vendredi 26 novembre 2021
295. Tariatara
de ma vie vais-je vous dire
ce qu’entendis en grands sons
qui chacun portaient leçon
j’ai ouï d’une pierre affûtant
la faux et son chuinté
dans la fraîcheur des blés
Ouï aussi couiner un goret
selon Littré rimer goret
signifie irriter l’oïe
tariatara disait la ventoïe
J’ai eu o (ainsi s’est-il dit
laconique le verbe jadis)
un joli bruit c’était celui
de la tarare ou vanneuse
qui vantoisant blés et jupons
de la juponnante Manon
tariatara disait la venteuse
Oi la trieuse à patates
son girotapis était l’exéat
des tubercules secoués
sur une natte à trémulé
vibrante comme tonnerre
tariatara disait la venterre
Les aéronefs en l’air
ont aussi bruyants réacteurs
surtout les Fouga Magister
passant au-dessus des champs
trop vite pour que nos chants
saluent les apprentis pilotes
qui se rient de nous ilotes
tariatara disait la ventôte
et la chanson heureuse
de la tendre écrémeuse
par un doux tintement
elle salue l’avènement
de l’onctueux orpailleur
le joli prince de beurre
tariatara disait la vanteure
J’o des claviers la piaillante
causette des Atari 1040
dans les salles de rédaction
quand débute l’impression
de la première édition du soir
tariatara disait la rotarare
dimanche 21 novembre 2021
Des années où les étudiants maoïstes nous aidèrent aux travaux d'été
nous avions déjà tracé une croix
sur les rêves d’une vie harmonieuse
retranchés des solutions universelles et peu enclins
à défaire ce qui s’était fait avec l’accord
des savoirs instinctifs
La nouvelle doctrine entrait dans les faits
on parlait d’un grand bond technologique
ce qui dans tous les pays du monde a le même sens
mécanisation
sélection génétique du bétail
industrialisation de l’élevage
usage des pesticides
remembrement des terres
épuration de la campagne
tous procédés qui feront du paysan
un farmer accompli —
J’ai treize ou quatorze ans et la peine terrienne
née du sentiment d’échec de la génération mutilée de son espace
de l’évacuation planifiée qui gagne
a déjà planté ses griffes sur les épaules des parents
peu disposés à se défaire des intuitions ancestrales
et de la connaissance des échanges substantiels
entre rhizomes et racines
Pourtant nous les aimions ces jeunes gens
amoureux de la liberté et de la tyrannie
Mao leur Baal Hammon et son rival
ce chien de Tchang Kaï-chek
parfois enfants d’ouvriers
ou de bonne bourgeoisie pour nous c’était tout comme
venus nous enseigner la révolution prolétarienne
à nous autres paysandaille enfichée en parcelle
et cousue en terreuse cuirasse
en ce désert où nous étions oblats
et peu ouverts au prêche
ils trouvèrent pourtant à qui parler
C’est qu’ils s’y entendaient les maos à ramasser
en une paire de jours l’hectare de patates
et venant nous parler
égayaient notre solitude
à l’heure de l’angélus
Ils nous faisaient lire La Chine en construction
périodique imprimé sur papier cigarette
nous qui choisissions le livre selon son peu
d’épaisseur et de prix plutôt Vol de nuit que Guerre et Paix
Déversaient sur nous toute la bibliothèque révolutionnaire
À quatorze ans ein bisschen étouffe-croquant — je cite
Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt
De la juste solution des contradictions au sein du peuple
Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine
Questions de stratégie dans la guerre anti-japonaise des partisans
L’Impérialisme stade suprême du capitalisme
Le Marxisme et les problèmes de linguistique
Face au révisionnisme
À propos du bilan de l'exécution des thèses sur la question rurale
— critiquaient la fiction la musique occidentales
tout ça n’est pas la réalité elle est de l’autre côté
de la fenêtre la réalité
ne le savait-on pas assez
Nous eûmes les honneurs
d’une descente de gendarmerie sur le kolkhoze Kervoriou
On apprend de source sûre
que vous hébergez dangereux activistes
prochinois — père alors tenait sa grande scène
Il fut digne d’un tableau de l’opéra de Pékin
torse en avant ses yeux gris-bleus tutoyant le képi
Ces jeunes sont mes hôtes n’y touche point
puis la vague des camarades tarit nous répétions toujours
comme un mantra enfantin ce chien de Chiang Kai-shek
quelques uns les années passant restèrent nos amis
Je me rappelle surtout Béatrice
la dernière garde rouge
la prochinoise apprêtait avec art les meules de paille
et dévalait les charretées
comme dans un film de Sergueï Eisenstein
Béatrice dont les épaules émouvantes
me firent sentir moins longues les journées
dans les champs de pomme de terre
292. Rose
La rose traversait le dernier jour de clémence
la tête inclinée vers le sol les pétales brimés de froid
Ni l’air gris ni le balancement lent des saules
ne pouvaient tuer le rose de cette fleur
l’automne à son terme ne dépèce pas ses proies
il les laisse flétrir et observe en silence
comme le sang se retire des choses
Avec patience la lune déposera ses sucs
sur leur tête qui oscille et les apprêtera
pour leur dernière nuit
comme encloses entre deux mains de cristal
aucun bourdon n’aura suivi sa traversée de l’ombre
mais au matin la rose aura nourri d’autres soifs
elle aura glissé pétale par pétale sur l’herbe
la nuit aura embrassé ses lèvres déjà obscures
et déposé
un peu de nuit sur elles dans la nuit tremblante
292. Samedi 20 novembre.
vendredi 29 octobre 2021
Nuages
D’un coup d’aile
comme si tu avais
marché aux nuages
à tout considérer
c’est un petit trajet
pour aller saluer René
dans son nouvel appartement
boulevard de la Liberté
à la dernière tentative
pour lui rendre visite un motard
s’était tué sur Cheviré
impossible de passer la Loire
tout le pont bloqué
un poids-lourd l’avait écrasé
le chauffeur en état de choc
me dit René c’était
dans Presse-Océan
Voulais lui remettre
l’aquarelle promise
une vue de chalet suisse
d’après tutoriel vidéo exécutée
à mes débuts dans l’exercice
de la peinture en souvenir
d’un autre chalet qu’il avait
construit acte inconscient
m’en aperçois seulement
maintenant en l’écrivant
tu te débrouilles sacrément bien
j’ai senti qu’il le pensait
et le compliment m’a touché
je lui ai aussi donné le poème
sur sa Nicole celui qui l’avait
fait pigner lui son légionnaire
il m’avait dit au téléphone
