Vous vous laissez glisser dans le velours bleu du théâtre, admirez une fois encore les plafonds et les lustres : embarquement immédiat pour les jeux de l’amour et du hasard. Enjeu de l’intrigue de ces Noces : l’abolition des droits féodaux, comme le droit de cuissage que le comte Almaviva entend rétablir au détriment de sa servante Suzanne et de sa femme. Mozart lance l’éblouissante ronde des désirs, jouant sur la malice de Suzanne, la tristesse de la comtesse, la colère de Figaro et l’arrogance du comte. Les beautés musicales d’une œuvre jaillissante, portée par un orchestre impeccable (l’ONPL, dirigé par Mark Shanahan), dans une mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser, habitués du théâtre Graslin (Nantes).
Dans un palais aux murs immenses, la musique de Mozart prend une coloration presque tragique. Peter Kálmán (Figaro) et Hélène Guilmette (Suzanne), mais aussi Nicole Cabell (la comtesse) portent avec brio cette lecture originale et sombre.
Sombre héros de Mozart
La distribution déjoue les clichés et parie sur les contre-emplois, offrant le rôle de Figaro, vif héros sévillan, à un Peter Kalman plutôt massif. Le comte, modèle d'une noblesse archaïque, violente et volage endurci, est incarné par un sémillant Andrè Schuen. La « california girl » Nicole Cabell surprend avant de séduire par son vibrato pathétique de femme sous influence, saisie de trouble devant le travesti Chérubin. Et Suzanne, rôle le plus exposé de l’œuvre, est portée avec générosité par la pétillante Hélène Guilmette. Malgré ces choix étranges, les corps s’enflamment comme de l’étoupe, les attractions multiples brouillent les pistes, dans un décor crispé et néoclassique. Les intrusions végétales, allégories du libéralisme montant, sentent la plante de cimetière, tout comme le déambulateur de Marcelline, signifiant un peu appuyé du déclin moral d'une certaine bourgeoisie … Le parti-pris est de montrer la décomposition de l’ancien régime, face à la vitalité sensuelle de la révolution qui vient. La scène finale du jardin, dans un camaïeu de vert, vient renforcer ce sentiment de pétrification. Et un final des plus étranges nous montre une fête joyeuse jouée par des spectres.
Qu’on adhère ou non à cette option hiératique, on aime retrouver ces Noces comme l’opéra de tous les opéras : tous ces airs si bien en voix, comme le Vous qui savez (Voi che sapete) de Chérubin, l’air de Barberine ou la complainte de la comtesse: Où sont les beaux moments ? (Dove sono i bei momenti di dolcezza e di piacer) sont des conversations qu’on aime retrouver, parce qu’ils ont la douceur du temps perdu dans les fauteuils bleus.
Daniel Morvan.
Ce mercredi et vendredi 10 à 20 h, dimanche à 14 h 30 et mardi 14 à 20 h. Théâtre Graslin, tél. 02 40 69 77 18.
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