un cinéaste écrit un film : tout est chorégraphié, sons, images, style, façons d'être au monde.

Aucune connexion avec le réseau

Cela serait réducteur d'affirmer qu'hier soir, jouant à domicile, elle redevenait nantaise sur cette scène, qui lieu d'affirmation face à son public d'adolescentes. Dans le genre cliché à deux euros, on se laisse à imaginer le mauvais film, C&Q étreinte par les vieux oncles de la coldwave nantaise. Tout faux, elle évolue hors réseau local, et ne les connaît pas, ces mâles chanteurs de la vague Naoned. « Ces années d'adolescence, j'étais ailleurs, hors circuit, je pensais théâtre, et quand je me suis mise à écrire, c'est venu spontanément. On est exposé à tant de choses, aujourd'hui. La génération à venir ne va même plus réfléchir en termes de genres.»
 
Pas de Nantes connexion au rendez-vous de Christine. Son réseau de pop star ? Juste les cousins, cousines, copains, copines. 
Et une personne au premier rang. Une dame. Qui connaît tous ses textes par cœur. En pleure chaque rime. Sa mère.

Daniel Morvan

quotidien
‎jeudi‎ ‎18‎ ‎septembre‎ ‎2014
857 mots
Daniel Morvan
 

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