mardi 28 juin 2016

"La pièce" de Jonas Karlsson: Kafka dans l’open space

Ce n’est pas exactement une promotion, plutôt une placardisation. Mais le narrateur du roman, Björn, possède l’art de positiver toute situation même désespérée. Employé de l’Administration, il a même une tendance à se surestimer. Si la terre n’a pas encore pris toute la mesure de son potentiel, sa découverte d’une pièce secrète, ignorée par ses collègues de l’open space, va changer la donne… D’autant que notre rond-de-cuir va prouver une aptitude étonnante à clarifier les documents administratifs et les « décisions-cadres ». Ce roman sur l’exclusion se situe à Stockholm, et nous vient de Suède. Son auteur sait dépeindre le conformisme de la vie de bureau en y ajoutant une délicieuse touche d’absurde et de fantaisie.

Jonas Karlsson : La pièce, trad. Rémi Cassaigne. Actes Sud, 190 p., 16,50 €.

Musée d'histoire de Nantes: Des histoires intimes pour raconter les guerres



Le musée d’histoire de Nantes a ouvert quatre nouvelles salles consacrées aux périodes les plus sombres du XXe siècle.
« Ces salles sont toutes nouvelles? s’étonne Sébastien, 26 ans. C’est pourtant une étape indispensable pour comprendre l’histoire de Nantes. » Le Nantais fait découvrir la ville à son amie Ségolène, venue de Paris. Que s’est-il passé à Nantes pendant l’Occupation ? Comment les Nantais ont-ils vécu cette époque ? Grâce aux objets, les histoires touchantes des habitants durant les deux guerres se dévoilent sous nos yeux. Quand l’intime raconte la guerre, à travers ses vestiges: les effets militaires du paludier Pierre-Marie Legars, de Batz-sur-Mer. Des lettres d’amour envoyées depuis le front des Ardennes. Les coquetiers réalisés à partir de douilles d’obus.


Pour ne pas oublier


D’une guerre à l’autre, en passant par l’espoir, le Front populaire, les congés payés et le pacifisme. Cela commence par une chanson, diffusée dans l’escalier: Tout va très bien madame la marquise. A mesure que vous descendez, une voix vous glace: c’est Adolf Hitler, dans un discours de 1933.
Le groupe Collaboration de Nantes et ses 997 militants sera le plus influent de France en 1942. « J’ai été très frappé par cette lettre dénonçant le fait qu’« une juive prend la place d’une Française à la distillerie de Saint-Sébastien », avoue Sébastien. Ça résonne péniblement avec l’actualité. »
Douloureux aussi, ce témoignage de Victor Pérahia, arrêté à Saint-Nazaire en juillet 1942, à l’âge de 9 ans. « Ce jour-là, mon père m’a pris dans ses bras. Je me rappelle qu’il m’a regardé profondément, pensant que ce serait peut-être la dernière fois. Ce fut le cas. »


F. Dubray

Le château des ducs de Bretagne est visité par 1,4 million de visiteurs. le musée d’histoire de Nantes s’y trouve: 240 000 entrées annuelles, ce qui le place parmi les plus grands sites régionaux français. Quelle que soit sa durée, cette visite vous éprouve. Vous allez revivre la traite négrière. Vous étonner de la présence d’une domestique noire derrière une grande bourgeoise de la ville, sur un tableau. Vous émouvoir devant deux tranches de pain noir conservées par une mère de famille, pour que sa fille s’en souvienne plus tard, avec ce mot : « le pain que nous mangeons en avril 1942 ».
« En réalisant ces nouvelles salles, explique Bertrand Guillet, directeur du musée, nous nous sommes toujours posé la même question : où, dans ces années sombres, est la lumière ? » Elle s’est glissée dans les objets du quotidien. Une chocolatière artisanale, une bassine à confiture réalisée avec des chutes. Elle est aussi dans la présence de Justes, ceux qui mirent leur vie en danger pour sauver des juifs. Ils furent sept dans la région nantaise. Ils étaient cette lumière, qui nous guide à travers le siècle.


Musée d’histoire de Nantes, au château des ducs de Bretagne. Du lundi au dimanche, de 10 h à 19 h. Tarifs : de 5 à 8 € ; gratuit pour les moins de 18 ans. Réservation sur www.chateaunantes.fr ou au 0 811 464 644.

