vendredi 7 décembre 2018
Sylvia Sass, à propos de camélia
lundi 12 novembre 2018
Solenne Païdassi, le #violon à l'américaine
L'âme du « fiddle »
1er février 2014
dimanche 22 avril 2018
Henri Salvador: La bossa nova, c'est moi qui l'ai inventée
Henri Salvador (1917-2008): l'invention de la bossa nova est son passeport brésilien, mais le farniente aux Bahamas suffit au bonheur du chanteur de Syracuse |
Parce que Syracuse n'est pas en Sicile, elle est n'importe où, comme la Venise de Serge Reggiani. Henri Salvador se sera contenté de "piquer" la chanson à Sablon, et s'il existe un homme sur terre dont la patrie est multiple et insaisissable, c'est bien lui. Cayenne, là où il est né le 18 juillet 1917? C'est fini, Cayenne. Pas vraiment d'attache sur ce "rocher infâme". A tout prendre, le chanteur Salvador est d'abord un pur parigot, "un vrai Titi parisien, mais de couleur, hein !". C'est la ville où il fera ses gammes, et c'est dans sa musique qu'il va dessiner ce pays rêvé. Ce pays en forme d'île où il ira un jour ne rien faire, "avant que ma jeunesse s'use/et que mes printemps soient partis."
"L'initiateur de la bossa"
L'une de ses chansons, une musique de film, s'appelle Dans mon île. Elle n'annonce pas seulement le Salvador gardien des jardins d'Eden. Elle est le plus beau passeport brésilien qu'on puisse rêver. C'est en écoutant cette chanson que Carlos Jobim a eu l'idée de la bossa-nova. Il a dit : écoutez-ça, ce Salvador a raison : il suffit de ralentir le rythme de la samba. Vous avez donc devant vous l'initiateur de la bossa, merde quoi !Cayenne, Paris, le Brésil puis Les Bahamas - paradis dont il vient de s'arracher, sur un coup de poker musical qui l'a même surpris, lui qui ne s'extrait de la sieste que pour claquer son magot aux roulettes de Nassau. Le voici à nouveau en tournée mondiale.
J'ai encore 65 concerts à donner, le Brésil, l'Amérique, pour un mec de mon âge, c'est tout de même un peu charrier. Mais en 2003, arrêt buffet ! D'histoire d'avoir six mois devant moi pour profiter de la vie. Les Bahamas ! J'aime tout aux Bahamas. Quand je suis à Paris, je ne regarde que les chaînes de voyage, rien que pour les palmiers. Et puis c'est extraordinaire, ces types-là pêchent des poissons magnifiques et ne paient pas d'impôts. Un pays extra, avec 430 îles, une population de 300 000 habitants dont les deux-tiers vivent à Nassau. J'adore ne rien foutre et rester allongé, j'ai ça dans le sang. Quoi ? Syracuse ? J'y suis jamais allé. On m'a offert les clefs de la ville, mais je préfère pas. Un lieu qui n'existe que par les mots, oui, c'est ça.
Daniel MORVAN.
mercredi 4 avril 2018
Judith Brouste, Didier da Silva: lectures parallèles
L'extraordinaire combat de Giap, raconté dans L'enfance future |
Le terrible Heinrich von Kleist, mort très jeune en 1811 ©DR |
Mahler et Granados, ou l'ironie du sort
"Mon point de vue préféré est celui de Sirius", soutient l'auteur. Il complique encore son montage parallèle en faisant surgir deux autres personnages chargés d'assurer les intermèdes: les musiciens Enrique Granados et Gustav Mahler, que tout oppose: le génie dompteur des grandes masses orchestrales, et le petit maître pianistique. La camarde a fixé à tous deux une mort étonnante, avec pour Mahler une sorte de scoop dans ce final ornithologique dont nous ignorions tout.
Ces compositions biographiques se déploient comme de grands paravents: derrière les deux vies de Kleist et Li Baï, narrées sur un mode solennel, avec un long développement consacré au suicide romantique, les vies parallèles de Granados et Mahler (celui-ci relié à Li Baï par son travail sur la poésie chinoise dans ses ultimes travaux symphoniques) nous font entendre les accents mineurs de l'ironie du sort.
mardi 6 février 2018
Jackson C. Franck, héros oublié de la musique folk
Jackson C Franck rencontre Presley à Graceland |
samedi 26 août 2017
Liam O'Flynn, prince de la cornemuse irlandaise (uiellann pipes)
Liam O'Flynn est un familier de la Bretagne. Il fait partie de ceux qui trouvent dans les finis terrae des climats similaires. Le piper a d'ailleurs entamé un dialogue avec la Galice et, en février dernier, a donné une grande tournée dans toute l'Espagne. «J'étais très étonné de voir de très jeunes garçons de Madrid ou Vigo s'intéresser au uilleann pipe. Et aujourd'hui en Irlande, on n'a jamais autant joué de cet instrument qui a failli disparaître il y a une cinquantaine d'années, du fait de l'émigration. Aujourd'hui, plus personne ne vient me demander quel est l'instrument bizarre dont je tire ces sons étranges, comme c'était le cas il y a encore quinze ans.» Son plus récent album («The Given Note», 1995) comporte d'ailleurs trois danses galiciennes jouées avec le groupe Milladoiro.
