Je n'avais encore jamais rencontré Lydie Salvayre, avant sa venue un soir de 2003, au Lieu Unique, pour lire son dernier texte, Contre. La romancière (La compagnie des spectres, La puissance des mouches, et bien plus tard, Pas Pleurer, prix Goncourt 2014) exhortait au réveil des consciences : «Revenez à vous, vous n'êtes pas des veaux». Je poste cet entretien en souvenir de cette première rencontre.
Peut-on dire, Lydie Salvayre, que ce poème rock, « Contre », est une anthologie de vos indignations ?
Oui. L'indignation, plutôt que la colère. Je suis indignée depuis l'enfance. Mon père, qui était né dans une riche famille bourgeoise, était communiste. Il a rejoint les Républicains espagnols. Et il est revenu d'Espagne avec la blessure de la défaite. Mais il a fait plus que de perdre une guerre : il a perdu une langue, une situation sociale. Il nous disait, à moi et mes trois sœurs : vous n'êtes pas filles de maçon, vous êtes filles de politique ! Il est mort, mais il continue à me parler.
Cesserez-vous un jour d'être contre ?
Cela ne s'amende pas. C'est presque sanguin chez moi. Je suis psychiatre d'enfants en banlieue parisienne, et ce n'est pas fait pour me ramollir. Je vois beaucoup d'adolescentes maghrébines, déchirées, prises dans la crise des valeurs, celles du Coran et celles de l'Occident.
« Contre » est un texte fait pour être dit. Ce livre a-t-il fait de vous une comédienne?
Il s'agissait d'une commande de Laure Adler pour France Culture. J'ai donc, plus que jamais, œuvré avec le souci de la musicalité. J'ai travaillé avec Serge Teyssot Gay, le guitariste de Noir Désir et le compositeur Marc Sens. Je n'aurais jamais écrit Contre (qui s'inspire d'un poème de Michaux) sans eux. Mais j'étais terrorisée à l'idée d'avoir à le dire et j'ai vérifié que le métier de comédien est impossible. Vous offrez des images au public mais vous-même, une fois terminé, vous ne gardez rien.
Votre premier roman ?
C'était La déclaration, envoyé à cinq éditeurs par la Poste. J'ai maintenant la nostalgie de cette époque où je ne connaissais rien au monde de l'édition.
Comment écrivez-vous ?
Comme je travaille par ailleurs, j'écris à l'arraché, comme un vol, au café, en voiture. Et cela détermine une certaine façon de dire les choses. Je serais désespérée si j'avais de longues journées pour faire des jolies phrases.
Recueilli par Daniel Morvan.
« Contre », 2003. Verticales.
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