vendredi 7 mai 1999
Chaussée de la Madeleine, des arches perdues attendent leurs aventuriers. Chez Robert, il y a Madeleine. Une jeune femme moderne qui allait bien avec les trolleys et va toujours très bien avec la Madeleine. Et des disciples de Jah Rastafari Haile Selassie I, qui brisent les chaînes de l'esclavage mental.
L'épouse de Robert se prénomme Madeleine, comme son quartier. Un beau visage à la Simone de Beauvoir, une distinction qui émane de toute sa personne. On l'imagine sans peine, la jolie môme de Vertou, dans son trolleybus jaune ou sur sa bicyclette bleue, à la veille de la guerre, la tête pleine de rêves. Ses mémoires de jeune fille rangée ? « On devait paraître olé olé à l'époque, s'amuse-t-elle. Les gens se couchaient tôt, vous savez, et il n'y avait pas la télévision. C'est pourquoi ils avaient beaucoup d'enfants. »
Robert et Madeleine se marient très jeunes, à 20 ans (encore mineurs), pour éviter le STO (Service du travail obligatoire, imposé par le régime nazi aux populations d'Europe). Madeleine est secrétaire dans une armurerie.
C'est un couple moderne, qui consacre tous ses loisirs au sport et au tourisme : « Nous, c'est l'aviron et le patin à roulettes qui nous a conservés ! Nous avons fait le tour de Bretagne à vélo. Notre endroit préféré ? Bénodet, Sainte-Marine et Concarneau. »
Ce qui allait de soi de la part de ces personnes de goût. Et puis un beau jour de 1968, le grand saut vers les Baléares : « Notre premier grand voyage sans le vélo ! »
La chaussée de la Madeleine marque la limite sud-ouest du quartier. Plusieurs passages sont encore ouverts, révélant les dessous enchevêtrés du faubourg, où luisent les vieux pavés, où les matous ont des indifférences d'aristochats sur leurs toitures de fibrociment, où se démantibulent des ruines et se planquent belles maisons rénovées.
Au fond d'un passage bordé de platanes anarchiques, des râteliers encore en place laissent imaginer des piaffements d'écuries. L'un des projets de Nantes Aménagement est de rénover ces passages, de remettre au jour des arches d'entrée dissimulées derrière des façades et de retrouver l'alignement du XVIIIe siècle. A l'angle, là où Aimé Delrue (l'amuseur public de Nantes) contemple l'éternité sur sa plaque de bronze, sous une immense toile représentant un toucan (signée Alain Thomas), Patrice Nicolas a installé sa menuiserie. « Un emplacement remarquable, proche du centre et du périphérique. »
L'atelier du bois emploie trois salariés. Un vaste local de 500 m2, odoriférant et clair, entièrement dédié au meuble en pin brut ou teinté. Armoires à croisillons ou à grillages, bibliothèques blanchies façon céruse pour des maisons qu'on n'aura jamais : l'atelier sur cour oscille entre la tendance déco océanique et le sur-mesure pour cadres en jet-lag. Certes, l'Atelier sur cour ne pratique pas les prix d'Ikea, mais le prix n'est peut-être pas ici la donnée première. « Nous sommes intéressants sur les gros volumes, explique Patrick Nicolas. Le rapport à l'artisanat est affaire de culture. Seules viennent nous voir les personnes qui ont une idée précise du meuble désiré. Celui qui achète un meuble dans une grande surface aurait peur, ici, de ne pas savoir ce qu'il veut. C'est pourquoi notre clientèle est très bourgeoise. »
Dans ce coin de la Madeleine, on trouve de très beaux bleus passés. Par exemple, au no 10 de la rue Columelle, une maison ornée de carreaux de mosaïque, qui a sûrement une sœur au Portugal.
Rue Marmontel, balisée à l'angle par le pochoir de l'Hydropath, un autre bel immeuble à balcons bleus, où pendent des blue jeans en loques ; dans la cour, un entrepôt, lui aussi en loques. La maison des rastas En face, c'est l'Usure, un squatt en état de décomposition avancée, où un jeune sculpteur s'acharne sur une poutre de chêne fendue mais d'un bois dense, pour en tirer une sorte de Neptune joufflu.
