La tradition ne nous avait pas préparé à un Mozart junkie, ni à un Don Giovanni sex addict, sniffant de la coke et se shootant à l'héro: c'est pourtant ce personnage que Patrice Caurier et Moshe Leiser parviennent à imposer dans leur version trash mais chic de cet opéra (leur 130e création, en mars 2016 à l'opéra de Nantes). Faire jouer Mozart en costumes d'époque, c'est faire du Watteau et du Fragonard: on ne s'y risque plus.
Prenant le contrepied, la mise en scène tentée à Nantes offre au remarquable baryton américain John Chest un rôle à la Brad Pitt des quartiers, qui surligne sans lourdeur les principaux traits du personnage: absence de surmoi, séduction et toute puissance d'un petit chef de bande, le plaisir comme seul moteur, Eros et Thanatos sur la même ligne de départ. Don Juan, c'est le désir-roi transposé par cette mise en scène dans l'univers glacial de notre société libérale. L'apostrophe métaphysique associée à Don Juan? Désolé, la maison ne fait plus cet article.
Mais ce collectionneur de femmes est parfaitement crédible dans des décors de hall d'immeuble, garage souterrain, se promenant en caddy de supérette et mangeant des sandwiches avec son valet de pied. Même si ce dépouillement déteint sur la musique de Mozart, en tirant l'opéra vers la traque urbaine, vers une sorte de nihilisme lyrique. Ce n'est certes pas la première fois qu'on habille l'opéra en jogging à capuche. Ce choix permet de rendre contemporain ce personnage caméléon, en montrant le pathétique de sa solitude et la course suicidaire où il est engagé. Performance partagée avec le sympathique baryton suisse Ruben Drole, abonné aux rôles de valet (il était déjà un parfait Papageno dans La Flûte enchantée) et tenant la scène dans un combat inégal avec son mauvais maître dont il est, sans ambiguïté, amoureux.
On n'éventera pas les jolies trouvailles
qui projettent Don Giovanni ("grand seigneur, méchant homme", chez Molière) dans notre univers surconnecté, mais
voir apparaître le séducteur mythique dans un monde de Smartphones,
de lecteurs CD et de digicodes est l'un des plaisirs de cette
production. L'œuvre commence (comme dans un thriller) par un viol suivi d'un meurtre. Une tache de sang
au mur rappelle que les "mille e tre" conquêtes de Don
Juan sont jalonnées de malheur. Un malheur sur fond de béton et de grisaille urbaine (décors de Christian Fenouillat). Presque trop ressemblantes entre elles, Gabrielle Philiponet (Donna Anna) et Rinat Shaham (Elvira)
emportent pourtant la conviction sur les hits universels que sont La
ci darem la mano ou la lamentation de l'épouse trahie, Ah, taci
ingiusto core: Rinat Shaham seule devant le rideau offre un moment
sublime. Plus en retrait, Zerlina est séduite lors de son mariage,
qui sait user de séduction (Batti, batti O bel Mazetto) et Elodie Kimmel se montre
délicieuse dans l'air de l'apothicaire (Vedrai carino).
copyright photo Jef Rabillon |
Daniel Morvan
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