Julien Gracq © DR |
Solitaire, inflexible, rare, secret, discret : c'est ce qu'on a dit de Julien Gracq, mort à 97 ans, le 22 décembre 2007 à Angers. Il était simplement un romantique. Le dernier des romantiques.
Il était aussi un pamphlétaire. Dans La littérature à l'estomac, il rentrait dans le chou de la littérature dominante, militante, et faisait l'éloge d'une lecture secrète. Pour cette raison, il avait refusé l'édition de ses livres en format poche.
« C'était un roi. C'était le dernier des Mohicans, résume l'écrivain Pierre Michon. Le dernier des contemplatifs. Il avait écrit ceci, qui me trotte dans la tête : Tant de mains pour transformer le monde, et si peu de regards pour le contempler. »
Ce regard a disparu, à 97 ans. « Il n'a pas bouleversé la littérature mais il a laissé des choses parfaites, comme Alain-Fournier, comme Gérard de Nerval », dit encore Pierre Michon.
Que reste-t-il de lui ? Un nom. L'un des plus beaux. Julien Gracq, pseudonyme de Louis Poirier, professeur agrégé d'histoire et géographie à Nantes, Quimper, Paris qui à 27 ans publie son premier ouvrage, Au château d'Argol. À compte d'auteur, chez José Corti, après avoir été refusé par Gallimard. Il restera fidèle à cette petite maison jusqu'à son dernier livre, Entretiens, en 2002.
Son premier roman, Au château d'Argol, a lieu dans une Bretagne mystique et arthurienne. Le rivage des Syrtes évoque Venise et la Libye, Un balcon en forêt a pour cadre les Ardennes. « Je ne suis pas du tout un écrivain régionaliste, je suis un écrivain français. Ma région est la langue française. »
On se souvient aussi d'un jeu de mots de Raymond Queneau, président du prix Goncourt, qui annonce en 1951 : « Le prix Goncourt est attribué à Julien Green pour Les ravages de Sartre ». À farceur, farceur et demi : Julien Gracq, auteur des Rivage des Syrtes, fait scandale en refusant le Goncourt. Ainsi, il écartait les mirages de la célébrité et de l'importance accidentelle.
On le rattache à André Breton, qu'il a rencontré en 1939 à Nantes. Héritier de Chateaubriand, Gracq est aussi un compagnon des surréalistes : La Nadja d'André Breton est sa vraie muse. Mais peut-on oublier Sur les falaises de marbre, de Ernst Jünger, son grand ami, mort à 102 ans en 1998 ? Et peut-on omettre Jules Verne, qu'il appelait « mon primitif à moi » ?
Julien Gracq excellait dans les cahiers, carnets, notes, impressions de voyages. Son écriture est une ligne droite partant des romantiques allemands et traversant le surréalisme, l'a conduit vers une pratique du fragment.
Il était peut-être l'écrivain français le plus visité, alors qu'il avait choisi le retrait. Les plus grands ont poussé la porte de sa maison, à Saint-Florent-Le-Vieil, au bord de la Loire.
Retiré ? « La Loire ne retire pas les hommes, elle les réfléchit », corrige l'écrivain nantais Michel Chaillou, admirateur de Gracq. Il était accueillant. Assis à contre-jour, il servait volontiers le muscadet maison et commentait le dernier match de foot à la télévision.
Toujours rebelle, il s'étonnait de la place démesurée de Paris dans le monde des lettres. « Lorsqu'on vit à Saint-Florent, on passe pour un marginal. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, les écrivains vivent loin des centres médiatiques et cela ne les gêne pas. »
Les heures blanches et vides de la Loire alimentaient ses rêveries. Mais il se refusait pourtant à être le "Giono de l'Anjou". L'esprit des lieux, il le capte souverainement, en grand écrivain de la Nature. « Saint-Florent et la Loire, disait-il, j'y suis habitué comme un vieux vêtement. »
Mais Julien Gracq n'est pas l'auteur d'un seul paysage. Combien de lecteurs ont arpenté les landes d'Argol, cherchant une clef dans son absence de château, les lagunes de Venise, les marais de Guérande, les rues de Nantes, avant de comprendre qu'il avait tout inventé ?
Daniel MORVAN.
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