La période la plus sombre
Il faut dire que Liam O'Flynn a hérité son art en droite ligne d'une tradition qui remonte au XVIIe siècle. Il accorde peu de crédit à la légende selon laquelle le uilleann pipes serait une manière, pour les Irlandais, de détourner l'interdiction de jouer debout de la cornemuse. Pour lui, la cornemuse de salon est, dans son ultime raffinement, le fruit d'une série de perfectionnements. «Vers 1750, des facteurs ont réalisé des améliorations au niveau des anches du «chanter» (chalumeau) qui ont permis d'ajouter un second octave. Mais l'histoire du uilleann pipes est une histoire non écrite dont les héros sont des inconnus. Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que cet instrument trouve sa forme définitive pendant la période la plus sombre de l'Irlande.»
L'ancien piper de Planxty, le groupe qui popularisa le son de la cornemuse irlandaise, est d'abord un flûtiste. Il commence à pratiquer le pipes à l'âge de 12 ans, et rencontre Leo Rowsome (1903-1970), l'un des plus grands pipers du siècle. «Quand j'ai entendu le son du uilleann pipes pour la première fois, cela a été un grand moment d'émotion, j'ai su que c'était l'instrument dont je devais jouer.» Leo Rowsome était piper, luthier et professeur, «trois personnes en une seule à ma disposition». Son autre maître sera Seamis Ennis. L'un et l'autre légueront à Liam leurs instruments, dont il joue toujours en concert. La transmission d'une tradition, Liam O'Flynn a une certaine idée de ce que cela veut dire.
Daniel MORVAN.
Liam O'Flynn: «The Given Note», Tara/Keltia Musique, 1995.
mercredi 26 avril 2017
Musique celtique. Un jour, Tracey Shiels est revenue
Tracey Shiels, c'était un peu Ingrid Caven, version nettoyeuse de fest-noz, c'était la Gelsomina de La Strada, mode pub dublinois. Avec un côté cabaret allemand, bodhran ou tambourin en main, elle savait faire tourner un concert à la transe. Les Sons of the Desert (un nom tiré d'un vieux film de Laurel et Hardy, où il est question d'une secte de buveurs) avaient fini par mettre la cabane déglinguée sur le bodhran malade.
La mandoline effervescente d'Ewan Shiels, le compositeur, avait laissé au clou sa clef de sol. Adieu l'Ennio Morricone des rades d'Armorique, le Frank Zappa des fish & chips bretons, le Stan Laurel des bars à sciure. On s'était dit que c'était peut-être ça la vie : des gens formidables qui disparaissent.
Et puis non. Les revoici, décalfeutrés de leur chaumière de brousse trégoroise, droits sortis d'un western kig-ha-farz pour réapparaître au coeur de l'Auvergne, dans un village de la forêt de Dreuille. Ces Gaëls avaient seulement attendu que meurent les yodleurs de télé-crochet pour faire revenir leur petit cirque de puces. L'espièglerie est intacte, la mandoline et le saz (guitare turque) toujours aussi délirants, Tracey toujours aussi pétillante, éternelle Gelsomina des chemins qui vont au milieu de la mer, dans un groupe qui s'appelle The Shiels.
- Les dimanches matin devant le bar, petit marché de produits locaux et artisanaux.
À proximité (2 km) du plan d'eau de Vieure et de la forêt de Dreuille.
samedi 22 avril 2017
Thierry Pillon, révélateur de voix (archive)
Sophie, élève de la Haute école de musique (Hemu) de Lausanne, a profité de la master class. Thierry Pillon est réputé comme l'un des meilleurs coaches vocaux, en raison d'une technique conjuguant travail de la voix et jeu scénique. Sophie fait un signe au pianiste et entame l'air célèbre de Mignon. Voix magnifique, qu'on imagine bien sur une scène d'opéra, malgré la jeunesse de l'élève.
Thierry Pillon salue sa richesse vocale et indique ses directions de travail : renforcer l'expression et les intentions de jeu. « Ton corps résiste encore un peu : sur les « oui » de Titania, si tu ajoutes un geste, si tu ouvres les bras, la voix sera plus ronde. Il faut ouvrir ce corps à fond, ce qui en sort est tellement beau ! »
Les recommandations sont chaleureuses et le professeur accompagne du geste, réalisant un véritable accouchement de la voix, une maïeutique sonore qui fait merveille. « Je suis Titania la blonde » est tellement plus Titania après cette analyse du texte, de la ligne mélodique et de sa courbe naturelle.
