Un capharnaüm de tableaux, un carnaval de couleurs baignant dans les vapeurs des fixateurs et des siccatifs. Le temps avait en silence œuvré en vue de cette évidence: sous quelque lumière qu'on exposât ces toiles, Marseille, Dunkerque, Paris, j'étais un mauvais peintre. Je n'avais pas su inventer le tour de passe-passe qui m'eût permis, non de trouver un style, ambition stupide, mais simplement de m'arrêter sur une factice unité des toiles, qui ferait dire: ces barbouillages sont de lui. Car le nom d'œuvre est trop fort pour qualifier les simulacres qui ont rendu l'atelier irrespirable. Tel un salon du temps de Théophile Gautier, ma tête (comme ces murs) se saturent de maniérismes, passant du préréalisme au post-pointillisme, ravivant la peinture d'histoire, les vieux sujets répliqués au trentième-sixième degré comme les Soldats jouant aux dés, l'hellénisme pompier des jeunes de 1890 (deux siècles après eux), tout en secouant les mânes flétris de la peinture intimiste, d'un pinceau mourant qui, au fil de mes ennuis, allait d'un archaïsme à l'autre, et d'Hippolyte Flandrin à Gérôme. Quelqu'un entra, sur le visage de qui se lisait la forme anticipée d'une déception, avant même d'être en présence des toiles. La femme parcourut les trois salles, s'attardant parfois sur un portrait, ou ce qui pourrait passer pour tel. Un fin sourire flottait sur ses lèvres, mi-Botticelli mi-marchande des quatre saisons; on voyait qu'elle aimait torturer les mauvais peintres, mais un reste de pitié animait son regard: du moins ne venait-elle pas se venger d'un mauvais souvenir. D'une séance de pose qui, dans son propre passé, aurait tourné à sa défaveur. Ces toiles avec des points n'ont aucun sens, dit-elle avec cette voix ironique de fille de directeur de cirque de province, en secouant les oiseaux de papier pris dans sa chevelure. Ils n'ont ni queue ni tête. Pour qui peignez-vous tout cela, si vous appartenez déjà, comme je l'ai entendu dire en plaisanterie, à la République des lettres? Devant cet écrasant mépris qui contenait la nuée proche d'un immense rire, je ne pus rien faire de mieux que de recourir à l'inavouable: Pour ne pas mourir au volant, lui répondis-je, dans un ascenseur en chute libre, l'incendie d'une maison ou l'effondrement d'un tunnel, mais mourir au travail, pinceau à la main.
Cher Daniel,
RépondreSupprimerCe texte, je pourrais le reprendre à mon compte pour ce qui est de la peinture, pour le reste, il me manque de savoir écrire comme toi, avec un peu de style.
Me permets tu de le publier sur mon blog et sur Facebook?
Amitiés,
Luc