Coup de cœur : Tout de suite maintenant


Sur l’affiche dessinée par Floc’h, Pascal Greggory, Isabelle Huppert, Julia Faure, Vincent Lacoste, Jean-Pierre Bacri et Lambert Wilson. Et tout devant, une fille avec une écharpe rouge : Agathe Bonitzer, qui joue le rôle de Nora (photo). Elle fait ses premiers pas dans la haute finance. Nora nous insupporte déjà avec son masque d’executive woman, aussi cordiale qu’un Powerpoint. C’est donc bien la fille de son père, Serge (Bacri), matheux plus aigri qu’un cornichon oublié dans son bocal. Bacri fait du Bacri, dites-vous. Erreur, car dans ce film le suspense tient à une affaire de sale caractère transmis. Et tout le film va consister dans le dévoilement des raisons de l’amertume du grincheux.
Bonitzer nous mène habilement à un amour commun entre Serge et le patron d’Agathe.L’amour en question boit trop et s’appelle Isabelle Huppert. A nouveau Huppert, qui éblouit encore. Stoppons tout, ne spoilons rien : juste dire que cette flamboyante distribution n’est pas que de la poudre aux yeux. Que l’image est magnifique. Que l’histoire est très morale. Qu’au bout de l’énigme il y a une lettre d’amour. Et tout cela en musique. Avec aussi une histoire d’arbre étrangleur, mais on vous raconte pas.
Daniel Morvan.
Film français de Pascal Bonitzer, 1 h 37, au Katorza.








mardi 21 juin 2016

Lucie, bien dans sa tête et ses baskets

Lucie Chauvelier, 15 ans, élève de 3e du collège Jules Renard (Laval, 53).

Son verbe préféré c’est bouger. Sur les terrains de baskets, au conseil de la vie collégienne ou auprès de ses camarades de classe, Lucie, 1,62 m, est une suractive calme en polo rose. Un moteur de classe, pour parler « prof ». Sous ce terme, une avalanche de qualités, énumérées hier au rectorat de Nantes : elle est brillante (17,5 de moyenne), ce qui serait banal si cela n’allait pas avec la modestie, l’engagement, la fougue, l’altruisme…
Lucie n’est pas seulement celle qui lève le doigt la première, elle aime aussi aider ceux qui ont le plus de mal. Tout cela ajouté à la modestie et au plaisir de participer définit la « sportivité ». Quelque chose qui se rapproche de l’idéal humaniste : « mens sana in corpore sano ».
Discutez avec elle cinq minutes, pour voir : elle saute sur place, vous en feriez presque autant. Elle se souvient que petite, elle a visité l’Assemblée nationale. Qu’elle faisait partie du conseil des jeunes de Laval. Précise qu’elle ne fait pas que du basket, mais aussi du cross, de l’athlétisme, du handball, du foot et du basket en minimes.
Vous croyez peut-être que c’est assez ? Depuis 2 ans, elle participe au conseil d’administration de son collège. Avant-hier, elle assistait au match France Nouvelle-Zélande à Rezé. Ce week-end, elle fêtera son prix. Qu’elle dédie à sa CPE, Sandra Couturier, et à son principal qu’elle révère, Christophe Dhollande. « Il m’a appris la vie d’un établissement, on pense que c’est normal mais j’ai vu le temps qu’il faut pour décider d’une chose simple, comme d’ajouter des bancs dans la cour. Il m’a fait aimer son métier, et je veux devenir principal de collège. D’ailleurs, ça va vous paraître bizarre, les réunions, j’adore ça. » Le reste du temps ? Lucie fait du shopping. Et ses parents se reposent.
DM


Lucie Chauvelier fait partie des huit collégiens lauréats du prix de la sportivité décerné par la fédération des médaillés de la jeunesse et sports.

La cabine d'essayageophobie, ça se soigne



C’est le retour de la pensée magique à la rédaction : Ce matin, on a salué le soleil sur la moquette. Une  figure de yoga suffit-elle à conjurer les bulletins météo ? Hier, on avait l’humeur à écouter « Il est mort le soleil » sur Youtube. Et à aimer ça. On adapte ses goûts aux errances dépressives des masses d’air, on positive les effondrements du baromètre en les habillant de couleur. Mais tout cela ne sert qu’à oublier que l’été est juste en train de nous filer sous le nez.

