Sari Turgeman: "En général, celui qui écrit un scénario ne sait pas ce qu'il veut dire" / ©Daniel Morvan |
Festival des Trois Continents, Nantes.
Scripte du réalisateur israélien Amos Gitaï sur six de ses longs-métrages, la consultante en scénario franco-israélienne Sari Turgeman a acquis une solide expérience « de terrain » en écriture scénaristique.
Entretien: Sari Turgeman, scénariste, professeur et docteur en scénario
Un scénario, ça n’est pas forcément bon tout de suite ?
Ça n’est jamais bon tout de suite. Il faut plusieurs récritures, y revenir cinq ou dix fois avant que ce qui est écrit exprime vraiment l’idée de départ. En général, celui qui écrit un scénario ne sait pas ce qu’il veut dire. Il est seul, sans miroir. Il développe une idée abstraite sans dialogue avec l'extérieur, et se désespère ensuite de ne pas être compris. Mon travail est de trouver où se trouve la vie, à quel endroit on va pouvoir l’insuffler.
Quelles sont les questions élémentaires que l’on se pose devant un scénario de film ?
Qui est le personnage principal. Souvent, on se trompe, on donne de l’importance à un personnage secondaire. Parfois parce qu’on n’ose pas en donner au vrai héros, s’il vous ressemble et que vous n’osez pas le dévoiler.
Existe-t-il une méthode créative estampillée Sari Turgeman ?
Oui, je publie bientôt un livre : « Voyage du scénario en 84 jours », tiré de mes cours en Israël, qui se déroulent sur douze semaines. Et en hommage à Jules Verne, le maître du voyage à la fois extérieur et intérieur.
Et donc, vos principes à vous ?
Ils sont basés sur la vie. On aime toujours les histoires de transformation, les doubles contraintes. L’idée de conflit, ça paraît abstrait, mais si on dit que le personnage a l’air de vouloir quelque chose et veut en réalité autre chose, ça parle tout de suite davantage. Et j’utilise beaucoup de questions : Pourquoi lui et pas elle ? De quoi ça parle ? Qui est le héros ? Où ça se passe ? Comment le lieu influence le personnage ? Mes consultations sont parfois assez thérapeutiques: je montre qu'une fois que vous cernez le cœur de votre histoire, vous pouvez lâcher prise et vivre votre aventure sans vous perdre dans des recherches vaines. Ecrire, c'est un mélange d'énergie et de structure. Mais la question fondamentale est: de quoi parle votre histoire? Pourquoi est-elle fondamentale pour vous? Faites en sorte que votre scénario contienne votre voix unique et originale: c'est le cœur du scénario.
Un peu comme un réacteur... Et que contient-il, ce cœur?
Quatre éléments: le sujet, un thème universel qui intéresse tout le monde, comme l'amour, la mort, la guerre, la pauvreté... Ensuite, votre intention, qui est votre empreinte originale: nous sommes tous semblables par le sujet, et tous différents par l'intention. En troisième lieu, l'idée originale, la prémice. Enfin, la passion, qui allume l'idée, qui vous permet de mener le projet à terme, à travers toutes ses difficultés.
Partant de là, quelles sont les étapes du scénario?
On commence par le cœur, les prémices, on passe au synopsis, puis au step out line (le séquencier: 100 scènes résumées en une phrase chacune). Puis directement au scénario sans étape intermédiaire. D'abord un premier jet qui fixe toutes les réponses connues aux problèmes posés, sans sous-texte.
Comment êtes-vous devenue consultante en scénario ?
J’ai été scripte sur la plupart des longs métrages israéliens, de Shlomi Elkabetz ou Amos Gitaï. Je viens du tournage, ce moment où le mot « voiture rouge » devient une vraie voiture rouge. C’est là que j’ai appris à analyser la magie du cinéma et à donner mon avis.
Votre méthode donne-t-elle des résultats ?
Oui, les premiers scenarii issus de mes ateliers ont déjà trouvé des financements, une bonne analyse du scénario permet de gagner beaucoup de temps et d’arriver rapidement au stade du tournage. Et Israël est un pays où l’on crée et produit intensément, c’est peut-être dû aux menaces qui nous entourent…
Recueilli par Daniel MORVAN.
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