Il
aurait pu être ce que Georges Prêtre fut pour La Callas: un chef
d'orchestre inspirateur, un mentor et un complice. Hélas, les
espoirs qu'il plaçait en Hannah Burckhardt furent déçus. Celle-ci,
qui devait chanter le premier rôle dans l'opéra Tristan et Isolde
de Wagner, a fait faux bon un matin de répétition. Et, alors qu'il
s'apprête à diriger, l'oreille fine de ce chef d'orchestre est
frappé d'une terrible dissonance: "J'ai cru qu'on m'enfonçait
dans l'oreille la lame du pic à glace resté sur la table."
Depuis qu'enfant il a rencontré la musique, Tristan a vécu dans
l'orgueil légitime d'une "compétence définitivement acquise".
Mais ce sentiment de "surpuissance" a ses failles. Passée
la joie ressentie à embrasser toutes les voix d'une partition
complexe et les entendre en lui, Tristan sait qu'il n'a pas satisfait
à toutes les promesses. "J'avais travaillé dur et longtemps
pour discipliner l'orchestre imaginaire qui jouait à l'intérieur de
moi (...), mais quant aux orchestres réels, c'était autre chose.
Jamais (...) la musique n'avait été exaucée." Au seuil de la
retraite, sur le point d'épouser une femme plus jeune que lui, il
est devenu l'homme du ressentiment. Hanté par les acouphènes, il
dirige avec le sentiment de "soulever une musique aux ailes de
ciment", n'ayant que mépris pour ses interprètes, solistes du
choeur régional, "seconds couteaux assez satisfaits de leur
sort", ou "clarinettistes dévisageant leur instrument avec
une moue d'incompréhension".
D'une
dissonance musicale aux amours qui se désaccordent, Clément Rossi
(bassiste du trio nantais de post-jazz Qobalt) compose une partition
flamboyante sur le thème d'un homme perdu sans musique. Jusqu'à ce
que, comme chez Proust, la réminiscence d'une sonate de l'enfance ne
le ramène aux origines du don, ce miracle sans lequel "la vie
ne serait qu'une erreur".
Daniel Morvan
Clément
Rossi: La dissonante. Sygne/Gallimard. 240 pages, 18€. Octobre 2019.
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