Aujourd’hui, jour des soldes, le soleil a permission de sortie. Vivent les cabines d’essayage, les tee-shirts à message. Non, pas à message. Car si vous avez lu le dernier Marie-Claire, vous savez que ça ne va qu’aux moins de 16 ans. Je n’aborde pas les soldes exactement sous le même angle que la fashion victim qui adapte son look aux exigences de l’essayage rapide. Préoccupation n°1: comment affronter le coup de chaud en cabine d’essayage. L'effet sauna. Une préparation physique s’impose : se coucher tôt la veille, petite demi-heure de pilates pour arriver zen devant les rideaux coulissants, vêtements faciles à enlever, pas de synthétique pour éviter les électrochocs de courant statique.
Mercredi sera un grand jour, celui du tee-shirt sans message. Pas bleu, plutôt corail, orange ou vert, s’il n’est pas trop tard pour vous. Et on ira travailler sa phobie des cabines d’essayage. On tentera des trucs pas possibles, le polo vert pomme avec des crocodiles, des pantacourts moutarde en élastomère, on explorera les limites de l’importable. On essaiera.
Cela veut dire entrer dans une cabine avec un polo orné d’un idiot pingouin rose, frôler le malaise, avoir des angoisses de gazage et sortir en pleine tachycardie, appeler sa mère à l’aide, réactions classiques. Espérer une simple marinière Armor Lux, un pantalon Glazik bleu ciel toute saison, comme un matelot du Belem, que vous porterez en sifflotant du Joe Dassin. Parce que s’il n’y a pas d’été, on peut quand même compter sur l’été indien, non ?


lundi 20 juin 2016

Scopitone 2016: la scène européenne et féminine en tête

Le festival nantais dédié aux cultures électroniques et aux arts numériques, à leurs croisements et frictions se déroulera du 21 au 25 septembre. Expositions, nuits électro, performances, spectacles jeune public c’est reparti pour une édition 2016… Les sons sont déjà consultables en soundcloud et vidéos sur scopitone.org, et voici l’essentiel du line-up de cette édition. Ouverture de la billetterie le 23 juin, date à laquelle seront dévoilés les plateaux des différentes soirées payantes. Le festival propose un concentré des nouvelles formes de création mélangeant musique, vidéo, design, interactivité, robotique, architecture…six jours et cinq nuits où plus d’une cinquantaine d’artistes s’exposent, se produisent, jouent dans une dizaine de lieux, invitant chacun à plonger, le temps d’une soirée ou d’un après-midi en famille, dans l’univers des musiques électroniques et des arts numériques. Soirées concerts, expositions, installations, ateliers, conférences, visites et projections, pour la plupart gratuits, s’y déroulent faisant de Scopitone un événement populaire attendu par près de 40 000 festivaliers. Côté musique, la jeune scène européenne est largement représentée par les femmes, notamment sur les deux soirées électro, (Paula Temple, Helena Hauff, Charlotte de Witte, Ann Clue), scène souvent peu représentée sur les festivals. Bon nombre de scènes européennes seront présentes (France, Scandinavie, Allemagne, Belgique, Espagne), aux côtés de la scène nord-américaine. Quinze musiciens sur 30 ont entre 18 et 23 ans. Côté Scopitone numérique, les pièces proposées, aériennes ou abstraites, manipulent nos perceptions de la réalité. Ouvertes toute la semaine et le week-end, ces expositions s’adressent à toute la famille et sont gratuites.
scopitone.org

Maria Republica, meilleure création musicale 2016

Opéra donné en création mondiale le 19 avril 2016 au Théâtre Graslin de Nantes, "Maria Republica", est élu "meilleure création musicale de l’année" par l’association professionnelle de la critique. Inspiré d’un roman antifranquiste, cet opéra de François Paris raconte la vengeance de Maria, fille de communistes exécutés qui décide d’entrer au couvent pour se venger. Dans des décors qui évoquent Goya, portée par une musique intense, vénéneuse, qui reflète les violences de l’oppression, Maria Republica dresse magnifiquement l’étendard de l’insoumission.



Cette création a été produite par Angers Nantes Opéra (mais donné seulement à Nantes) et mise en mots par Jean-Claude Fall, dans une écriture d’opéra contemporain. Le prix de la critique professionnelle constitue une belle reconnaissance nationale pour Angers Nantes Opéra, distingué en même temps que deux opéras nationaux, ceux de Lyon et de Lorraine.
Les espoirs sont maintenant permis pour une reprise de cette œuvre donnée à Nantes en création mondiale, en avril 2016.



Enseignant réputé, François Paris François Paris (né en 1961) avait choisi pour son premier opéra un roman d’Agustin Gomez-Arcos, Andalou exilé en France depuis 1968 après avoir fui l’Espagne de Franco.
La partition, précise et exigeante, pleine de micro-intervalles et d’ondes vénéneuses, était jouée par les quinze instrumentistes de l’Ensemble orchestral contemporain de Daniel Kawka. S’ajoutait un flux électronique continu, tissé par le centre national de création musicale de Nice. Les voix des Solistes XXI étaient préparées par Rachid Safir.
Pour les parties solistes, Noa Frenkel mettait son impressionnant contralto au service d’une Révérende Mère pas très catholique. Dans le rôle sulfureux de la « putain rouge », la jeune soprano Américaine Sophia Burgos irradie un rôle-titre appris phonétiquement.
Gilles Rico installait sa mise en scène dans les claustras ajourés de Bruno de Lavenère, traversés par les lumières de Bertrand Couderc.
Le prix est décerné par l’association professionnelle de la critique de théâtre, de musique et de danse qui regroupe 140 journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, française et étrangère.

