« La peinture, dit ma voisine, ça défatigue ».
Cette note des « Papiers collés » dit bien la familiarité de la
relation du poète Georges Perros au dessin et au visible. Et nous étions loin
d’imaginer qu’il existait une œuvre graphique du poète, dont l’intérêt a
justifié une exposition du musée des Beaux-arts de Bordeaux.
En préface de cet
album, Michel Butor raconte comment les lettres de son ami Perros se sont peu à
peu mêlées d’images. Cette attraction fut certainement encouragée par l’amitié
du peintre Bazaine. Elle correspond aussi à la perte de la voix, douloureusement
vécue par l’auteur d’Une vie ordinaire :
« la poursuite du dessin est une conversation muette avec soi-même »,
écrit Butor, qui voit dans ces essais graphiques une forme de thérapeutique,
« comme les Indiens Navajos soignent encore leurs malades par des
peintures de sable ».
L’album publié par les éditions bordelaises Finitudes va au-delà
de l’anecdotique et nous montre un écrivain travaillé par la pulsion graphique,
qui éprouve « l’envie de dessiner plutôt que d’écrire, de dessiner ce
qu’on a envie d’écrire. »
Ce sont tour à tour des « tracés de
nerfs » à la Henri Michaux, des collages (« je colle un tas de
saloperies, allumettes, sables, algues, fleurs »), des gouaches et encres
de Chine grattées, où il excelle. Poète amoureux de la peinture, Georges Perros est ici
le continuateur d’une tradition où l’écrivain élabore son esthétique dans le
rapport au tableau, comme Baudelaire avec les « peintres de la vie
moderne » et Francis Ponge avec Fautrier et Braque.
On décèle aussi chez
l’ermite de Douarnenez une certaine idéalisation de la peinture comme espace
protégé : « Un homme qui peint est préservé (…), plus préservé, en
tout cas, que l’homme qui écrit. » Et pourquoi ? Parce que « la
peinture est une pensée sous scellés », un secret bien encadré, un noyau
qui résiste à la parole. Georges Perros, par ses propres dessins, s’avoue faire
partie des « grands jaloux dont le martyre d’écrire a été atténué,
enchanté, par leur fréquentation des ateliers, les amitiés qui
s’ensuivirent ».
Paol Keineg: là et pas là
Faire image, tel est le métier des poètes, même s’ils disent
parfois le contraire, comme l’écrit Paol Keineg : « Moins d’images,
moins de malheur ». Depuis longtemps libéré de son étiquette de
« poète breton », comme le dit Marc Le Gros en postface de ce livre,
Keineg propose un dégagement poétique, entre ici et ailleurs, présence et
absence : « Là, et pas là ».
On mesure l’écart pris avec la
flamboyance adolescente des années 1970, le verbe est concis, tranchant et
péremptoire. Le prosaïsme rôde, mais n’est admis à la faire que sous la forme
du slogan, de la formule bien frappée : « Un coin à jonquilles sous le
ciel bleu. Le souvenir absurde d’une étendue de broussailles. L’ego s’offrant
en forme vide. Trois raisons d’adorer les terres étrangères. Trois raisons
d’abhorrer le capitalisme. »
Paol Keineg trouve, dans son rapport au parler
véhiculaire, des accents à la James Sacré : « C’est vraiment chouette
d’avoir trouvé refuge dans les phrases quand on préfère l’esclavage à la
mort. » Toujours lapidaire, déroutant, Keineg se montre particulièrement
drôle dans ces petites formes condensées, ces formules que l’on voudrait toutes
citer : « l’adoration des actrices, il faut que ça reste un
péché », une façon de se planter dans la langue courante et de lui couper
le souffle : « C’est un pays toqué, plein de haine. Pas de
rouspétance, je vous embrasse sur la bouche. »
Dans cette même veine, on lira Yves Deniellou dans un grand
poème lyrique sur la campagne, la cueillette des mûres et l’amour :
« On fait dire/ des choses aux mots/ en portant aux lèvres/ une petite
photo ».
Erwann Rougé est un poète de la perception, profondément
incarnée, mais étrangère aux appartenances, presque extatique. Nous le
retrouvons dans un livre dont le titre vient d’Artaud, « Paul les
oiseaux ». Il s’agit d’éprouver la présence du monde et d’exister
poétiquement, en faisant le fou, en déformant les vieilles chansons :
« Colchique sur un pied, le ciel, le ciel ».
Il serait facile
d’opposer à cette écriture à vif les petites vignettes campagnardes de Thierry
le Pennec, mais le titre même laisse bien entendre qu’ici aussi, on embrasse
l’aube d’été, et pas du bout des lèvres :
« Je tourne la terre/ au
tracteur pour la première fois/ de mon rêve ça sent le maraîchage les champs/
tassés par la poussière la sueur sous les bras/ de chemise ô mes quinze ans les
voici les beaux nuages/ d’Ouest les voisins viennent voir/ comment je m’y
prends et si/ ça poussera bien le fils assis sur le pneu/ tient la clef à
molette il est dans son bleu. »
Une vraie révélation que cette poésie en
siège de tracteur.
Daniel Morvan.
Dessiner ce qu’on a
envie d’écrire, de Georges Perros. Editions Finitudes & Musée des
Beaux-Arts de Bordeaux. NP, 28 euros.
Là, et pas là,
Lettres sur Cour, de Paol Keineg. Le temps qu’il fait, 160 pages, 17
euros.
Le mur de Berlin ou
la cueillette des mûres en Basse-Bretagne, de Yves Denniellou. Wigwam, NP,
5 euros.
Paul les oiseaux,
de Erwann Rougé. Le dé bleu, 86 pages, 10,50 euros.
Un pays très près du
ciel, de Thierry Le Pennec (prix de poésie 2005 de la ville d’Angers). Le
dé bleu, 86 pages, 10,50 euros.