lundi 28 novembre 2022

425. Armand Robin au poste-frontière de Moldavie

J’ai racheté Armand Robin
En Poésie/Gallimard à la librairie Les Idées larges
je me souviens de la joie que me donnaient
ses vers mélancoliques et secoués
les déclamai un jour au poste-frontière
de Moldavie en 1975 où je fus par hasard arrêté
après avoir oublié de descendre du train
avec deux amis étudiants - Le Japonais et Dany Durand

cette vieille souche de poésie gallimarde
je l’ai toujours gardée près de moi mais ne puis
pas plus qu’un vase étrusque ou un vieillard trop la remuer
depuis hier où je passai aux Idées larges
(la librairie de Ludovic Riou à Saint-Nazaire) je détiens l’identique
recueil Ma vie sans moi tout neuf imprimé en 1970
intact et peut-être jamais ouvert

je crois que jamais poète n’écrivit ses vers
si près de ses talus
mais ce semblable livre au premier
ne s’ouvre jamais aux mêmes pages
et c’est un nouveau Robin qui me tient compagnie
sur la route qui va sous sa casquette nouvelle
jusqu’à la frontière moldave

vendredi 12 août 2022

420. La maison du bout du quai



Gilles des brumes est dans sa maison du quai
place Frégate-Aréthuse écoutant sur Spotify Lawrence Zazzo
dans un air d’Attilio Ariosti appelé Freme l’onda
tremble la vague d’atteindre le bout du quai

L’enceinte acoustique en connection UHF Bluetooth© sonne
sous la voûte de planches en forme de barque renversée
torrente che scende chante le contre-ténor — le sopraniste
comme on appelle les chanteurs usant de cette voix
de fausset qui chanterait Ô Loire Ô ma maison

Mais ce n’est pas cela que veulent entendre les passants
ce qu’ils veulent c’est qu’il joue
            
              .   .  Little Cascade  .   .

                .   .   .   .   .

                    .   .   .   .   .

.   .   Gilles atteint le terme
des fatigues dans sa cabane au plafond
lambrissé de sapin brut de la Drôme
il sent dans ses os le roulement du fleuve comme s’il était
couché au fond d’une barque dans toute cette Loire
qui vient battre sur la cale et y ramène des troncs
Non il n’est plus temps d’aller chercher de l’or
labourer n’est plus de son ressort
ni d’aller sur une monture par les forêts
ou dans les mangroves repoussant du pied les alligators
ni même caresser la tête rousse d’une vache dans les prés de Corsept

il ouvre son répertoire d’airs de cornemuse
Salute on the birth of Rory Mor MacLeod  et The little Cascade
le feuillette comme un jardinier visite ses roses
Gilles est un homme libre et son coeur empli d’airs écossais
ne frappe plus aux portes de l’espace sans portes
son âme ne se heurte plus aux fenêtres condamnées
de la pensée chétive qui agite ses petits drapeaux
ne répond plus aux mots d’ordre c’est un homme neuf désormais
lui qui n’a jamais porté d’arme que la bagpipes d’Écosse lui qui
ne fit jamais geindre qu’une cornemuse McCallum de Kilmarnock
et qui deux ans fut l’hôte de son ami le célèbre peintre DCA
pour Dominique Charles Albert

— de même que le voyageur dans les bois
sombres voit une fumée bleue qui flotte dans une clairière
— n’est-ce pas ici qu’il fallait, fraîchement opéré, faire halte
là où un ami lui avait ménagé une couche sans qu’il fût jamais
question de s’acquitter de quelque loyer — c’est ainsi qu’il
put rééduquer son esprit à sentir sourdre les ondes
matinales et se rendre à lui-même — au vol des aigrettes
se rendre au flux qui a brassé et baigné mille kilomètres de rives
et qui s’atteint lui-même au terme de cet enracinement de l’eau
qu’est un fleuve — à sentir son esprit devenir onde
et à y trouver ses propres onguents ses propres liqueurs
émollientes ses propres baumes dans cette eau qui lui dit:

« Depuis tout le temps que tu n’es pas plus toi que cet extrait jaune
                                n’est Loire
            des multiples de toi se sont effilochés aux vents
du destin et de la physiologie — sois heureux de disposer de
deux hanches dont l’une intacte et d’un cérébral indolore
qui régente toutes tes douleurs: qu’un rayon de soleil
frappe le PVC de tes volets et te voici gai de vivre
dans l’ombre mais qu’un tronc d’arbre échoue à tes pieds
arraché de quelque prairie où il faisait de l’ombre
à quinze génisses rousses
                    et te voici inquiet de ce qu’il put
advenir du saule et de ses penchants à s’abandonner au cours
de l’eau — le saule est-il encore dans cette souche et suis-je
dans ce tronc?—
    pourtant Ô sonneur toute cette famille de sentiments divers
forme un seul être un Gilles aussi unique que le tuyau de ta cornemuse »

Ainsi parle la Loire à l’enfant qui n’est plus cet enfant mais
en garde le masque et qui
répétait les airs des Hautes Terres
chacun lui semblant être une portion de lui-même à rassembler
dans la maîtrise du bagpipes — vois-le cet homme qui
feuillette de gauche à droite les pages son album
et sculpte dans le papier mâché une tête de rhinocéros
analogue des musiques qu’il tirait de son chanter (la partie où les doigts
du piper se posent)

Les cent méandres de ces reels (principale danse écossaise qui
semble dit-on au quadrille français par son balancé) conduisent
l’homme jusqu’à sa maison — la maison Highlands la maison Loire
— et entre les deux la maison Gilles
là où l’eau brune devient un lac de Sérénité
devant la grande rade des Quatre Amarres là où furent ancrés les
vaisseaux atlantiques sous les molletons d’avril —
la sienne la maison qu’il a choisie non pour s’étendre aux seuils brodés
de la mer
            mais tel un passeur de Loire resté au guichet de son Paradis
délivrant tickets et formule magique rappelant qu'on part à dix
de l'heure courante

comptable des baveries perdurantes que laissent les nuits de juillet

à son perron —
pour demeurer enfin place Frégate-Aréthuse et tenir son poste de guet
tout le temps que peut durer une nuit d’été quand les vitres
laissent passer les fluides et quand les vagues de lumière jouent
l’hymne de la maison du bout du quai demeurer innombrable
mais unique par cet air qu’il place par dessus tout l’air où il se
rassemble tout entier et redevient le Gilles sous son masque d’enfant
— .   Little cascade   .

 

 420. Mer 20 juillet 2022. La maison du bout du quai

samedi 9 juillet 2022

418. Enfance des vampires (Ode à Charles le Goffic)

Éboulé collège est le vieux Goffic et son Acropole par-dessus Lannion
Je te salue Charles qui aimas les clairs matins orangés
poète et frère d’univers ça se dit dans le club rimaille
collège 1960 décomposé par les pinces de démolition
à terre aussi le dédale des dortoirs où nous allions taiseux-taisés
se cachant de quelque Minotaure croque-minots
et de Phèdre sa soeur sans le cordon d’Ariane (c’est
à Lannion qu’on a inventé le téléphone sans fil)
Goffic bahut disloqué en blocs de labyrinthe
on entend battre dans le béton la latine pulsation

La hanche de titane de ma mère jamais ne m’y visita
son coeur pleurait aux portes vertes
me souviens de père et sa bonne tête de star du muet
de héros de western MGM
s’en vint un mercredi me promener
eus-je jamais plus longue conversation avec lui
que ce jour-là
— alors le latin ça marche
à quoi ça peut bien servir une langue morte
et toutes ces connaissances inutiles
est-ce que mon cheval je lui cause en latin
mais courage paotr et kenavo la traite des vaches n’attend pas —
il donna cinquante centimes au garçon qui m’avait
dépendu de l’internat pour deux heures
conduit aux grilles
et remis en mains propres à Clark Gable
Mam était à la cure de Trestel en rééducation de sa luxation congénitale
— c’est quand la tête fémorale sort du cotyle et fait boîter
mais pour elle cette opération-là n’a jamais bien marché

je me rappelle la petite monnaie versée à la paume
de rien de plus je ne me souviens sinon
de vivre en du temps écharpé et des secondes tournant
sur elles-mêmes comme amputées de la tête
on regarde un vol d’oies cendrées dans les lucarnes