Daniel MORVAN.

mercredi 8 juin 2016

Voyage à Nantes: une extension vers le Mont Saint-Michel


Le Voyage à Nantes (VAN) a déjà développé une « branche » dans le vignoble nantais, avec un parcours en un ou deux jours à la recherche des parfums d’Italie, vers les tuiles romaines et les pins parasols de Clisson, la villa toscane de la Garenne-Lemot, le canyon de Pont Caffino à Maisdon-sur-Sèvre… Le VAN a édité un plan guide qui donne le détail des lieux et des événements.
Un autre grand projet d’ampleur est la création d’une branche « Bretagne » s’appuyant sur Saint-Malo et le Mont Saint-Michel. Un poste a été créé pour développer cette extension : « Il s’agit de faire venir les touristes de l’Europe limitrophe et évidemment de Chine, explique Jean Blaise. Il importe donc que nous nous connections à la Bretagne, le seul nom qui parle à l’international, et que nous leur proposions un parcours breton. »
Ce parcours mènera les touristes (Chinois et Européens) de Nantes à Saint-Malo et au Mont Saint-Michel, sur un parcours jalonné d’installations réveillant des éléments de patrimoine. Cette proposition sera effective en 2017 et impliquera un important volet hôtelier. « Mais l’objectif demeure la promotion du tourisme nantais. » DM.

Beach House: dans la famille Legrand, la nièce



Victoria Legrand (Beach House) © DR


S'il y avait un malentendu sur Beach House, groupe pour hipsters, il est levé. Au lugubre carrefour Stereolux, ce lundi 6 juin 2016, on avait peut-être encore dans les oreilles le son des albums : tempo mou, phrasé vaporeux et impression que le même morceau se répète de plage en plage comme quand on vous a oublié en salle de réveil, parce que tout le monde est parti. La surprise est d’autant plus grande que l’image trahit le son : mêmes coulis de guitares cassis et de claviers comme sur la radio-réveil Casio des années Dominique A, mais ne cherchez pas les palmiers en plastique, même ça vous sera refusé: le groupe de dreampop s’est transformé en quatuor séquestré par des skins en manque. Le rêve (si le mot a un sens) est toujours présent dans cette voix qui voudrait s’envoler, et Victoria Legrand n’est pas pour rien la nièce de Michel. La couleur dominante est le noir, le noir Stephen King de Misery, le noir Michel Ange. Une touffeur de cave à charbon dévastée par des drone suicide, dans laquelle Beach House enracine ses boucles, sous les franges obscures d'une pénombre rebelle. Il s’en faut d’un cheveu que cette pop ne bascule dans le tragique, du côté de Nico : musique de rêve, oui. Mais de ces rêves montent des visions intenses, torturées, terminales, qui ne sont pas pour les hipsters.



lundi 6 juin 2016

Annie Ernaux: L'écriture, c'est pour défaire les romans qu'on s'est fait (2016)



Annie Ernaux DR


Mémoire de fille est le récit d’un d’une première expérience sexuelle : En 1958, Annie Duchesne a 18 ans. Elle rêve du prince charmant. Elle le rencontre. C’est une brute. Ses lectures romantiques ne l’avaient pas préparée à ça.

Qui était-il ? Un blond costaud avec déjà un peu de ventre, moniteur chef de la colonie de vacances où Annie, jeune bachelière « éblouie par sa liberté nouvelle », débarque. « À l’époque, explique Annie Ernaux, dix ans avant 1968, les filles n’avaient aucun moyen de savoir comment se passe un acte sexuel. Je n’avais en tête que la nuit de noces des Misérables. Et je tombe dans la sauvagerie d’un désir masculin non refréné. Comme si c’était naturel de se comporter ainsi. Je ne saurai jamais ce que ce garçon pensait, tellement ça lui semblait évident. »
Annie Ernaux continue de peser chacun de ses mots. Non pas pour forger des romans, mais pour défaire les romans dont nos vies sont faites. « Oui, les romans, c’est dans la vie qu’on se les raconte ; l’écriture sert à les défaire. » Voilà pourquoi Ernaux aime les traces écrites, ses journaux, lettres retrouvées : elles sont les preuves concrètes d’un passé qu’on aime mieux oublier.