Baudelaire n’aurait pas mieux fait
le chalet et le poème allaient rejoindre
la photo souvenir de Nicole au séjour
on a parlé des géraniums
c’est elle qui les rentrait l’hiver
et de la tempête de la nuit passée
et puis de la pose de son épithèse
invisible près de l’oeil
dans sa bonne tête de Belmondo
ça t’en bouche un coin
des fois le soir je l’enlève
ça gêne plus personne maintenant
et je lis le soir plus de télé
un peu de tabac je dis pas et le
vin un peu pas du bordeaux
t’en souviens-tu au temps qu’on a construit
au moment qu’elle fut souffrante
le chalet de ta grande fille
j’avais pas perdu la main
depuis la Mauritanie
et mes gaberneaux de chantier
en bordure du désert
pas un palace pas le lido
un bon petit vin c’était
il filait bien après l’effort
ils en font aussi pour le visage
des marins tapés par le soleil
Ce devait être à la même
époque de l’année deux mille neuf
toute fin octobre
le trente-cinq tonnes avait
bloqué la rue et déchargé ses
planches qu’on a bien rangées
sur la terrasse Elle regardait
pensive sa nouvelle cabane
ses amies l’appelaient Heidi
ce regard pensif me hante
comme une idée de dernier séjour
dans un visage de jeune fille
Je ne reçois plus dit-il que
de rares visites le gamin
oui maintenant il vient
après toutes ces
après tout ce temps d’ombre
on n’en sort pas indemne
et puis la beauté sa petite-fille
cheveux bouclés noirs Semiramis
petit fauve bondissant
épaules de belle tournure
lumière des jours de René
Pris le C1 toujours la même
voix synthétique et pénitentiaire
« le masque est obligatoire »
vis l’exposition sur l’esclavage
le plan de la Marie-Séraphique
avec à l’entrepont
ses esclaves bien rangés afin
que vous puissiez sucrer votre thé
un café au musée d’arts de Nantes
y reconnais la blondeur
boticellienne d’Ambra Senatore
déjeunant avec son équipe
du centre chorégraphique
tordait ses cheveux en parlant
j’ai vu qu’elle donne une pièce
dont le titre est
Il nous faut une secrétaire
le souffle atlantique animait
la rue Joffre où je passai
dire bonjour à la Vie devant soi
depuis si longtemps
Charlotte la libraire embrassai
achetai un livre de Sarah Chiche
Saturne dédié
aux vulnérables et endeuillés
nous nous sommes rappelés
une rencontre autour d’un roman
confidentiel que j’avais rêvé
tous les exemplaires avaient été
vendus cette journée-là
Do m’avait alors dit
on aimerait maintenant
te voir écrire des poèmes
tu as raison ça peut se tenter
un homme entre et dit j’aime
le nouvel Astérix vous voyez bien
qu’il n’est pas utile de viser si haut
nul besoin de vivre dans un phare
pour rencontrer la muse
Le chronobus C1 c’est
mon Guernesey à moi
bel observatoire pour voir
s’écheveler les comètes
Descendis à Chantenay
où nous habitâmes vingt ans
toujours un détour pour ne
pas passer par la rue Garibaldi
vingt ans y vécûmes
ces vingt ans nous ont vaincus
d’ici nous étions bien trop loin
pour entendre la grande voix qui console
pour entendre la mer
262. Jeudi 21 octobre. Nuages
mercredi 20 octobre 2021
Quoi, vous ne savez pas? Ils vont fusiller aussi le gosse
...
coll. Musée de la Résistance nationale / Champigny, fonds Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé |
« Quoi, vous ne savez pas? Ils vont fusiller aussi le gosse.»
Celui qui parlait ainsi à Marianne était un homme monté sur un cheval, qui s’était arrêté devant elle, parce que les deux montures étaient cousines, assura-t-il. On laissa les deux rouans se saluer en hochant de contentement, comme si la foule, toute traversée par le bruit montant du crime, ne pouvait rendre rien de mieux que cette sculpture vivante d’un palefrenier à cru; une statue équestre allant dans le public, traversant les visages de fantômes des femmes qui répétaient les deux syllabes, comme elles eussent prononcé le nom du Crucifié. Ce gros bourrelier monté en amazone fut pour Marianne une vision d’Alexandre au milieu d’une place impériale, ce cavalier qui entre les étals de boucherie et les robes gonflées de porte-monnaies venait vers elle pour lui dire le nom du garçon qu’on allait assassiner, un amour d’enfant pour lequel on remplissait de balles des chargeurs: Môquet. Oui, ils ont désigné Môquet parmi les fusillés. Un enfant qui avait salué les copains comme pour sauver jusqu’au bout l’enchantement des amours invécues, pour ne pas déchoir devant un prêtre, et devant cet officier français qui avait appelé son nom avec le sourire pincé des damnés.
Marianne se pétrissait encore les lèvres comme pour prononcer le nom, et s’adressait au nouveau cheval: « Mais ils vont en tuer combien des garçons comme lui? » la statue équestre répondit ou elle crut l’entendre: « Qu’est-ce que tu crois, que ça serait le premier gosse qu’ils collent au poteau? Ils font ça pour qu’on les aime, petite, qu’on baise leur évangile de mort les yeux fermés, et qu’on devienne leurs esclaves, c’est ça la vérité de Môquet et c’est pour ça qu’on dit son nom. Il n’est pas seul, ils sont vingt-sept rien qu’ici. Lui, c’est le fils de Prosper Môquet, cheminot, député communiste de Paris, arrêté en trente neuf et déporté en Algérie. Guy, c’est du gavroche semeur de papillons, des tracts qu’il a collés dans tout Paris: « Libérez Prosper Môquet, jeté en prison par Daladier pour avoir voulu la paix ». Si c’est pas la misère de fusiller un petit pour collage de mots. Guy est ici, au camp de Choisel, depuis le 14 mai dernier. Tout cela au nom du travail, de la famille et de la patrie. Je dirais plutôt tracas, famine, patrouille. »
Titubante dans le bruit des voix elle ne comprenait plus cette histoire de papillons dans Paris, elle ne voyait pas le lien entre l’enfant écrivant sur les murs le nom de son père et le noyau d’acier qui allait lui percer le corps, pas plus qu’elle ne percevait le sens de ce bourrelier à cheval, auprès de qui apparut son paysan, portant à l’épaule sa bride, son mors et ses oeillères toutes neuves. « Nous voilà équipés pour au moins dix ans », dit Pleure-l’été, sans prêter attention au mouvement d’horreur qui convulsait la foule. « Tenez, c’est pour vous », ajouta-t-il en lui collant un bouquet d’oeillets dans les mains, qu’elle saisit et porta à son épaule pour le bercer.
