Des premiers spectacles de Termajis (lanterne magique) aux films récemment tournés en Bretagne
comme L’équipier de Philippe Lioret
(2004) ou Un long dimanche de fiançailles
de Jean-Pierre Jeunet (2004), la Bretagne tient une grande place dans le
cinéma. Parmi les 250 longs métrages de fiction qui y ont été tournés, leurs
auteurs figurent parmi les plus grands : Epstein, Grémillon, Tavernier,
Demy, Poirier… Il manquait un ouvrage synthétique recensant tous ces films, hollywoodiens
ou militants, navets et films d’auteurs, policiers ou de cape et d’épée. Le
cinéma en Bretagne a maintenant sa Bible, et son évangéliste se nomme Tangui
Perron. Cet ancien élève de l’historien Jean-Pierre Berthomé, fondateur d’un
cycle « Bretagne et cinéma » à Bobigny, a réussi un véritable tour de
force avec cet ouvrage, dont l’iconographie est exceptionnelle. Image : « Ne
regardez pas la caméra, priez ! » exhorte une pancarte tendue aux pèlerins
de Lourdes lors du tournage de Lourdes et
ses miracles, de Georges Rouquier, dont l’assistant réalisateur était
Jacques Demy. Ce dernier fit de la Loire-Atlantique un poste avancé de
l’avant-garde, allant retrouver à Nantes et dans le passage Pommeraye la
poétique urbaine chère aux surréalistes : loin des rudesses granitiques de
convention, Demy tourne le dos aux couleurs locales. « Cet enchantement de
la ville tant arpentée, souligne l’auteur, on le doit aussi au décorateur
Bernard Evein, nazairien d’origine et fidèle compagnon du cinéaste ».
Bernard Evein, dont l’épouse Jacqueline Moreau dessina les costumes de Deneuve,
a quitté ce monde au cours de l’été 2006. Le groupe de créateurs que Perron
appelle « l’école nantaise du cinéma», définit une esthétique propre à
laquelle répond poétiquement, sur sa « côte au vent », sa façade
maritime, celle de Jean Epstein, dont le vibrant Finis Terrae (1929) tourné avec les goémoniers des îles, annonce Man of Aran de Flaherty (1934).
L’ouvrage de Tangui Perron peut se lire de diverses façons : dans son
ordre chronologique, le plus simple, qui dégage les grandes figures historiques
(Marie de Kerstrat, pionnière du cinéma en Amérique, Salomon Kétorza, fondateur
du Katorza à Nantes, Louis Le Bourhis, qui inaugure l’Odet-Palace en
1922) ; les réalisateurs qui surent le mieux transcender le pittoresque,
tel Jean Grémillon (Remorques, 1941) ;
la puissante séduction des paysages et des villes closes bretonnes qui
attirèrent tant de cinéastes, comme Les
Vikings de Richard Fleischer (tourné à Fort la Latte) ou La belle espionne, de Raoul Walsh, avec l’hypnotique
Yvonne de Carlo (tourné à Concarneau, photographiée par Pierre Le Grand). Jusqu’aux
réalisations les plus récentes. Mais le parcours le plus naturel est celui du
regard qui vagabonde d’une image à l’autre, s’ouvrant ses propres chemins de
traverse dans le cinéma des Bretons (de René Vauthier à Marie Hélia, d’Alain
Resnais le vannetais à Pierre Trividic, scénariste de Pascale Ferran), et de
ceux qui ont capté l’esprit des lieux et des habitants (comme Manuel Poirier,
inventeur du road movie breton, ou Claude Chabrol, qui a tourné sept
films en Bretagne).Vues de tournage, images de films, portraits de stars, affiches
permettent à chacun de faire son propre casting imaginaire avec Vanessa
Paradis (Elisa de Jean Becker), Jacques
Tati (Les vacances de Monsieur Hulot,
tourné en 1951 à Saint Marc sur Mer), ou cet Alain Delon vintage courant sur une plage de Belle-île (Traitement de choc). Sans oublier les indispensables nanars au
premier ou au vingt-cinquième degré que sont l’atroce Frisée aux lardons, avec Bernard Menez, et le cultissime Les galettes de Pont-Aven… Le cinéma
n’est pas la plus mauvaise façon de revisiter la Bretagne !
Daniel Morvan
Tangui Perron :
Le cinéma en Bretagne, éditions Palantines. 240 pages, 300 illustrations, 3
index, 65 €.