Envoûtantes Marquises de Daniel Morvan (article de Béatrice Limon)
Un château féodal, dans un paysage qui conjugue la solitude des landes et des rivages : Daniel Morvan ne s’est aperçu qu’après coup que le nom de Penarland contenait aussi un jeu de mots ! C’est le cadre irréel de son nouveau roman, Marquises.
De l’intrigue qui s’enroule comme une liane autour du lecteur pour mieux l’étonner, on ne dira que les premières bribes : Élie, le narrateur devenu amnésique après un accident, est engagé dans un château breton pour y prendre soin des archives et retrouver la trace d’un violon. Daniel Morvan esquisse, à touches sensuelles, le portrait de la châtelaine, Louise : une femme moderne et médiévale à la fois, insolite dans son décor mais aussi profondément enracinée.
« J’ai un peu connu cet univers : ce décor de théâtre où l’on vivrait, ce musée où l’on serait à la fois des deux côtés de la cordelette », dit Daniel Morvan. D’une écriture gourmande en mots savants, à l’unique usage de l’architecte, de l’archiviste ou du naturaliste, il éclaire chaque pièce de ce vieux château. « Le dictionnaire, c’est ma première Bible. C’est un livre. Mon personnage vit avec le dictionnaire pour reconstituer ses propres souvenirs ; et, c’est vrai, cela impose au lecteur d’en avoir un à portée de main… » Pour autant, la langue est fluide, moderne, d’une superbe souplesse.
L’amnésie, le réel, la mémoire, l’écriture : Élie, cousin des personnages de Kafka, est pris dans un étrange étau. Mais il écrit, inlassablement, jusqu’à trente-quatre versions de sa vie pour renouer avec lui-même. L’une des grandes trouvailles de Daniel Morvan consiste d’ailleurs à insérer dans son roman les remarques acerbes que l’éditeur d’Élie, Vania, adresse à son auteur. « Soixante pages pour apprendre que la marquise est sortie à cinq heures, c’est trop ! » Désarmé, le lecteur n’a plus qu’à devenir complice du héros, espérant lui aussi convaincre l’éditeur.
« Je crois à la construction de la mémoire. L’amnésie d’Élie force notre condition à tous d’oublier, de reconstruire, dit Daniel Morvan. On croit qu’on a des souvenirs mais ils ne savent pas apparaître en dehors de l’histoire qu’on se raconte… » En lui le journaliste, confronté quotidiennement au réel, côtoie l’écrivain qui prend des directions imaginaires et s’autorise à jouer. « En filigrane, il y a sûrement une réflexion sur ce que c’est qu’écrire, cette étrange obsession que le journalisme n’apaise pas. » Et dans l’écriture romanesque, maîtriser sa construction offre la liberté.
Maintenant, pour Marquises, « c’est entre le livre et le lecteur ». Le roman va vivre sa vie chez les libraires ; Daniel Morvan, lui, corrige en ce moment les épreuves d’un autre livre que l’on peut espérer pour la fin de l’été.
Béatrice LIMON.
Marquises, de Daniel Morvan, éditions Coop Breizh, 278 pages, 13,90 €.
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