C'est le versant presque clandestin de la Madeleine des artistes ; la rue Pélisson, où se trouvent les ateliers des élèves des Beaux-Arts et le gratin du « post-diplôme », étant sa partie officielle. Pour entrer dans la « Maison des rastas », rue Marmontel, il faut montrer patte blanche, prouver qu'on n'est pas de la police.
A l'arrière de l'ancienne droguerie Delrue, jouxtant les ateliers d'artistes (un bunker à interphones), l'entrée se signale par une peinture murale, quelques coupures de presse sur la dépénalisation du haschisch et une affichette : « Ne pas fumer ». Allons bon ! Ras Préco, le vice-président, explique : culture rasta, la cuisine végétarienne pratiquée comme un art, désignée sous le terme générique de I-tal (20 francs la part pour les adhérents, 30 pour les autres), qu'il s'agisse de riz parfumé au coco ou de boulettes de soja. Le local, sur deux étages, propose un lieu d'exposition, une bibliothèque et vidéothèque, et, sous les toits, un studio d'enregistrement - le repaire des dix membres actifs, les seuls autorisés à fumer des cigarettes. « Le reggae, rasta, hip hop, c'est la grande tendance aujourd'hui, explique le « natty boy ».
Ici, quand on a ouvert la Maison des rastas, on a failli se trouver débordés. Nous regroupons aujourd'hui 30 groupes et artistes solo. C'est même un problème, car ces groupes se plaignent que l'Olympic et Trempolino ne fassent rien pour eux, alors qu'ils sont maintenant la culture musicale dominante. On a vu passer Elmer Food Beat, Dominique A, Dolly and Co, et nous, rien ! » Pas tout à fait quand même : l'association utilise souvent les salons Mauduit pour ses concerts. « C'est pour nous calmer, rétorque Ras Preco. Et c'est pas ce qu'on a demandé : une vraie salle de concert, d'expos et de danse pour la culture rasta. Nous, on n'a pas envie de laisser les autres faire à notre place, on veut faire nous-mêmes. »
Tous Martiniquais, les fondateurs de la Maison des Rastas représentent une vraie force, celle du reggae et de la black music. La Madeleine, dans tout ça ? « Etre rasta, c'est un mode de vie. Il concerne les vêtements, l'alimentation, l'abstinence de boissons alcooliques par exemple, mais c'est avant tout un travail sur la conscience. Le travail, on le fait sur nous-mêmes, avant de parler de l'envi ronnement. On tâche d'être le plus positif possible. » La Maison des Rastas est maintenant l'une des têtes de pont françaises de la culture rasta pour des Martiniquais comme Wakad el Shabbazz, musicien, et tous les « frères » qui recherchent un point de chute.
Daniel Morvan
Robert et Madeleine se marient très jeunes, à 20 ans (encore mineurs), pour éviter le STO (Service du travail obligatoire, imposé par le régime nazi aux populations d'Europe). Madeleine est secrétaire dans une armurerie.
C'est un couple moderne, qui consacre tous ses loisirs au sport et au tourisme : « Nous, c'est l'aviron et le patin à roulettes qui nous a conservés ! Nous avons fait le tour de Bretagne à vélo. Notre endroit préféré ? Bénodet, Sainte-Marine et Concarneau. »
Ce qui allait de soi de la part de ces personnes de goût. Et puis un beau jour de 1968, le grand saut vers les Baléares : « Notre premier grand voyage sans le vélo ! »
La chaussée de la Madeleine marque la limite sud-ouest du quartier. Plusieurs passages sont encore ouverts, révélant les dessous enchevêtrés du faubourg, où luisent les vieux pavés, où les matous ont des indifférences d'aristochats sur leurs toitures de fibrociment, où se démantibulent des ruines et se planquent belles maisons rénovées.