Elle s’éveilla tout à fait car le paysan la pressait. Le bourrelier à cheval avait disparu, Marianne suivait en esprit la soutane jusque dans les cabanes, elle s’agenouillait avec le prêtre, les sacrifiés lui parlaient des martyrs chrétiens, elle donnait du papier aux condamnés, elle écrivait les adieux, elle regardait des hommes fumer leur dernier tabac gris, et toujours ce nom qui revenait toujours, Môquet, comme s’il avait été une balle dans la poitrine de chacun, et de chaque poitrine monta le vieux chant des fédérés marseillais de 1792. Les blouses noires et les capelines du marché de Châteaubriant se tournèrent toutes vers le camp, d’où l’hymne s’élevait comme une colonne de feu. Les vingt-sept montés dans trois camions, ce ne furent pas vingt-sept voix mais quatre cents, tous les prisonniers du camp hors des baraques pour fracasser le bleu du ciel avec le Chant de guerre de l’armée du Rhin. Le chant monta dans les camions vers la carrière de sable, traversa la place de marché, et ce fut Tremblez ennemis de la France, le peuple souverain s’avance, ce fut comme un convoi de peste traversant une ville morte, et une main noire s’étendit sur le marché comme les remorques prenaient la route de la Sablière, une poigne invisible qui pétrissait chaque visage, refaçonnait un homme, donnait à chacun une bouche de colère et le nommait Môquet, maître du chant de sa propre mise à mort.
Le chant ne s’arrêtait pas, après l’air des armées de l’an II, après l’hymne chanté le soir de la bataille de Fleurus sur les cadavres de l’Europe des princes coalisés, ce fut une voix seule qui fit courir une longue lézarde dans le ciel, une aria de la jeunesse où Guy Môquet tenait la seule voix, adressée aux blouses foraines, aux capelines des laitières, aux tabliers des bouchers, aux pognes des forgerons et aux chapeaux des fleuristes, à tout ce qui sur la terre peut serrer, pétrir et caresser; trembler, se souvenir. Et dans cet entrecroisement de rayons d’or qui se concentraient ici dans une carafe d’eau fraiche, là dans une bouteille de vin gris plongé à la fontaine, le chant de guerre des jeunes partisans, la Marseillaise des dérailleurs de trains, traversait les parois de ces sortes de bétaillères bavaroises dans lesquelles ils allaient vers le gravier d’une carrière. Une voix seule, un peu brisée, car Guy s’était un peu évanoui, non de faiblesse mais par collision avec l’Histoire si précoce dans le baiser qu’elle lui offrait. Qui de Môquet ou de la fille Kersaint vit l’autre le premier? Ce regard leur fit pour chacun comme une poignée de neige dans la face, et c’est pour elle, fille aux oeillets, qu’il chanta: Nous sommes la jeune garde, nous sommes les gars de l’avenir.
Marianne avait été happée par le visage de ce jeune homme qui allait mourir à Châteaubriant; la colonne du massacre s’éloigna. Au camp qu’ils venaient de quitter, le sous-lieutenant français qui avait épelé d’un air pincé: « Guy Môquet », le nommé Alphonse Prouyat, qui s’était lui-même cousu dans le dos les ailes de Lucifer, s’était passé les braies de charretier de la mort, faisait les gros yeux aux prisonniers. « Nous les vengerons », criaient-ils. Il fronçait le sourcil, leur montrait un soldat perché dans sa guérite, en manière de « adressez-vous à qui de droit ». Leur prédisait une balle s’ils continuaient leurs chants de guerre. On dit aussi, et c’est une autre esquisse de la même scène, que le lieutenant Prouyat siffla le guéritier, qui obéit et arma le fusil en forme d’intimidation.
Un mot d’ordre circula dans les rangs des prisonniers: « Fermez-la les copains, c’est déjà vingt sept martyrs pour ce jour, on va chanter le silence. »
Et ils le firent.
La bouche d’ombre seule adressa les couplets muets de la Marseillaise aux martyrs debout devant les neuf poteaux du val sans retour. L’hymne ne fut pas chanté mais pensé et entendu. Un chien hurlait dans le bruit des moteurs. Trois fois neuf salves à 15h55, 16h et 16h10, ils furent fusillés sans bandeau sur les yeux, comme le rapportent les chroniques du temps, et achevés d’une balle dans la nuque; Marianne s’était déjà éloignée à la remorque de son laboureur de Saint-Julien-de-Vouvantes. Déjà sûre que, si la devineresse avait dit vrai, les trois fois neuf salves résonneraient dans ses oreilles aussi fort que si elle avait été auprès chacun des vingt-sept, criant avec eux « Vive la France », et, auprès du métallurgiste Jean-Pierre Timbaud, avec la pauvre flamme de l’impertinence humaine: «Vive le Parti communiste allemand!»
À l’appel du soir, au camp de Choisel, manque de tact de la part des bourreaux, les noms n’avaient pas encore été rayés des listes. Furent appelés les corps chargés dans les camions, chargés avec leurs poteaux d’exécution criblés et bleus de sang, ne laissant que des trous sombres dans le sol, et pour chacun des voix parmi les quatre cents prisonniers répondirent vingt-sept fois: Mort pour la France. Et le soir, toutes les planches où ils avaient marché, où ils avaient écrit « La liberté ou la mort », furent découpées et conservées en reliques; dans la nuit de Choisel, un merle modula comme pour les tués de Fleurus et de Valmy son chant qui d’abord s’enroue pour ensuite flûter, s’enrouler au silence; les plus jeunes des internés s’endormaient en serrant une planchette de bois gravée des idéogrammes conjugués du ciel bleu et de la résistance, ce double linéaire des croyances, en Dieu et dans le Parti, bercés par la phrase de Guy Môquet qu’ils avaient transcrite sur elle: Soyez dignes de nous, les vingt-sept qui allons mourir.
...
...
(Extrait du roman inédit "Le réseau")
lundi 4 octobre 2021
Le blues d'Issa au resto des SDF
Toute une ambiance aux Restos ! Issa, ici devant sa barquette, se réchauffe le cœur en soufflant un air d'harmonica |
Ici, c'est le centre d'accueil de jour des Restos du coeur. 7, rue de la Galissonnière, à Nantes. Pas difficile à trouver. Il suffit de suivre les grands noms de l'astronomie, Cassini et Copernic. Vous rasez les puissantes voitures garées le long des trottoirs et vous tournez à gauche. Là, à cent mètres, c'est la galaxie SDF.
Issa finit sa Kro posée sur une poubelle. « C'est leur cantine, leur chez eux, alors ils n'aiment pas trop être embêtés », prévient Sylvie Rateau, la présidente des Restos. Profil bas, vous entrez. « Tu peux te mettre là », me dit Gérard, le directeur du lieu. Ça réchauffe le coeur d'être accepté.
« Les keufs m'ont serré »
Il y a donc Mamie, « une vieille des Restos, depuis 1988 », parmi quinze bénévoles. C'est elle qui distribue : « Taboulé ? Carotte ? Macédoine ? » C'est elle qui pigne pour qu'on ramène les gobelets de plastique, et qui les lave. Il y a Mario au micro-ondes, qui tourne à plein régime pour réchauffer les 90 plats du midi.Parmi les convives, il y a le vieux briscard qui aligne les vannes : « Pourquoi changer ? Pour être plus con ? » Lui, il a son logement. C'est aussi le cas de Salam, qui discute dehors. RMI, logé, mal logé. Il râle. « Les keufs m'ont serré au Champ de Mars. Je vendais des livres sur le trottoir. 20 centimes l'exemplaire, histoire de boucler le mois. »
Il cligne des yeux. Affûté comme un crayon. Un crayon à mine dure, mais cassante. Raconte son appartement insalubre. Les chiottes bouchées pendant deux ans. Le refus du proprio de réparer. « Une formation ? Non, j'ai une dépression. J'ai peur de me retrouver à la rue. Mon appart, je le supporte plus. Le parquet est rongé. Je chope des microbes. »
Issa a fini sa bière et s'assied. Salue ses amis, poings collés, poing au coeur. Eux vivent en squat.