maintenant je t’ai au bout de la plume Goffic phraseur cartilagineux
nez de pion où je vécus
la masse de démantèlement est la bonne scansion pour une ode
un coup dans l’étage des sixièmes un coup dans celui
des réfectoires et la salle de permanence
un autre dans la tête à Pengam le surgé
qui suait la caserne par tous les pores
que j’ai bien dû appeler fasciste pour
qu’il me le rende en d’aussi belles mandales
(paraît que j’étais cash mais alors sans le savoir)
Charles le Goffic
moustache à Charlot collée sur la colline templière de Brelevenez
préfabriqués nous l’étions nous son contenu humanoïde
volaille de blouses grises sur qui la révolution soixante huit
passa d’un sourire sans faire étape

le collège: composant couleur boîte à oeufs
il semble être le regard du monolithe béton sur le polylithe
des porches d’églises où fusionnent les schistes bleus-verts de Lokireg
les granits roses rouges et bleus les lauzes d’ardoise
il fut conçu par un architecte de porcheries nommé Ar Coeur
qui devait s’y connaître en palpitants qui logea les nôtres
chahutés ou charcutés bâtissant pour eux
un petit reliquaire de ciment afin qu’ils n’en sortissent jamais

Cet Oxford des landes fut dessiné sur mesures
pour les enfants élus du Centre national d’études des télécommunications
qui venait de s’implanter dans la ville
— le CNET plateforme de la téléphonie et pôle spatial
inventeur d’une fusée Véronique qui était aussi l’un des prénoms
en vogue chez les filles d’ingénieurs

notre faible savoir d’internes hagards nous le tenions d’elles
nous qui étions des Yvon des Gilbert des Gilles des Michel
aux allures de séquestrés

sans dec quand t’es interne à le goffic
tu penses le goffic tu macères le goffic
et dedans l’interne ça fait barrière placentaire
entre l’air libre et l’amas coagulé

as-tu osé phraser un bout de rime
qui poétiserait l’expérience pensionnat
non pas — ce morbide vertical campus
gloire des sixties d’armorique

te porte au lyrique comme le chat ses tiques
ai dû baver en marge quelques triolets lugubres
mais sans baisers quelles stances neuves
tirer de sa plume qui ne soient des regrets

prends-toi celle-ci bavent les nazillons à la récré
tripleurs de gnons ils hitlérisent l’ordinaire
et composent des albums perso du 3e Reich
t’as-vu c’est lui avec Eva sur la montagne

Un autre point de vue est celui qu’a des
années goffic mon frère cadet
JJ se vit texto comme un lapin de garenne pris
dans un clapier avec grave ext

inction du vital principe en interne
comme de mourir à feu moindre
étrange comme nous ne vîmes peu
mon frère et moi nous croisant

au hasard des colonnes pensionnaires
Tardif devant et Le Louz derrière
nous saluant de loin
salut semble dire JJ j’étais ton frère dans la
vie extérieure

puis son carnet de notes en baisse tendancielle il
quitta le caisson par rétropédalage
au Collège d’enseignement général
CEG du canton de Plestin où pas
d’ingénieurs ni de filles de
mais tout le reste garenne lapin et gamin

— et j’en reviens aux Albertine de la conquête spatiale
et à l’affligé ton prosi-prosa du départ —

notre faible savoir sur les choses inutiles de la vie moderne
nous le prenions exclusivement des lèvres de Véronique de Gaby
leur savoir était au nôtre ce que la lune est aux betteraves

les filles d’ingénieurs savent tout Pierre Boulez Pierre Henry
la musique électroacoustique Cat Stevens Albert Camus
Henry Miller Sexus Lady d’Arbanville les trous noirs le big bang
hautement la minijupe écossaise
toute la culture du breizh cap canaveral dans nos ciboulots d’artichauts

ce charmant petit bagne où vient battre l’Éros du temps
le voici recyclé en
écoquartier sur les hauteurs de Lannion sorte de parc Borghese
avec vue sur la basilique Saint-Jean-du-Baly
c’en est à en perdre la voix cette voix inemployée
et se songer en sa blouse gémissante
allant dans les dortoirs cherchant qui lui dirait si le jour vient
il est dans ton dos ami tourne sur toi-même et tu
                            verras

