lundi 2 novembre 2015
756 mots
Daniel Morvan
À Nantes et à Angers, Louise Moaty avait déjà signé une mémorable mise en scène de « Vénus et Adonis », en 2013. « L'Empereur d'Atlantis », de Viktor Ullmann (1898-1944), a été créé en 1975, à Amsterdam. C'est à Theresienstadt que cet élève de Schönberg a composé son troisième opéra pour ses camarades de captivité en 1943. Il fut créé en 1975, à Amsterdam. Louise Moaty en propose une mise en scène poétique.
Entretien
Louise Moaty, metteur en scène de cette production de l'Arcal,compagnie nationale de théâtre lyrique et musical.
Quelles sont les circonstances exactes de la création de L'Empereur d'Atlantis ?
Il a été composé en 1943, au camp de Terezin (Theresienstadt), ghetto et camp de transit sur le chemin d'Auschwitz. Les arts y étaient tolérés. Terezin était une sorte de « vitrine officielle » des camps nazis, mais 33 000 personnes y sont mortes. J'ai visité ce camp, pour comprendre les conditions dans lesquelles on a pu y écrire et répéter un opéra. Ce sont des caves minuscules et glaciales, des greniers exigus. Il faut avoir mesuré l'étroitesse de ces lieux pour comprendre ce que l'art pouvait représenter, en terme de survie et de résistance contre la mort, pour ceux qui y étaient enfermés.
Quelle histoire nous raconte-t-il ?
Viktor Ullmann écrit L'Empereur d'Atlantis ou la mort abdique fin 1943, sur un livret de Peter Kien, qui disparut lui aussi à Auschwitz. Ils imaginent un monde dévasté, dirigé par l'Empereur Overall, enfermé dans un palais qui peut faire penser au bunker de Hitler. Un monde de l'entre-deux, où passent un Arlequin, la Mort, un haut-parleur évoquant la séduction de la parole fasciste. Dans sa folie, il invente la guerre totale de tous contre tous. La Mort refuse de se laisser enrôler dans cette entreprise. Elle fait grève et décide de cesser de faire mourir les hommes...
Mais l'ouvrage ne traite pas directement du nazisme ?
Ullmann et Kien n'y font jamais ouvertement référence. J'ai pris le parti d'un langage scénique simple, en utilisant la lumière comme langage fondamental. Je m'inspire, pour cela, d'un dessin d'un enfant de Terezin, Petr Ginz, mort à 16 ans, à Auschwitz. Un « paysage lunaire » qui délivre une force poétique dépassant le contexte d'écriture de cet opéra. Petr Kien était artiste peintre et les images des prés, des montagnes bleues, du monde du dehors sont, chez lui, très fortes. La partition est un florilège de styles, du mélodrame au bel canto, du jazz au choral luthérien. L'écriture est parfois surréaliste, ce qui justifie un costume à base de collages, par exemple. J'utilise aussi un décor de toiles de parachutes, qui contribuent à cette chorégraphie lunaire et rêveuse.
N'avez-vous jamais été tentée d'évoquer le camp avec plus de réalisme ?
Il ne serait pas juste de tenter d'évoquer les camps avec réalisme, avec des uniformes par exemple. Ils n'en portaient pas, là-bas. Nos projections mentales sont fortes : les camps sont déjà dans l'esprit du public, nul besoin de les montrer. Ma mise en scène n'est pas documentaire, elle se veut le manifeste de la poésie nécessaire pour survivre, sans illusions.
Louise Moaty, metteur en scène de cette production de l'Arcal,compagnie nationale de théâtre lyrique et musical.
Quelles sont les circonstances exactes de la création de L'Empereur d'Atlantis ?
Il a été composé en 1943, au camp de Terezin (Theresienstadt), ghetto et camp de transit sur le chemin d'Auschwitz. Les arts y étaient tolérés. Terezin était une sorte de « vitrine officielle » des camps nazis, mais 33 000 personnes y sont mortes. J'ai visité ce camp, pour comprendre les conditions dans lesquelles on a pu y écrire et répéter un opéra. Ce sont des caves minuscules et glaciales, des greniers exigus. Il faut avoir mesuré l'étroitesse de ces lieux pour comprendre ce que l'art pouvait représenter, en terme de survie et de résistance contre la mort, pour ceux qui y étaient enfermés.
Quelle histoire nous raconte-t-il ?
Viktor Ullmann écrit L'Empereur d'Atlantis ou la mort abdique fin 1943, sur un livret de Peter Kien, qui disparut lui aussi à Auschwitz. Ils imaginent un monde dévasté, dirigé par l'Empereur Overall, enfermé dans un palais qui peut faire penser au bunker de Hitler. Un monde de l'entre-deux, où passent un Arlequin, la Mort, un haut-parleur évoquant la séduction de la parole fasciste. Dans sa folie, il invente la guerre totale de tous contre tous. La Mort refuse de se laisser enrôler dans cette entreprise. Elle fait grève et décide de cesser de faire mourir les hommes...
Mais l'ouvrage ne traite pas directement du nazisme ?
Ullmann et Kien n'y font jamais ouvertement référence. J'ai pris le parti d'un langage scénique simple, en utilisant la lumière comme langage fondamental. Je m'inspire, pour cela, d'un dessin d'un enfant de Terezin, Petr Ginz, mort à 16 ans, à Auschwitz. Un « paysage lunaire » qui délivre une force poétique dépassant le contexte d'écriture de cet opéra. Petr Kien était artiste peintre et les images des prés, des montagnes bleues, du monde du dehors sont, chez lui, très fortes. La partition est un florilège de styles, du mélodrame au bel canto, du jazz au choral luthérien. L'écriture est parfois surréaliste, ce qui justifie un costume à base de collages, par exemple. J'utilise aussi un décor de toiles de parachutes, qui contribuent à cette chorégraphie lunaire et rêveuse.
N'avez-vous jamais été tentée d'évoquer le camp avec plus de réalisme ?
Il ne serait pas juste de tenter d'évoquer les camps avec réalisme, avec des uniformes par exemple. Ils n'en portaient pas, là-bas. Nos projections mentales sont fortes : les camps sont déjà dans l'esprit du public, nul besoin de les montrer. Ma mise en scène n'est pas documentaire, elle se veut le manifeste de la poésie nécessaire pour survivre, sans illusions.
Recueilli par
Daniel MORVAN.
Viktor Ullmann
Né en 1898, Viktor Ullmann compta, parmi ses professeurs, Arnold Schönberg. Son oeuvre comporte des opéras, de la musique de chambre et des lieder. Déporté à Terezin en 1942, il compose, pour ses compagnons, vingt-cinq oeuvres. Viktor Ullmann écrivit en tête de la partition de L'Empereur d'Atlantis : « Les droits d'exécution sont réservés par le compositeur jusqu'à sa mort, donc pas très longtemps. » Il confia la partition à un ami avant de prendre le train de la mort. On perd sa trace à Auschwitz, le 16 octobre 1944.
Daniel MORVAN.
Viktor Ullmann
Né en 1898, Viktor Ullmann compta, parmi ses professeurs, Arnold Schönberg. Son oeuvre comporte des opéras, de la musique de chambre et des lieder. Déporté à Terezin en 1942, il compose, pour ses compagnons, vingt-cinq oeuvres. Viktor Ullmann écrivit en tête de la partition de L'Empereur d'Atlantis : « Les droits d'exécution sont réservés par le compositeur jusqu'à sa mort, donc pas très longtemps. » Il confia la partition à un ami avant de prendre le train de la mort. On perd sa trace à Auschwitz, le 16 octobre 1944.
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