Au fond d'un passage bordé de platanes anarchiques, des râteliers encore en place laissent imaginer des piaffements d'écuries. L'un des projets de Nantes Aménagement est de rénover ces passages, de remettre au jour des arches d'entrée dissimulées derrière des façades et de retrouver l'alignement du XVIIIe siècle. A l'angle, là où Aimé Delrue (l'amuseur public de Nantes) contemple l'éternité sur sa plaque de bronze, sous une immense toile représentant un toucan (signée Alain Thomas), Patrice Nicolas a installé sa menuiserie. « Un emplacement remarquable, proche du centre et du périphérique. »
L'atelier du bois emploie trois salariés. Un vaste local de 500 m2, odoriférant et clair, entièrement dédié au meuble en pin brut ou teinté. Armoires à croisillons ou à grillages, bibliothèques blanchies façon céruse pour des maisons qu'on n'aura jamais : l'atelier sur cour oscille entre la tendance déco océanique et le sur-mesure pour cadres en jet-lag. Certes, l'Atelier sur cour ne pratique pas les prix d'Ikea, mais le prix n'est peut-être pas ici la donnée première. « Nous sommes intéressants sur les gros volumes, explique Patrick Nicolas. Le rapport à l'artisanat est affaire de culture. Seules viennent nous voir les personnes qui ont une idée précise du meuble désiré. Celui qui achète un meuble dans une grande surface aurait peur, ici, de ne pas savoir ce qu'il veut. C'est pourquoi notre clientèle est très bourgeoise. »
Dans ce coin de la Madeleine, on trouve de très beaux bleus passés. Par exemple, au no 10 de la rue Columelle, une maison ornée de carreaux de mosaïque, qui a sûrement une sœur au Portugal.
Rue Marmontel, balisée à l'angle par le pochoir de l'Hydropath, un autre bel immeuble à balcons bleus, où pendent des blue jeans en loques ; dans la cour, un entrepôt, lui aussi en loques. La maison des rastas En face, c'est l'Usure, un squatt en état de décomposition avancée, où un jeune sculpteur s'acharne sur une poutre de chêne fendue mais d'un bois dense, pour en tirer une sorte de Neptune joufflu.
C'est le versant presque clandestin de la Madeleine des artistes ; la rue Pélisson, où se trouvent les ateliers des élèves des Beaux-Arts et le gratin du « post-diplôme », étant sa partie officielle. Pour entrer dans la « Maison des rastas », rue Marmontel, il faut montrer patte blanche, prouver qu'on n'est pas de la police.
A l'arrière de l'ancienne droguerie Delrue, jouxtant les ateliers d'artistes (un bunker à interphones), l'entrée se signale par une peinture murale, quelques coupures de presse sur la dépénalisation du haschisch et une affichette : « Ne pas fumer ». Allons bon ! Ras Préco, le vice-président, explique : culture rasta, la cuisine végétarienne pratiquée comme un art, désignée sous le terme générique de I-tal (20 francs la part pour les adhérents, 30 pour les autres), qu'il s'agisse de riz parfumé au coco ou de boulettes de soja. Le local, sur deux étages, propose un lieu d'exposition, une bibliothèque et vidéothèque, et, sous les toits, un studio d'enregistrement - le repaire des dix membres actifs, les seuls autorisés à fumer des cigarettes. « Le reggae, rasta, hip hop, c'est la grande tendance aujourd'hui, explique le « natty boy ».
Ici, quand on a ouvert la Maison des rastas, on a failli se trouver débordés. Nous regroupons aujourd'hui 30 groupes et artistes solo. C'est même un problème, car ces groupes se plaignent que l'Olympic et Trempolino ne fassent rien pour eux, alors qu'ils sont maintenant la culture musicale dominante. On a vu passer Elmer Food Beat, Dominique A, Dolly and Co, et nous, rien ! » Pas tout à fait quand même : l'association utilise souvent les salons Mauduit pour ses concerts. « C'est pour nous calmer, rétorque Ras Preco. Et c'est pas ce qu'on a demandé : une vraie salle de concert, d'expos et de danse pour la culture rasta. Nous, on n'a pas envie de laisser les autres faire à notre place, on veut faire nous-mêmes. »
Tous Martiniquais, les fondateurs de la Maison des Rastas représentent une vraie force, celle du reggae et de la black music. La Madeleine, dans tout ça ? « Etre rasta, c'est un mode de vie. Il concerne les vêtements, l'alimentation, l'abstinence de boissons alcooliques par exemple, mais c'est avant tout un travail sur la conscience. Le travail, on le fait sur nous-mêmes, avant de parler de l'envi ronnement. On tâche d'être le plus positif possible. » La Maison des Rastas est maintenant l'une des têtes de pont françaises de la culture rasta pour des Martiniquais comme Wakad el Shabbazz, musicien, et tous les « frères » qui recherchent un point de chute.
Daniel Morvan
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