"Ils nous avaient sauvés. Des
Allemands, de la ruine, de la mort rapide comme de la mort lente. Ils
nous avaient apporté le jazz et l'argent, le bon et le mauvais
goût." Ils, ce sont les Américains. Et celui dont les pensées sont rapportées, c'est
le père. Un crazy-dingue des USA, le père d'Erwan Desplanques. Ce
personnage étonnant, animé d'une passion impossible, car située
dans un temps révolu, participe du comique et du tragique. Et ce
tragique déborde sur toute
la famille, de même que les tumultes d'une vie de couple
à la Burton & Taylor. Comment grandir dans l'ombre d'un père
qui, entre maquettes de F16, chaussettes de la Maison Blanche et stand de tir, semble
une "parodie de GI égarée dans la Marne"?
Autour de ce personnage excessif, Erwan Desplanques raconte sa découverte de la
relativité: le monde ne ressemble pas exactement à l'Amérique fantasmée de son père. L'histoire de vies qui se croisent, maladie
de l'un, paternité à venir de l'autre, conserve toujours une sorte de tendre
modération, le regard amusé ne va donc jamais jusqu'au
portrait-charge : Erwan Desplanques nous raconte aussi comment,
de cette démesure, est née l'exacte mesure qui guide sa plume bien tempérée. Et
la fluidité classique de ce récit n'a d'égale que le sentiment de
vérité qui se dégage de ses analyses: "Mon grand-père
maternel s'était engagé dans l'armée à dix-neuf ans, mon père à
dix-huit. La premier avait été autant marqué par la guerre que le
second par son absence. Ma famille s'était bâtie sur cette double
fêlure, celle d'une guerre subie et d'une guerre réclamée, et je
me voyais comme un dommage collatéral, conscient d'avoir devant lui
un écheveau à résoudre et une mémoire à porter."
Dans cette
histoire d'héritage pesant, on rencontre un grand-père psychiatre, qui
rencontre sa femme dans un camp de prisonniers, un fils chanteur de
rock (feu Sarah W. Papsun), journaliste à Télérama, et un enfant à naître. Le père
sera enterré sous le drapeau étoilé, sur l'hymne américain chanté
par une inconnue: "Il s'agissait d'Helen Patton, la petite-fille
du célèbre général (...). Sa plaisanterie avait fonctionné: les
États-Unis s'étaient invités à ses obsèques qu'ils couronnaient
de leur exubérance."
L'histoire, elle poursuit son cours et
ensevelit les passions les plus folles, laissant l'Amérique derrière
soi pour laisser place à la vie qui survient, à une envie de forêt:
un livre qu'on commence à lire avec le sourire et qui vous prend
comme une nostalgie, lorsque que les morts sont enterrés et qu'il
faut sortir du rêve pour vivre en vrai, en dehors des fables
éteintes.
Un livre dont on aime la voix juste et bien placée, situé dans l'après dont on goûte l'amertume et la douceur, cette manière légère de raconter la tristesse et le bonheur, quand les couleurs de l'après-guerre, de l'après-père s'effacent.
Un livre dont on aime la voix juste et bien placée, situé dans l'après dont on goûte l'amertume et la douceur, cette manière légère de raconter la tristesse et le bonheur, quand les couleurs de l'après-guerre, de l'après-père s'effacent.
Daniel Morvan
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