arrivé croyant au communisme et à la résurrection des morts
tout à la fois et à tout ce qui pouvait favoriser la fuite
l’ami Cowil dévoilait son plan d’évasion
par voie maritime comme en l’an quarante
il se voyant déjà voguer sur le Brooklyn Ferry
obstiné tu labourais tes rimes pauvres
sur la trace fertile des héros de l’air
croyais suivre la veine de l’aviation
qui puise dans la fraîche substance de l’espace
tu pensais cela que la graine peut lever dans un mur
et passer sans crier gare du passif à l’actif
l’écrire et le dire sur la paroi infinie des ciels orangés

nous avons tant dormi en toi cadavre goffiesque
et tant d’ennui diffusé par tes organes nous a donné
des rêves d’étages en de plus nobles mortiers
qui disaient des lèvres bleues et des
yeux montants à la lampe mourante
des yeux se crevaient aux parois préfabriquées
des mâts jumeaux dressaient les toiles des chapiteaux
on allait par deux sur le sentier de halage
par ricochets la pensée joignait les pointes vives
de ton coeur toi qui menais la licorne aux étables

je fus garçon marchant sur les façades
cherchant la faille par quoi atteindre le coeur du glacier
des glaces kim cône dérober cette folle envie d’où venait-elle
écrivant des romans textuels loués à la journée
pour meubler la grisaille des boxes
les chemins étaient coupés jamais tu n’y marcherais
en chantant cette chanson sans air et sans paroles
qui conte l’enfance des vampires

jeudi 26 mai 2022

401. Poème du Douron *




Le plus dur est fait quatre sacs de poèmes hissés à dos d’homme
au grenier maintenant laissons-nous porter sur les eaux douronnes

jusqu’au temps où parlant de vers libres le professeur de lettres
avait un rictus — l’heureux temps des rimes bienséantes

le temps où les choses étaient comme il faut — comme
des chemises repassées ou comme un poème d’Albert Samain

la rivière la plus proche de la ferme s’appelait Douron
le breton a ce mot-là pour dire l’eau: dour

dour est un mot un peu dur pour parler d’eau
il ressemble au noble Douro qui prend sa source

dans une sierra et les deux — grand d’Espagne petit de Bretagne
ont une même source dans la langue: dubro

le fleuve Douron naît au pays de Scrignac le maquis finistérien
et se jette à Toul an Hery vieux port d’Armorique

et comme dans un poème en vers libres de Valéry Larbaud
la truite douronne et songe comme la vie est douce dans le Douron

tel le saumon qui rejoint les eaux douces de sa naissance
j’aimerais remonter le Douron
pour boire un verre de cidre à Scrignac

25 mai

 

* Je poursuis ici le projet commencé le 2 février 2021 et achevé 365 jours plus tard, mis en forme dans un manuscrit intitulé: "Quitter la terre".

vendredi 22 avril 2022

370. Quatrième balcon

Quatrième balcon  Leonard Bernstein
 opéra Garnier   A Quiet Place 
pourquoi le nier j’y fus un béotien
    à qui la place n’est pas quiète
si elle n’a l’empan d’une charrette

Puis j’allai à la Maison de la poésie pour y
trouver un ami qui célébrait
la mémoire d’un poète de haut rang
    pour qui « la poésie
était toujours décevante » — mais so chic
de trépasser en moire lamée de paroles
et quelle douce vie celle de bourgeois de Paris
sur mol duvet de poésie assis

L’ami n’en crut pas ses yeux de
    me voir après des lustres et tel
le charretier arrivant de Quimper-Corentin — une éclipse
de quarante années qui sont autant de poèmes
non-écrits comme
au sortir d’un hiver de l’esprit
m’y sentis tel un bolet dans panier de morilles

Y vis les princes du vers vague en si belle étoffe
de beaux yeux des chevelures rousses
Florence Jacques ou Zoé
à une poignée de mains de René et de Martin
           
Ne m'attardai pas sur l’échine de sphinx de
    Notre-Dame ni sur les flèches
de Paris au couchant
    mais vis un dernier éclair de couchant
sur le feuillage d’or de
    la Poésie et l’Harmonie nos amies d’antan
au pinacle de l’opéra Garnier
—  des poèmes qui pieusement furent dits
n’en compris un traître mot