Lucette et Annie Guyomarc'h : les deux cousines ont partagé trente ans de lutte. « Les femmes, quand elles se battent, c'est jusqu'au bout. » |
Les Chantelle racontent leurs trente ans à la pointe du combat
Ouest-France mercredi 9 mars 2005
821 mots
Daniel Morvan
Le combat « des filles de Chantelle » a marqué l'histoire ouvrière de la région nantaise. Hier, comme chaque année depuis 1994, les dernières salariées de l'usine de soutiens-gorges fêtaient la journée de la femme. Trente ans à la pointe du combat.
« Je vous emmène où ? Chez Chantelle, à Couëron ? Sacrées femmes ! Jamais elles ne se sont laissé démonter. » En écoutant le chauffeur du taxi, le jeune cadre des soutiens-gorges Chantelle prend la mesure de la popularité des salariées. Même s'il n'en saisit pas vraiment l'origine : « Je ne comprends pas, l'entendra-t-on dire ensuite, qu'on fasse autant de bruit pour vingt-huit filles. »
Bien sûr, quand on fabrique des soutiens-gorges, le monde n'est que douceur féminine et délocalisation. Mais ces vingt-huit filles, monsieur, c'est l'honneur de votre entreprise.
Prêtes à tout
Grèves totales, occupations d'usine : avant de devenir le cauchemar de leurs patrons, les Chantelle étaient des petites couturières des années Sylvie Vartan.
Pour une fille, la liberté, c'était d'avoir du travail. « J'avais suivi les cours de l'école de couture de Basse-Indre, raconte Lucette Guyomarc'h, 35 ans de boîte. Ma mère avait huit enfants à caser. J'étais chez les religieuses, et je ne voulais plus aller à l'école. Je suis devenue mécanicienne à 16 ans et demi, après avoir passé les tests chronométrés. »
Même parcours pour Annie Guyomarc'h, sa cousine : apprentie coiffeuse, elle se fait embaucher à la coupe en 1968. « Je me marie en 1971, j'ai mon fils en 1972 et, dans la foulée, je monte le syndicat CGT. On était cégétiste de famille, mon père me soutenait. On ne parlait pas de la condition des femmes, la question était de se défendre pour pas se faire bouffer. C'est des rapaces. On n'a rien sans rien. On était prêtes à tout. »
Derrière la féminité exaltée par voie d'affiche, le public découvre l'empoignade sociale format 95 D. Les affiches sexy, Annie n'a rien contre : après « Chantelle aime les seins », le slogan « Chantelle habille les femmes du monde » fait chanter les imaginations et le cash-flow. Elles, c'est pour le bifteck qu'elles se battent. Et question bagarre, il y a du monde au balcon : en 1981, elles n'hésitent pas à séquestrer leur directeur. Assises sur le bureau, Code du travail en main, quel vertige pour un homme seul.
Leur tube à elles n'est pas une petite musique aux airs compassés. Ce que chantent les Chantelle c'est « Le chiffon rouge », de Michel Fugain.
C'est ça qui leur met les larmes aux yeux, aux Chantelle. « On avait fini par monter une chorale, quand on montait à Paris pour mettre le bazar au Salon de la lingerie. » Et les forces de l'ordre, ce n'est pas avec des effets de bretelles qu'elles les neutralisent. « Vous croyez qu'ils se gênent parce qu'on est des femmes ? On piquait les cognes avec des aiguilles à coudre pour les écarter. »
C'est ça qui leur met les larmes aux yeux, aux Chantelle. « On avait fini par monter une chorale, quand on montait à Paris pour mettre le bazar au Salon de la lingerie. » Et les forces de l'ordre, ce n'est pas avec des effets de bretelles qu'elles les neutralisent. « Vous croyez qu'ils se gênent parce qu'on est des femmes ? On piquait les cognes avec des aiguilles à coudre pour les écarter. »
Quand Annie a bloqué un boulevard
Les Chantelle, joli nom pour des battantes devenues symboles des luttes. Un symbole, ça n'empêche pas une société de se délocaliser en Thaïlande. Mais quand même. « On a marqué les mémoires. Les femmes, quand elles se battent, c'est jusqu'au bout. »
Dans le local syndical, d'autres femmes sont venues nous rejoindre, d'une bouche à l'autre, les souvenirs passent. La fois où elles sont montées à Paris, où elles ont été parquées devant un théâtre qui donnait La peste de Camus. Quand Annie a fait son malaise et qu'elles ont bloqué le boulevard jusqu'à son retour des urgences. Quand elles ont défendu la « contredame » qui avait une hernie discale et le coeur à gauche. Quand elles fêtaient Noël à l'atelier, avec l'aide des paysans, des voisins de Frigécrème et Waterman. Quand elles balançaient les soutifs à la figure des CRS. Quand, pendant la grève de 1994, la longueur du conflit faisait craquer les maris et les ménages.
« La fermeture de l'usine de Saint-Herblain, ça été comme un deuil. » Elles avaient une dernière fois chanté « Le chiffon rouge » dans la rue des Filles-de-Chantelle. C'était un 8 mars, journée de la femme. Et la femme pleurait. Elle pleurait l'usine, les copines, l'âpreté des luttes. La femme Chantelle pleurait et chantait, en vraie femme du monde.
Daniel MORVAN.
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