Hervé Guilloteau et Bertrand Ducher dans "Tony" (compagnie Grosse Théâtre) |
Tony, il redoublait sa cinquième quand
il l'a connu. Lui, Hervé, entrait dans un moment terrible pour sa
colonne vertébrale. Paralysé, immobilisé sur un lit d'hôpital à
quinze ans. Cloué par une maladie orpheline. Vint
Tony. Un Brando du 44 chauffé à blanc par le silence des
campagnes. Pas trop cador aux QCM mais doué pour explorer ce "long
printemps de l'adolescence", autour d'un étang (comme dans une
scène du Poirier sauvage) ou au camping de
Saint-Jean-des-Monts. Toute cette histoire de vie effervescente tient
en une heure de scène (on l'a vu au Nouveau studio théâtre à
Nantes) et l'univers est en place en deux taffes trois murmures.
Garçons dans l'obscurité; leurs paroles tournent autour d'une
question importante: l'hostie a-t-elle un goût? Lumière sur le
tandem rural. Le spectacle embraye sur un gars branché plomberie,
qu'Hervé Guilloteau (auteur, metteur en scène et acteur) a
enregistré dans le train, smartphone captant la parole d'un ouvrier
volubile, reprise en fil rouge.
Tony, c'est l'entre quinze et vingt
ans, la tire pilotée au frein à main, le déodorant de petit fumier
rural (et en déodorama pour nous spectateurs envapés), High
Hopes de Pink Floyd à fond dans la berline, les
virées en boîte. Cela fait-il cliché convenu des
années 1980? En mépris du lieu commun, Guilloteau ne tente pas
d'extraire une métaphysique de sa première ivresse, il pose tout sur la table, dans la pure
inconscience de l'âge, pour nous laisser en découvrir la grâce. Et
elle existe, cette grâce. L'acteur Bertrand Ducher, dont la
photographie en jeune homme figure sur l'affiche du spectacle, est un
merveilleux Tony, un demi-dieu en siège baquet, une force qui emporte tout comme une
R14 lâchée dans la stratosphère, avec les mots brusques lâchés
comme des briques, les mots qu'il faut pour tant de jeunesse. Un
garçon entier qui joue le poème en prose de l'adolescence, formant
avec son Guilloteau un duo scénique comparable à - qui? Rions un
peu: Bourvil et Louis de Funès? Jacques Villeret et Thierry
Lhermitte? Mel Gibson et Danny Glover? Rien ne se compare à vous,
les Kerouac de la Grigonnais. Ou alors Rox et Rouky, le renardeau et
le chien. Oui, Hervé Guilloteau a le culot de convoquer Walt Disney
et ses deux héros destinés à se séparer, parce qu'ils sont un
renard et un chien, qu'ils sont Tony et Hervé.
Ce paysan de Guilloteau est notoire
pour sa faculté à lancer la baston, et pour qu'il s'en sortît
vivant il fallut bien que Tony s'interposât et prît sa part de
beignes, ce que la pièce nous confirme. Cette histoire de poteaux à
la vie à la mort s'appuie sur deux barres verticales, seul élément
de décor. On sent derrière la campagne crucifiée des années 1980,
la force de décentrement qu'elle exerce pour produire ce théâtre
subtil et désespéré, écriture ciselée et beauté maladroite des
corps, mariant la rudesse et la finesse. Les chèvres du voisin ont
des noms d'actrices italiennes, la famille Cheval est morte dans un
accident de bateau-mouche. On fait son stage de troisième dans une
station service et on se demande si un BEP c'est la bonne voie. Cette
histoire si admirablement filée, dans une écriture qui combine
drôlerie et pure émotion, c'est vraiment la sienne, à Hervé
Guilloteau. La vieille alliance de la maladie et de la beauté a
opéré pour tirer un artiste d'un désert. Hervé rejoint la cohorte
des poètes couchés, les Joë Bousquet et les Marcel Proust, mais le
voir debout quand même, observer de quel corps est parti quel texte,
c'est le privilège du théâtre et du spectateur, à qui il est
donné de voir la transmutation du bancal en divin. Avant de devenir
théâtre, sa parole est conquise sur la paralysie et se déroule
comme la recherche d'un espace de rêve, un endroit possible où la
vie ne serait pas juste cette force brute qui décide que Rox et
Rouky, ça ne peut pas marcher. Un espace de rêve qui continuera à
s'appeler théâtre, tant qu'Hervé Guilloteau voudra bien nous
raconter sa drôle de vie.
Daniel Morvan
Tony, avec Bertrand Ducher et Hervé Guilloteau, compagnie Grosse Théâtre en résidence au Nouveau Studio Théâtre. Coproduction Grosse Théâtre, Ville de Nantes avec le soutien du TU-Nantes et de la Fonderie au Mans. Mes remerciements à Christelle Guillotin.
Tony, avec Bertrand Ducher et Hervé Guilloteau, compagnie Grosse Théâtre en résidence au Nouveau Studio Théâtre. Coproduction Grosse Théâtre, Ville de Nantes avec le soutien du TU-Nantes et de la Fonderie au Mans. Mes remerciements à Christelle Guillotin.
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