« J'avais un groupe »
Le micro-onde fait sauter le compteur. « Jo-yeux zanni-versaiiire ! » Re-lumière. Entrée sans porc pour Issa, Sénégalais musulman. « Il aime pas le porc, c'est pas un grand voyageur, ah ah ! », plaisante Mario.À côté du passe-plat, une petite bibliothèque. Thierry cherche de l'index un livre qu'il n'aurait pas encore lu.
Il y a une place libre devant Issa. Il m'y invite : « Il faut communiquer dans la vie. J'espère qu'il a dit vrai Sarko, sur le droit au logement sans caution. Même si on a l'aide de la Caisse des allocations familiales, les propriétaires ne veulent pas nous loger. »
Issa a un brevet hôtellerie. Quelques remplacements à la Mutualité et au Lieu Unique. Trop courts. Il a dévissé le jour où sa meuf « s'est barrée ». Il me laisse son numéro de portable. L'autre objet qui ne le quitte jamais, c'est son harmonica Hohner « marine band » en mi, le même que Dylan. « J'avais un groupe. J'étais bon à l'harmonica. »
Allez Issa, play it for me, joue-le pour moi. Issa joue. S'interrompt pour me dire : « Mais tu ne manges même pas ? »
Thierry a trouvé à lire.
Daniel MORVAN.
244. Karo
"la ville sainte est carcasse de monstre
désossé par une armée d’insectes
qui en firent des confetti de à coups
de mandibules horrifficques"