Annie Ernaux ne renie pas l’été 58, où elle oscillait entre Brigitte Bardot et Blaise Pascal, mystique et délurée. Elle croit vivre une passion, elle est ravalée au rang d’objet sexuel, ce qu’elle découvrira en lisant Simone de Beauvoir. Elle devient objet de mépris. On la traite de prostituée. Ce trauma l’a projetée violemment dans la dimension de l’écriture, parce qu’elle est l’outil de la vérité.

Mais après cet été 58, son corps entre en glaciation. Elle décide de devenir intouchable, inaccessible. Elle devient un symptôme : Annie Duchesne n’a plus ses règles à son retour de la colonie. Aménorrhée inexpliquée. Boulimie. Kleptomanie. « Annie qu’est-ce que ton corps dit ? », elle se souvient du calembour. Son corps va le dire et le répéter pendant deux ans, ce sentiment d’être retirée du rang des femmes, cette humiliation.

« Ce livre était celui que je devais coûte que coûte écrire. Je voulais répondre à la grande question : pourquoi suis-je inadaptée au réel ? » Inadaptée ? Oui, elle l’est, cette belle jeune fille programmée par sa mère « à ne rien faire », à ne jamais se livrer à une occupation féminine, faisant « mauvais ménage avec le ménage. L’écriture est une justification de vivre, j’ai donné très tôt ce sens-là à ma vie. »
L’histoire de la « fille de 58 », elle l’a enfin écrite droit devant sans se retourner, parlant d’elle comme d’une étrangère, collectant les faits bruts dans sa mémoire : deux savonnettes, des mots écrits au rouge à lèvres, le 45 tours d’Only you… Des choses qui attendaient d’être écrites et d’entrer dans un grand livre.

Daniel Morvan.

archive 2016

Annie Ernaux : Mémoire de fille, Gallimard, 152 p., 15 €.
Rencontres : mardi 14 juin 2016 à La Galerne (Le Havre), le 17 juin chez Durance (Nantes) et le mercredi 29 juin chez Dialogues, Brest.

jeudi 2 juin 2016

CGT et anarchistes pulvérisent la fête des jeunes patrons à Nantesana

Le dialogue impossible entre anarchie et patronat
Salle des pas perdus, les nez rouges règnent
Philippe Pozzo di Borgo était l'invité d'honneur

Ce devait être un "moment magique" pour 500 jeunes dirigeants d’entreprise (CJD). Autour du thème «c’est dans ta tête », une soirée privée les réunissait hier soir autour de Philippe Pozzo di Borgo. L'inspirateur du film Les Intouchables venait témoigner sur "l’importance des fragilités humaines dans la construction de tout projet": on ne fait rien de grand qu’avec des faiblesses surmontées.
La CGT spectacles est venue donner sa version du surpassement de soi en désorganisant la soirée. «C’est à pleurer », déplore un médecin, proche de Philippe Pozzo di Borgo, devant le théâtre Graslin. Les cégétistes (une bonne trentaine) occupent le hall de Graslin: soirée annulée.
« Et dire qu’il n’y a pas une télévision pour montrer ça, c’est une honte », peste une chef d’entreprise, dégainant son Iphone pour immortaliser un déchargement de packs de Kro. Opération qui n’est pas imputable à la CGT, mais à un groupe logistique de « radicaux » qui se sont greffés sur l’événement.
« Pas d’accord avec les packs », lâche nerveusement Martine Ritz, de la CGT Spectacles. « trop tard, analyse un camarade, ils sont dans la place. La direction de l’opéra s’est débrouillée comme un manche, on aurait pu les éviter. Maintenant, j’ai un peu peur pour Graslin.»
Si la place est le miroir urbain de son théâtre, avec sa forme circulaire, le hall ressemble à une scène. Sur cette scène, les jeunes anarchistes commencent à se servir dans les centaines de tote bags, contenant de menus cadeaux de bienvenue, stylos ou friandises. Ce n’est pas vraiment une prise de la Bastille. D’ailleurs tout le monde l’aime, ce brave théâtre Graslin, la maison de Mozart et de Chostakovitch: ils ne sont pas là pour lui mais pour les gens bien habillés qui les regardent maintenant d’un air sévère. « Les patrons, nous on va les aider à se surpasser. En écoutant nos revendications. Ce soir, ils sont un peu moins intouchables.»
Daniel Morvan.

Les clowns de la CGT bloquent le théâtre Graslin.