Du dimanche 12 au dimanche 26 février 2017, le Cinématographe (Nantes) revisite l'œuvre de Jean-Luc Godard, de la Nouvelle-Vague aux années 2000. Occasion de revoir 34 de ses films, 7 courts-métrages et des cinétracts.
Entretien
Alain Bergala, critique, enseignant, spécialiste de l’œuvre de Godard.
Pourquoi a-t-on tant aimé Godard?
Dans les années 60, les jeunes disaient: lui, il parle de nous. Et aujourd’hui, il renoue avec ça: ce vieux cinéaste est le plus fort pour attraper l’air du temps. Il reste synchrone, alors que le cinéma a toujours dix ans de retard sur son temps. Il sait trouver la forme pour dire le présent.
Où son originalité se situe-t-elle?
La rupture qu’il introduit avec l’économie traditionnelle du cinéma, de sorte que faire un film peut lui prendre un an ou deux jours. Pourquoi? Parce que son modèle est plus proche de la peinture, et qu’il travaille avec le temps.
Mais on cite toujours les mêmes films: A bout de souffle, Pierrot le fou, Le mépris. Et après?
L’après années 60 est aussi importante. Il a sa période militante où il n’est plus vu par personne. Il fait ensuite de la télévision à Grenoble, avant de revenir au cinéma. Il ne refait jamais deux fois le même film, comme Picasso ne refaisait pas ses tableaux. Les entrées ne sont plus son problème; il ne se laisse imposer aucune règle. Et pour un producteur, c’est un honneur absolu, la gloire d’une vie que de produire un Godard, même à perte.
Chantre de « la vérité vingt-quatre fois par seconde », Godard est ensuite devenu le dépositaire de l’histoire du cinéma. Qui est le vrai Godard, selon vous?
Le plus grand cinéaste. Les autres trouvent leur style, lui a créé vingt styles, il est le seul à avoir tout exploré, et son œuvre est sans le moindre doute la plus importante du XXe siècle. Il a payé cher cette liberté en angoisse, il ne mène pas ce qu’on appelle une belle vie, lui qui est né en 1930.
Où vit-il?
Il est revenu à Rolle, sur les bords du lac Léman, où son père médecin avait sa clinique. Il vit dans un petit appartement standard et sans luxe.
Vos trois séquences préférées?
J’adore vraiment la séquence abstraite des corps étendus sur les draps dans Une femme mariée, où il invente une esthétique. Puis la dispute dans l’appartement romain du Mépris, qui résume son cinéma. Et la scène du garage de province dans Film socialisme, qui m’a sidéré.
Vos trois films préférés, que vous emporteriez sur une île déserte?
Le Mépris, qui est le plus achevé. Godard casse ce qu’il fait au montage. Là, il a conservé la perfection de l’objet. Ensuite Pierrot le fou, un objet romantique lui aussi tourné au bord de la Méditerranée. Ce film solaire est le contraire de ce qu’il est. Et enfin Film socialisme, où il sert du cinéma pour faire l’état des lieux de nos vies, nos familles, nos enfants, nos classes sociales.
Le mépris est revenu en salle dans une version restaurée. Et l'Italie va enfin le découvrir?
Mais oui, les Italiens n’ont jamais vu le vrai Mépris. Il est sorti en Italie dans une version charcutée, amputé de 16 minutes et sans la sublime bande originale de Georges Delerue. Le producteur italien lui a préféré la musique d’un jazzman local. Le vrai Mépris va enfin être montré en Italie, et je suis heureux d’aller leur présenter une copie parfaite de ce film.
Recueilli par
Daniel Morvan.
Quinzaine Godard du 12 au 26 février au Cinématographe, 12bis rue des Carmélites, tél.02 40 47 94 80.
Du 12 au 26 février, voir et revoir l'oeuvre de Jean-Luc Godard, au Cinématographe, qui projette 34 films.
Deux ou trois films qu'il faut avoir vus de lui
Le mépris
Les images tournées à Capri, dans le décor de la villa Malaparte, et la musique de Delerue, gravent ce film dans le marbre antique. Scénariste à succès, Paul travaille à une adaptation de L’Odyssée. Paul est marié à Camille. Subitement, Camille le méprise, sans explication. A la fin sereine du cinéma classique incarné par le cinéaste allemand Fritz Lang, s’oppose le début angoissé du cinéma moderne, personnifié par Michel Piccoli. Un film totalement envoûtant, qu’on aime avant de le comprendre. Lundi 13 février à 20 h 30, vendredi 17 à 14 h 30.
Les images tournées à Capri, dans le décor de la villa Malaparte, et la musique de Delerue, gravent ce film dans le marbre antique. Scénariste à succès, Paul travaille à une adaptation de L’Odyssée. Paul est marié à Camille. Subitement, Camille le méprise, sans explication. A la fin sereine du cinéma classique incarné par le cinéaste allemand Fritz Lang, s’oppose le début angoissé du cinéma moderne, personnifié par Michel Piccoli. Un film totalement envoûtant, qu’on aime avant de le comprendre. Lundi 13 février à 20 h 30, vendredi 17 à 14 h 30.
Pierrot le fou
Le grand film cubiste de Godard, bourré de collages et de citations : Balzac, Jules Verne, et les chansons : Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerais toujours, ô mon amour et Ma ligne de chance de Serge Rezvani. Dans son dixième long métrage (1965), Godard joue avec les couleurs primaires : bleu, jaune, rouge. Il travaille le texte, le mot, à la manière d’un écrivain. Tout oppose l’impulsive Marianne, qui préfère les disques et la danse à l’intellectuel Ferdinand qui préfère la lecture et l’écriture. Cette opposition était déjà celle de Camille et de Paul dans Le Mépris.
Le grand film cubiste de Godard, bourré de collages et de citations : Balzac, Jules Verne, et les chansons : Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerais toujours, ô mon amour et Ma ligne de chance de Serge Rezvani. Dans son dixième long métrage (1965), Godard joue avec les couleurs primaires : bleu, jaune, rouge. Il travaille le texte, le mot, à la manière d’un écrivain. Tout oppose l’impulsive Marianne, qui préfère les disques et la danse à l’intellectuel Ferdinand qui préfère la lecture et l’écriture. Cette opposition était déjà celle de Camille et de Paul dans Le Mépris.
Histoire(s) du cinéma (1999)
Le cinéma était fait pour penser, dit Godard. Le XXe siècle n’en a pas voulu, le cantonnant à d’autres rôles. Histoires(s) du cinéma raconte toutes les histoires nées du désir mégalomane de leur réalisateur d’être maître du monde. Confronté à ce qu’il aurait pu être, un instrument de pensée, confronté aux lâchetés de la guerre, le cinéma n’est plus que « la monnaie de l’absolu ». Avec le sac à main de Marnie, le chignon de Madeleine dans Vertigo, l’autocar dans le désert de La mort aux trousses, Hitchcock invente une manière de partager les signes mystérieux par un milliard de spectateurs.
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