-- euzuz on dit en breton
une ville qui ruisselle de piétas et de descentes de
croix de boursouflures de marbre de colonnes
pourpre cardinalice putti et sépulcres
pas une ville mais un déchet industriel
dit le sculpteur Christian Champin qui cisèle des broyats métalliques
en guerriers Maasaï sur des socles en cagette
mieux que les champions de quadrige péplum
Rom n’est plus dans Rom Read Only Memory
mémoire morte dans les flaques d’History
Cette ville est un navire Argo déclassé
le fatum qui assiège tes murailles
la dame de carreau au cœur piqué défailli
Damez Karo prie à genoux dans ses trèfles décapités
242. Nausée purple lakers
Des fois si le poème t’écœure survient
cette nausée purple lakers
lorsqu’il te semble devoir
rembobiner l’enfance éclaircir les ombres
jouer cartes sur tables sortir ton joker
comprendre qu’on ne voulait pas laisser
père mère derrière soi ce crève-cœur
m’a-t-il pas vraiment crevé le cœur
Reste l’impression d’être ventousé à la paroi
pousser devant soi un arceau gothique en forme de
thorax sous lequel passerait une colonne de fourmis
fuyant à l’arrière des colonnes ennemies
et encore l’idée qu’il suffirait de prendre
ces chemins terreux pour se laisser
reconduire à la boue nourricière à la frontière
où tu vois la bouche de l’eau et l’œil des étoiles
te ramener au fumier -- retour dans le game
essaie encore dis ta chanson de golem
cette forme dégradée de parole est ta mixture
de rural saupoudré de lectures mais rien de moderne
mais rien de ce mash agreste post mortem
qui sied tant à la modern poetry
les pages du livre tourneront comme Patek
quand tu sauras boutiquer de la versité
pour produire l'effet de vrille du vilain canard ayant couvé des signes
à quoi s’attendais-tu à ce que la nature
consente à descendre de monture
et ramasse l’épi chu du tas de blé
pour te dire que le monde sera sauvé
tu as trop médité sur des cadences tricotées
en marquant les basses laisse dériver la barque latine
O rus! quando ego te aspiciam attache des rames
aux berceaux d’osier et vogue si ça finit par dire une chose
ça s’est d’abord pointé en intrusion manifeste
sans surveillance une ligne mal bâchée vire à l’épique
ceux qui ont le flow inné te te mixent ça au buzzer
ça cartonne ça parle aux foules et ça check
tous les marqueurs de hype le poème est complet
pas besoin de hairstyle 100% indian hemp
pour rouler en inconduite intérieure ce crève-cœur
m’a-t-il pas vraiment crevé le cœur
samedi 18 septembre 2021
221. Astronomie
C’est aujourd’hui la fête du Double Neuf
Cette nuit au stade Meerschaut
Allons voir comment bouge le monde
au télescope des astronomes amateurs
nous sommes marins en bordée
qui titubent et chantent à la lune
sous les balcons d’une maison silencieuse
La Lune
Quand je la regarde je pense
que vous aussi la regardez
là haut c’est un bal qui donne le vertige
à vous
personnalité obscure gringalet à pompon rouge
qui voudriez
attraper la lune avec les dents
dévorer les élégances du ciel et leur marche hautaine
bustes marmoréens et visages parfumés
Laissant flotter un sourire sur leurs profonds empires
elles vont épaules nues survolant d’un soupir
l’infini qui roule sur ses cylindres obscurs
Des plumes d’argent oscillent à leurs têtes
Parfois vous vous croyez satellisé
sur le trampoline de la nuit élastique
vers le chaos harmonieux qui tourne avec lenteur
aucun chambellan ne vous barre la route
vous voici dans l’escalier d’honneur
Des lustres baignent les danseurs d’une foudre blanche
sur la pointe des pieds vous tentez d’apercevoir une blonde
figurine qui passe dans un tumulte de glace
tout se passe
comme dans une page de roman russe
on devine
Les tulles vaporeux d’une supernova
Les amas globulaires de l’outre-monde
Les scories éjectées de notre espace
qui
savent maintenant
ce qu’il en est du big bang
et cette rosée du rêve que nulle main poudrée
n’essuie du visage au menton de l’enfant
Jupiter est une agathe en suspension
que poursuit la queue d’un cerf-volant
—un pointillé de lunes gelées
Callisto
Europe
Ganymède—
pour conclure la phrase inscrite d’une craie hésitante
dans l’alphabet des choses obscures
Tant de mondes dans ce monde
tant d’attractions dans le poème étoilé
et tant de silences entre chaque étoile
Il y a aussi
Saturne Ô frère sombre en ta prison ronde
et qu’en septembre l’on voit briller à l’affiche qui annonce
Le Voyage d’hiver
Comme moyeu de cette roue
faite de vides de béances de trous de souffleurs
La lune — cette étoile de cinéma
C’est devant son miroir qu’il faut la voir
comme Auguste Méliès l’aima
avec sa tête pâle de petite soeur cosmonaute
qui a perdu ses rubans
221. Jeudi 9 septembre.
mercredi 28 juillet 2021
177. Nicole
À René
Jour après jour la neige qui pleut des greniers
saupoudrait ses jours Sur le genou seul resté
un peu de cendre souvent
déposait sa dîme comme la lune
sur la tête des oiseaux dans l’eau qui clapote
Ainsi qu’une voyante dans sa ruelle
au chef couronné d’un buisson de houx
elle lit le grand livre des étincelles
et déchiffre l’univers de sa margelle
Un peu de malice allumait son oeil
qu’embuait les vapeurs de soupe au choux
tandis que sa jambe la portait aux fourneaux
Oui je peux encore l’apercevoir
je vois une silhouette années cinquante je la vois
marcher sur les passerelles du quartier ouvrier
jetées sur des briques quand la Loire déborde
Les pieds agiles des filles du faubourg
savent marcher sur les rigoles du fleuve égaré
je la vois voler en jasant jusqu’au milieu de la ville
traverser le cours Cambronne à la manière des moineaux
je vois la primevère à travers les branches du saule pleureur
et la fauvette dans les griffes lance encore son chant
Sur Nantes où prospérait le couvent
bagne urbain de la rue de Gigant
prison d’orphelines arrachées à leur milieu
Ogre Gigant dévoreur d’enfants perdues
de saute-ruisseaux non réclamés des tribus
prolétaires passant d’une mère épuisée à une mère supérieure
et des singeries de la rue à la machine à coudre Singer
La rafle des filles errantes happait celles
du Chantenay ouvrier vivant dans un palais délabré
un atelier pour elles et pour les marguerites sabrées
par les sévices réservés aux jouvencelles
du faubourg à qui la cornette enseigne l’unique métier des bonnes
celui de coudre et de courber l’échine
Cependant dans les bois sombres j’entends un chant rebelle
celui d’une ronde enfantine sur un tapis de trèfle blanc
C’est un rêve je la vois chanter un air à danser de son Trégor
oui je l’ai surprise plus jeune dans cette vision des champs
peut-être y danse-t-elle maintenant sur un tapis de boutons d’or
une flûte y chante sans voir une dame blanche à l’abri d’une treille
qui la regarde danser et médite d’un oeil de foudre:
un jour nous l’aurons cette sans-pareille
qui danse sur les mousses et ne sait pas encore coudre
Plus tard la veille d’être libre les blanches la tondirent
pour la maudire encore jusque dans sa liberté
Ce matin les épaules de René ne portent que ses larmes
Elle est bien maintenant dit-il Là où elle se trouve est le paradis
Nicole a refermé son parapluie
lundi 5 juillet 2021
155. Pompidou
où le poème baisse les armes
à ce stade je ne puis rien pour vous
dit la muse
vous touchez au point zéro Ce creux ce vague
où l’aède vanné se vide
implore le pardon pour ses rimes fautives
ses rythmes bancals et les syllabes malhabiles
et puis sans le goût de parvenir
que fait sur terre un poète
et enfin chanter passe encore mais rimer à cet âge —
Celui qui écrit ces lignes se reconnaît
dans plusieurs des épitaphes prononcées
par Georges Pompidou dans une célèbre
Anthologie de la Poésie Française
(elle n’acceptait que des morts
écartant le vivant le schizoïde à vers libre
plutôt cimetière donc que florilège)
On a depuis longtemps oublié le Président
on se souvient encore du lettré
dont le florilège poétique fit autorité
de ses avis voici l’anthologie bien condensée —
Il était né pour d’autres époques pour être troubadour
ou pour la chambre bleue d’une marquise de Rambouillet
Il n’a écrit que de menus poèmes
Il y a dans son œuvre grimaçante beaucoup de la
nostalgie d’un génie qui n’a pas su éclore
Aurait-il su se dégager de l’amertume et du grincement
je le crois —
Poète si tu te sens visé par Georges Pompidou que peux-tu répondre
d’autre que pom pom pi dou
il me revient l’anecdote
contée hier au bistrot par mon sonneur attitré Gilles Vaillant
d’une adolescente fugueuse aux trousses de qui
la police lançait un chien pisteur après lui avoir donné
ses chaussettes à humer
pour retrouver sa trace
Une nouvelle fois arrêtée
Au poste de police l’enfant se tourne vers le chien
ôte une de ses baskets la renifle et lui dit
Médor je n’envie pas ton métier
Ainsi en va-t-il de Pompidou qui humait les odelettes
des poètes
remuait la queue en disant c’est du bon vers de France
(évoquant Verlaine Hérédia ou Perse)
ces stances qui fleurent le lyrisme inégalé
du génie français
et les rangeait dans un livre
jeudi 24 juin 2021
143. Ormes
Pour voir où le cosmos a commencé
pour conquérir l’espace
il y a la cime des bois
les jambes nues pour y grimper
L’ombelle poudreuse des ormes
résonne des voix accentuées d’envers
On respire mieux à la proue des arbres
la tête aux feuilles et aux bourdons
on se rêve tout armé de rosée
on boit au nuage s’il passe à portée
et le chant ce chant une grappe
que l’on cueille au passage de la barque aveugle
ce baiser que l’on vole à l’azur
à la hauteur de la gorge des grands arbres
où l’enfant voit passer les bateaux et la neige
143. Mercredi 23 juin. Arbres
mardi 22 juin 2021
142. Silex
Cette flèche taillée n’est pas un miroir de fille
mais le sourire des yeux qui dorment sous terre
pose sur ton visage le masque d’oiseau
chemine sur le bord éclairé des collines
là où sont les villages enfouis
tu la sentiras quand elle te percera le cœur
tirée d’un arc depuis l’autre versant du sommeil
le silex des beautés qui passent dans chaque
clignement d’étoiles.
(142. Mardi 22 juin. Silex)
mercredi 5 mai 2021
93. Nuit
Cette cité fut une île et tient son origine
De ce que les eaux ont ce pouvoir
de faire naître des villes où elles creusent des lits
Tout ici appelle aux reconnaissances
aux tumultes d’appareillage tout y appelle même
Les frayères à limandes et les migrations des civelles
L’eau qui va invite à rejoindre l’identique envol
Cependant que le pied suivait le chemin d’arène
Vers la luisante berge où se raffinent les huiles
Et les cheminées qui formaient un dôme de soufre
Sur les jardins mouvants et les portes de la ville
Ce chemin n’était pas le tien qui longeais sans désir
le bord de l’eau au reflux de la marée
Voir et sentir ne te sont aucune joie c’est la nuit
que tu veux c’est elle qui t’emporte
jeudi 29 avril 2021
88. Jeudi 29 avril. Dévotion
Et les suites de cette dialectique de destruction
qui emporte tout glaciers espérances et langage
de quoi pouviez-vous témoigner dans vos villes délaissées
à l’extrémité du continent
De la somnolence et du charme de vos petites sorties
de la mémoire des outils du partage des jardins
souvenir des terres communes
une conversation par-dessus la haie un souvenir du vieux temps
Il y avait longtemps que la colère
empruntait ces canaux numériques
où foi et dévotion se disent par procuration:
comment cela, et il faudrait qu’aussi
nous nous occupions nous-mêmes des questions?
