jeudi 12 octobre 2017

Le disparu: Un juste dans la guerre d'Algérie


Jean-Pierre Le Dantec, prix de l'académie de Bretagne et des Pays de la Loire 2018. ©Francesca Mantovani.


Dans ce court roman, Le Disparu, Jean-Pierre Le Dantec raconte l'histoire d'une double découverte: la guerre d'Algérie et, bien loin des maquis, l'éveil au monde d'un jeune lycéen de Guingamp, tout à ses amours adolescentes et à ses rêves sportifs. 
Jean-Pierre Le Dantec fait débuter son roman par une rencontre entre deux anciens camarades de classe, François et Pierre-Alain, amis et rivaux en amour comme en politique, et par le souvenir d'un jeune professeur de français enthousiaste, Loïc Quéméner. Ce dernier a su passionner ses élèves à la littérature et au théâtre. On sort d'une représentation du Bourgeois Gentilhomme au réfectoire lorsque la nouvelle tombe: le professeur est appelé en Algérie. Alors que la situation se durcit sur le terrain, le nouvel aspirant commence à écrire à ses élèves. 
Comme autant de reportages de terrain, plusieurs lettres nous permettent de suivre l'évolution du jeune appelé qui, posant le pied sur la terre algérienne, commence par citer Bérénice. Au tournant du 13 mai 1958, date du coup d'état militaire de Massu, le lettré reçoit de plein fouet la réalité coloniale: "Enfants en haillons qui mendient, hommes qui détournent le regard par crainte de rebuffades, femmes voilées qui, tête baissée, changent de trottoir à votre approche, petits blancs qui (..) se comportent en être supérieurs." 
Le temps d'un été au bord de la mer, le temps d'un premier vrai baiser avec la belle Hélène, on peut se croire dans un chapitre de Colette ou de Sagan. Mais nous voici déjà, par le biais des lettres, début 1959. L'aspirant Quéméner est nommé dans une SAS (section administrative spécialisée) de Grande Kabylie. Il aspire comme Camus à une "Algérie plurielle" et s'implique dans le projet humaniste des SAS: reconstruire, protéger, instruire, former des maires algériens, selon les principes vertueux du "plan de Constantine". Face à une Kabylie rompue aux méthodes de la guerre de commando selon Giap, la réalité militaire va dissiper cet écran de fumée. 
L'illusion tombe lorsque Quéméner découvre la la torture, pratiquée sur un combattant blessé qu'il a voulu sauver. Scène traumatique qui nous conduit tout droit à la disparition trouble du professeur, officiellement tué lors d'un accrochage avec des rebelles.
L'atmosphère particulière du roman tient à sa manière d'entrelacer le désastre moral d'une guerre sans nom et les moments lumineux d'une initiation amoureuse. Il faut saluer la manière limpide et subtile dont ce roman de formation offre à un jeune professeur de lettres le rôle d'un "juste" broyé par la machine militaire, héros d'une tragédie morale à laquelle ses élèves assistent terrifiés, jusqu'à l'acte final, devant la tombe de leur professeur.
Cinquante ans après, le spectre de la guerre ressurgit, face aux réfugiés afghans que recueille l'épouse du narrateur. Du "crime originel" de la colonisation au traitement réservé aux immigrés et migrants de l'Europe post-coloniale, la guerre mal nommée traîne sa mauvaise conscience. 
Le narrateur se souvient de l'héroïsme des combattants du FLN "traqués par une des armées les plus puissantes du monde", au "désarroi des appelés français qui, dépassant pour la première fois les limites de leur village, cèdent à la haine". Mais, conclut Pierre-Alain, l'ami qui l'éclaire enfin sur la disparition du professeur, "tout dans cette guerre pourrie a été dégueulasse. les attentats et les crimes du FLN, les tortures, le sort fait aux harkis, et surtout l'abandon." Dans lequel l'ancien camarade de lycée, fils de pétainistes, voit "la première victoire de l'islam contre l'Occident chrétien. Une victoire dont on paie aujourd'hui le prix." 
Ce roman qui mêle les couleurs joyeuses du peintre breton Lapicque aux terres brûlées de Kabylie sait rappeler comme l'Algérie demeure, dans une France mal réveillée de son passé colonial, un roman encore à écrire.
Daniel Morvan

Jean-Pierre Le Dantec: Le Disparu. 174 pages, 17€.

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