N’est-ce pas assez de mimer avec véhémence
la rage du citoyen révulsé par le trépas des pigeons de ville
plus que par les brûlis de plastique la dioxine le mercure
les polychlorobiphényles cramés à l’air libre ou cachés au fond des mers
par l’expulsion du Malien futur Nobel
Laissez faire l’homme le plus riche du monde
demain nous serons immortels et la Terre une planète abandonnée
stockée pour mémoire
À quoi se raccrocher à quelle célébration
des labours quelles saisons nouvelles quelles illuminations
à quelles processions mystiques à quels dérèglements sacrifier
Vers quel temple de Delphes marcher dans la nuit
dans quelle nuit solitaire courir avec des torches
À quels ossements s’adresser à quel cairn adresser le vieux salut:
Le monde est beau est l’avenir est saint
dimanche 25 avril 2021
84. Dimanche 27. Trémel
À Denise le Dantec
Dimanche me ramène dans cette petite église
Où je fus ni enfant de chœur ni officiant
Mais garnement officiel et cancre
Idiot titulaire de chaire dans un lieu humble et populaire
Qu’en vertu d’une éducation athée
Je me crus autorisé à moins respecter que d’autres réalités
comme les pierres ou les livres
Or mes bavardages conduisaient parfois
le vicaire à me placer dans le chœur même
afin de m’avoir à l’œil honte suprême
d’être exposé tel larron ou mauvais garçon
Je pense souvent à ces stations à genoux
que la prêtrise excédée m’infligeait
La vision de cette église m’affligea autant que
ma bêtise tout le temps qu’elle fut debout
jusqu’à ce que le feu la détruise
Soustrayant le lieu de ma honte à mes souvenirs
Ne reste que mémoire de réprimandes flottant sur des cendres
Oserai-je le dire? Aujourd’hui Trémel me manque.
samedi 24 avril 2021
82. Vendredi 25. Satory
Sorti de grande école chacun
pour s’acquitter du devoir national
avait accès à stalle sommitale
en consulat ou lycée français
Beyrouth Moscou New York
Timor oriental palais gouvernemental
piédestal ornemental
plus que guérite chef-lieu du Cantal —
je ne sais quelle maladresse
piston crevé d’un général
deux étoiles et demie
entrevu du côté de Saint-Servan
(ami du père de cothurne)
me fit retrouver mes frères de classe
bombardé deuxième pompe
au régiment du train
Caserne Satory —là même
où furent fusillés en 1871
Vingt-sept communards
Dos au polygone d’artillerie
qu’on appelle mur des Fédérés
Louise Michel y fut détenue
avant d’être déportée—
Satory est au 35 tonnes
ce que Sartre est au néant
Tentai donc négociation frontale
afin de solliciter fissa
un poste genre Établissement
cinématographique et
photographique des armées
ECPA? s’interloqua colon
dans un rire fractal
Côté cinéma on a ce qui faut
du Riefenstal
à la pelle et du Truffaut
plus qu’il n'en faut
du moins ici vous apprendrez
à camionner
ça peut servir dans l’existence
à défaut d’être le nouveau Rivette
Tout se termina bloc des fous
pour dissociation psychique
bouclez et réformez-moi ça
Principe de réel leçon une
le réel c’est l’impossible
dit Jacques Lacan je réfute
Possible il l’est
Satory en est la preuve
samedi 27 mars 2021
53. Clef de huit
Jour après jour divers aperçus
de l’existence sont ici évoqués
en vers pairs conçus
dans un mètre corseté
Pour bricoler à sa guise
Enfiler bleu de chauffe
clef de huit en poche
Puis édifier mode Eiffel
Une tour d’octosyllabes
Docte parenthèse: —
l’octo apparaît au dixième
siècle dans une vie de saint
et dans les 129 quatrains
de la Passion de Clermont
Huit syllabes petite barque
Pour haute mer et rivière
On le dit de peu d’étoffe
style bout-rimé de pot d’adieu
Le valet de pied du vers françois
Court si l’on veut du court
Étirable au gré des foules
selon la longueur des houles
Dans tous les genres, antique
et breton, en dizain, en neuvain
En carré magique (autant de syl-
labes que de vers)
Parfois une alternance
de sept huit syllabes déclenche
un effet d’accélération
(énergumènes Prigent Cadio
le boostent façon turbo —
Fin du pédant topo)
Octosyllabe tube à essai
cristallise le mémorable
phénomène de ce vendredi
vingt-six mars où peu de choses
se sont passées en apparence
le monde roulait ses cadences
Merkel tance la France
Classée à haut risque viro
logique par Berlin
trafic mondial ralenti par
porte-conteneurs Ever Given
monstre de quatre cent mètres
en travers dans le canal
de Suez, mort d’un cinéaste
Trop popu pour les bobos
trop chichi pour les prolos
Collision ferroviaire en Égypte
Locos De-Luxe en frontal
32 trépassés Sanction dissuasive
Exigée par président Sissi
Échappe-t-on à l’octo sur la terre?
Dites-le moi seulement
au cas contraire et dans quel script
faut-il vous le dire pour être compris
Je voudrais dans ce coffret
de huit syllabes conserver
Ainsi qu’une capsule temporelle
une file d’attente de poissonnerie
extérieure juste à la sortie
des chantiers de l’Atlantique
Sous les tourelles et les bielles
Du prochain paquebot XXL
barcasse pathétique
est Virtuosa pas un caïque
Babel de manchots à fric
Départ le premier avril
7 h 45 à la marée
2421 cabines 6334 passagers
21 bistrots, barman humanoïde
Kitsch façon Raoul Georgette
Roulette blanquette piquette
Bétaillère climatisée
Au moins ça leur fait du boulot
Ça ou compter les bulots
Dit Roger au blond à collier
(Jésus en guitariste crucifié)
Tout cela vous a un côté
Fin du monde vivement Gibraltar
Va pas gêner la croisière
Virtuosa de tes galères
L’Humanoïde te sert un Spritz
avec voix et expressions Ritz
pour une expérience de
bar totalement immersive
Le ferons-nous seulement ce voyage
dimanche 14 mars 2021
40. sam 13/03/21 Le baiser de Marguerite d’Écosse à un poète
L’anecdote est rapportée par un auteur nommé Lebrun:
Un poète dormait dans la cathédrale
Quand une fille de Perth
Jeune épouse du roi de France et princesse d’Écosse
Passa par là. S’avisant en experte
De la présence d’un trouvère
Elle déposa un baiser sur sa bouche close:
C’est ainsi que font les muses
En rencontrant un mortel qui les honore
Assura l’exquise altesse.
Et sans prévoir les effets d’une charmante audace
L’osée Marguerite s’assura l’immortalité.
Comment? Voici: L’aimable histoire fit bruiter
L’entourage, dames d’honneur et pages
Chambellans, dames d’atour et roi:
Cette reine qui trouva la bonne page
De son destin dans l’écriture
Ruina sa réputation par l’excessive cour
que lui firent les poètes, de l’estropieur de vers
au maître des rimes en « M ».
Cela lui valut d’être espionnée, méthode immonde,
Par son époux le dauphin Louis, futur XI.
Elle mourut à dix neuf
ou vingt ans sur ces mots: Fi de la vie en ce monde
Ne m’en parlez plus.
Mais on parle encore d’elle, et jusqu’à à Paimboeuf,
Pour ce baiser volé.
mercredi 16 décembre 2020
Perros, Keineg, Rougé: Dialogues avec le visible (2005)
Georges Perros © Thersiquel/amis de Michel Thersiquel
Georges Perros
« La peinture, dit ma voisine, ça défatigue ». Cette note des « Papiers collés » dit bien la familiarité de la relation du poète Georges Perros au dessin et au visible. Et nous étions loin d’imaginer qu’il existait une œuvre graphique du poète, dont l’intérêt a justifié une exposition du musée des Beaux-arts de Bordeaux. En préface de cet album, Michel Butor raconte comment les lettres de son ami Perros se sont peu à peu mêlées d’images. Cette attraction fut certainement encouragée par l’amitié du peintre Bazaine. Elle correspond aussi à la perte de la voix, douloureusement vécue par l’auteur d’Une vie ordinaire : « la poursuite du dessin est une conversation muette avec soi-même », écrit Butor, qui voit dans ces essais graphiques une forme de thérapeutique, « comme les Indiens Navajos soignent encore leurs malades par des peintures de sable ». L’album publié par les éditions Finitudes va au-delà de l’anecdotique et nous montre un écrivain travaillé par la pulsion graphique, qui éprouve « l’envie de dessiner plutôt que d’écrire, de dessiner ce qu’on a envie d’écrire. » Ce sont tour à tour des « tracés de nerfs » à la Henri Michaux, des collages (« je colle un tas de saloperies, allumettes, sables, algues, fleurs »), des gouaches et encres de Chine grattées, où il excelle. Poète amoureux de la peinture, Perros est ici le continuateur d’une tradition où l’écrivain élabore son esthétique dans le rapport au tableau, comme Baudelaire avec les « peintres de la vie moderne » et Francis Ponge avec Fautrier et Braque. On décèle aussi chez l’ermite de Douarnenez une idéalisation de la peinture comme espace protégé : « Un homme qui peint est préservé (…), plus préservé, en tout cas, que l’homme qui écrit. » Et pourquoi ? Parce que « la peinture est une pensée sous scellés », un secret bien encadré, un noyau qui résiste à la parole. Georges Perros, par ses propres dessins, s’avoue faire partie des « grands jaloux dont le martyre d’écrire a été atténué, enchanté, par leur fréquentation des ateliers, les amitiés qui s’ensuivirent ».
Paol Keineg
Faire image, tel est le métier des poètes, même s’ils disent parfois le contraire, comme l’écrit Paol Keineg : « Moins d’images, moins de malheur ». Depuis longtemps libéré de son étiquette de « poète breton », comme le dit Marc Le Gros en postface de ce livre paru au Temps qu'il fait, Keineg propose un dégagement poétique, entre ici et ailleurs, présence et absence : « Là, et pas là ». On mesure l’écart pris avec la flamboyance adolescente des années 1970, le verbe est concis, tranchant et péremptoire. Le prosaïsme rôde, mais n’est admis à la faire que sous la forme du slogan, de la formule ironique : « Un coin à jonquilles sous le ciel bleu. Le souvenir absurde d’une étendue de broussailles. L’ego s’offrant en forme vide. Trois raisons d’adorer les terres étrangères. Trois raisons d’abhorrer le capitalisme. » Keineg trouve, dans son rapport au parler véhiculaire, des accents à la James Sacré : « C’est vraiment chouette d’avoir trouvé refuge dans les phrases quand on préfère l’esclavage à la mort. » Toujours lapidaire, déroutant, Keineg se montre particulièrement drôle dans ces petites formes condensées, ces formules que l’on voudrait toutes citer : « l’adoration des actrices, il faut que ça reste un péché », une façon de se planter dans la langue courante et de lui couper le souffle : « C’est un pays toqué, plein de haine. Pas de rouspétance, je vous embrasse sur la bouche. »
Dans cette même veine, on lira Yves Deniellou dans un grand poème lyrique sur la campagne, la cueillette des mûres et l’amour : « On fait dire/ des choses aux mots/ en portant aux lèvres/ une petite photo ».
Poésie en siège tracteur
Erwann Rougé est un poète de la perception, profondément incarnée, mais étrangère aux appartenances, presque extatique. Nous le retrouvons dans un livre dont le titre vient d’Artaud, « Paul les oiseaux ». Il s’agit d’éprouver la présence du monde et d’exister poétiquement, en faisant le fou, en déformant les vieilles chansons : « Colchique sur un pied, le ciel, le ciel ». Il serait facile d’opposer à cette écriture à vif les petites vignettes campagnardes de Thierry le Pennec, mais le titre même laisse bien entendre qu’ici aussi, on embrasse l’aube d’été, et pas du bout des lèvres : « Je tourne la terre/ au tracteur pour la première fois/ de mon rêve ça sent le maraîchage les champs/ tassés par la poussière la sueur sous les bras/ de chemise ô mes quinze ans les voici les beaux nuages/ d’Ouest les voisins viennent voir/ comment je m’y prends et si/ ça poussera bien le fils assis sur le pneu/ tient la clef à molette il est dans son bleu. » Une vraie révélation que cette poésie en siège de tracteur.
Daniel Morvan.
Dessiner ce qu’on a envie d’écrire, de Georges Perros. Editions Finitude & Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. NP, 28 euros.
Là, et pas là, Lettres sur Cour, de Paol Keineg. Le temps qu’il fait, 160 pages, 17 euros.
Le mur de Berlin ou la cueillette des mûres en Basse-Bretagne, de Yves Denniellou. Wigwam, NP, 5 euros.
Paul les oiseaux, de Erwann Rougé. Le dé bleu, 86 pages, 10,50 euros.
Un pays très près du ciel, de Thierry Le Pennec (prix de poésie 2005 de la ville d’Angers). Le dé bleu, 86 pages, 10,50 euros
jeudi 22 octobre 2020
Les chemins de la liberté de Liv Maria
À nouveau l'univers de Julia Kerninon vous emporte, par son mélange de précocité, d'appétit de dévorer le monde dans toutes les langues. Avec pour armes favorites une bibliothèque gigantesque, une machine à écrire et un sérieux romanesque qui bouscule toutes les objections, notamment celles qui peuvent invoquer la vraisemblance, elle raconte à nouveau une conquête de liberté. Nous retrouvons dans "Liv Maria" l'univers intense et excessif de la romancière, fait de dépaysement aux quatre points cardinaux, de secrets lourds à porter, malgré lesquels se construit un destin, la rage au ventre.
Liv Maria est la fille unique de Mado Tonnerre, tenancière taciturne d’un bar sur une île bretonne et de Thure Christensen, marin norvégien. Ce dernier entreprend d'initier à sa fille, avant même son adolescence, aux classiques de la modernité littéraire. Beckett, Faulkner, Jack London sont les lectures du soir pour la petite fille, et Murphy ou le trappeur malheureux de "Faire un feu" sont ses héros de contes de fées. Elle a 17 ans quand elle subit une agression sexuelle. Par mesure de sécurité, les parents optent pour un éloignement de leur fille, qui est envoyée à Berlin, où elle découvre l'amour dans les bras d'un Irlandais qui a l'âge d'être son père. Vive passion qui s'achève par la disparition de l'amant, qui pourrait passer par pertes et profits s'il n'était la clef de toute la suite du roman, car si Fergus s'éclipse, c'est pour faire apparaître un autre Irlandais, Flynn - n'en disons pas davantage.
Après cette volatilisation de l'amant, les parents de Liv Maria meurent dans un accident de voiture, et c'est au Chili que la jeune femme part oublier son chagrin. Survient un nouvel amour (Flynn, donc), et nous plongeons dans un scénario tragique, où il apparaît que les amours nouvelles sont toujours les enfants du passé. La voici mère, libraire, à la manière de ces romans anglais où les brumes celtes protègent les cœurs ardents, les vies antérieures et multiples: «Je suis la jeune maîtresse du professeur, la femme-enfant, la fille-fleur, la chica, la huasa, la patiente de van Buren, la petite amie, la pièce rapportée, la traîtresse, l'épouse et la madone, la Norvégienne et la Bretonne. Je suis une mère, je suis une menteuse, je suis une fugitive, et je suis libre.»C'est asséné comme une devise ou un slogan, et cela figure en bandeau de couverture.
On ne l'oublie pas si facilement, cette Liv Maria, sœur de Jane Eyre et de Mrs Dalloway. Et à travers elle, personnage qui porte toutes les aspirations à sortir de soi-même, et si l'expatriation et les expériences amoureuses en sont le moyen, la fidélité religieuse envers les livres en est la boussole. "D’emblée, explique la romancière nantaise, il y avait cette idée d’une femme avec un secret, une femme qui échappe au jugement des autres par le silence, l’idée d’entrelacer la tragédie grecque au prosaïsme de la réalité. Je voulais parler du quotidien, de la vie matérielle, de l’amour, de la façon dont on change à la fois sans arrêt et jamais, mais aussi de la grande rébellion qui se cache presque toujours derrière l’image de la mère. Je voulais faire le portrait d’une femme telle que je les connais, telle que je les sais vivre autour de moi – libres, incontrôlables, fières. "
Le jeu des coïncidences peut sembler un brin artificiel, mode Alexandre Dumas, mais le livre tient par son style très tendu, acéré, qui contraste avec une atmosphère de romantisme fou, un retour décomplexé au personnage romanesque classique, et la souveraineté intraitable de cette passionnée de Beckett à 10 ans qui, de métamorphoses en ruptures, devient elle-même. Et il y a cette belle métaphore du livre où la vie est une bibliothèque (grande comme celle de Trinity College, dit-elle!), s'apprivoise comme elle et n'épuise jamais tous ses mystères: "Elle regardait le mur de livres et savait qu'une part de lui (Fergus) y était conservée, et elle n'y touchait pas." Ce spectacle ouvre sur le vertige que lui donne sa propre vie, et sur la présence des objets dont l'enfance semblait pouvoir se passer, lorsque l'imaginaire prenait toute la place, bijoux, boîte à couture, moules à sablé: "...les tournevis, les marteaux, les clous, toute la grande quincaillerie de l'adulterie. Les choses qu'elle possédait lui semblaient pourtant des choses utiles, comment expliquer qu'elle n'en ait eu aucune utilité auparavant? C'était le mystère. J'avais le courage et j'avais le mystère/J'avais la sagesse et j'avais la maîtrise." La citation-mantra du poète Wilfred Owen (et la rime mystery/mastery), parmi celles que se récite Liv Maria face à l'étrangeté de sa vie, est l'un des outils les plus efficaces de sa boîte, celle avec lesquels elle force les verrous du monde. On serait tenté de paraphraser la formule: On ne naît pas femme, on devient un personnage de Julia Kerninon.
Daniel Morvan
Julia Kerninon: Liv Maria. L'Iconoclaste, 272 pages, 19€. En Folio Gallimard en mars 2022
Julia Kerninon est née en 1987 à Nantes, où elle vit. Elle est docteure en littérature amé- ricaine. Son premier roman, Buvard (2014), a reçu notamment le prix Françoise-Sagan. Outre des ouvrages autobiographiques, trois romans ont paru : Le dernier amour d’Attila Kiss (2016), Ma dévotion (2018) et Liv Maria (2020)
Lire aussi: à propos de Ma dévotion
mardi 2 juin 2020
Une façade électronique branche Paimbœuf sur le street-art
Une nouvelle façon pour l'artiste d'imprimer sa présence dans nos circuits |
Installé depuis quelques années à Paimboeuf, Dominique Leroy puise son inspiration à la lumière et aux ciels changeants de l'estuaire. La maison comme cadre d'une composition, il en avait eu l'idée en 2012: "J'avais récolté des tissus, sans idée préalable, et l'idée est venue comme on lance un pari: Et si j'habillais ma façade comme un patchwork d'étoffe? Ça devait tenir quinze jours, c'est resté deux ans." Et les restes de décors d'étoffe, sur lesquels Leroy a peint des motifs, sont encore là dans l'entrée de la maison voisine, chez l'artiste Dominique Fournier.
L'idée des circuits imprimés fait donc suite à toute une histoire de décors, pièces de bois, puis patchwork géant de caoutchouc. "Les visiteurs passent et donnent leur avis. C'est une installation, oui, littéralement puisque je l'installe et m'y installe. Avant on me comparait au plasticien Christo." Maintenant, c'est presque l'inverse. L'artiste propose une manière nouvelle de composer avec la lumière de Loire, avec les jeux d'eaux réfractés sur les disques durs fixés aux voliges de bois, et les différentes surfaces juxtaposées en mosaïque, dans une sorte de mélange composite qui peut évoquer les décors de Klimt ou ceux de Basquiat. C'est une architecture imaginaire et verticale qqui sert d'antichambre à l'univers du peintre, car Leroy est avant tout peintre, à situer dans le courant néoexpressionniste, pas loin de Baselitz, de Garouste, de Beckmann. Ce décor de navette spatiale semble répondre aux tubulures rétrofuturistes de la raffinerie de Donges, sur l'autre rive. C'est l'objet le plus photographié de l'ancien port de Nantes.