Une dimension très physique
Une pause ? Oui, une pause : ils sont en nage comme s'ils sortaient d'une salle de gymnastique. « Les gens sont souvent étonnés de cette dimension très physique, remarque Thierry Pillon, au troisième et dernier jour de sa master class, hier, au Passage Sainte-Croix. C'est l'objet de cette master class, montrer au public ce qu'est le travail de la voix et du texte. Cela donne aussi des clefs de lecture pour mieux entendre un chanteur d'opéra. »
L'originalité de cet enseignement est qu'il conjugue deux compétences distinctes, celle de chanteur et de comédien, en s'appuyant sur les techniques oratoires. « Souvent, indique Thierry Pillon, les comédiens ignorent le chant et les chanteurs ne connaissent pas les règles du phrasé, qui sont la clef pour exprimer le sentiment. Mieux on comprend le texte, plus on est expressif dans son chant : les yeux s'ouvrent, la bouche tremble presque, le corps se met au diapason de l'émotion du texte. C'est une forme de dépassement de soi. »
Une belle introduction au chant comme art, technique, discipline physique et analyse des émotions recelées par les textes. Et un préambule au cinquième festival des Art'Scènes, du 11 septembre au 15 octobre. Avec les chanteuses Stéphanie d'Oustrac (vue au théâtre Graslin en Mélisande), la mezzo-soprano suisse Brigitte Balleys et le comédien Jean-Yves Ruf. Cette édition, centrée sur les consonances espagnoles et latino-américaines, se déroulera dans des lieux divers, avec un grand concert au palais de justice : cette diversité des lieux a installé les Arts'Scènes dans le paysage lyrique de Nantes.
Regarder la vidéo
sur ouestfrance.fr/nantes
Roberto Alagna, rossignol de nos amours (archive 2013)
Roberto Alagna, ténor, en concert au Zénith à Noël 2013.
Vous êtes booké au Met de New York pour Tosca, à Covent Garden pour Carmen, à Bastille pour Werther et à Orange pour Othello... Pousser la chansonnette, c'est vraiment sérieux pour une star comme vous ?
Mais ce sont mes racines ! J'ai commencé par le cabaret. J'y composais des chansons. Mon ADN est à 90 % opéra, mais les 10 % qui restent, c'est une autre facette. Ce sont mes débuts populaires.
Pour chanter l'opéra, il faut un système nerveux de fer. Là, je m'offre une bouffée d'oxygène, mais c'est tout de même un show de trois heures avec beaucoup d'improvisation. Ça me change et me donne une énergie nouvelle.
C'est une sorte de thérapie avec le public. Je raconte beaucoup de moi-même à travers les chansons. Mes amis savent lire entre les lignes. Ainsi, Ma fille de Reggiani raconte un peu mon chagrin de voir ma grande fille Ornella grandir et s'envoler. Avec le temps, de Ferré, ça parle aussi de ma peur de perdre ma voix.
Où avez-vous puisé cette double inspiration ?
Dans ma famille, tout le monde est chanteur. Du côté de ma mère, il y a beaucoup de ténors, et mon père, c'est la fibre populaire.
Les deux registres se nourrissent-ils mutuellement ?
À l'opéra, j'ai apporté la proximité et le naturel, la sincérité, le côté abordable et une diction plus moderne dans le chant français.
À la chanson populaire, j'apporte une voix éduquée et un peu caméléon, qui respecte l'original, avec un phrasé qui ne dénature pas.
Et avec le temps, comment voyez-vous votre carrière ?
Quand je pense à moi à 17 ans, je sais qu'aujourd'hui, je ne suis plus du tout ce garçon-là. Tout a changé mais j'ai tous mes souvenirs en tête. Je sais qu'à 50 ans on ne voit pas les choses comme on se l'imaginait les voir quand on serait plus vieux.
La vie est passée par là. Ma première épouse a été foudroyée par une tumeur au cerveau. J'ai été veuf à 30 ans, j'ai eu peur pour tous ceux que j'aime.
Aujourd'hui, je démarre une nouvelle vie avec une nouvelle compagne [la soprano Aleksandra Kurzak, NDLR]. Je vais être papa en février. C'est si beau, ça me donne envie de croquer la vie, de bâtir des projets. C'est formidable.
Votre vie est un vrai opéra. Quel titre lui donneriez-vous ?
Peut-être Un chemin de voix, ou Un chemin, deux voix. Car sans cette voix, je ne serais rien. Je serais un homme inconsistant, transparent. La voix, vous ne l'avez pas : on vous la prête et on vous la reprend. Plus vous la respectez, plus elle vous restera. Je la traite comme un enfant en la dorlotant, la réchauffant, la ménageant.
Dialogues des Carmélites, la voix des martyres
Quelle est l'histoire des Dialogues des Carmélites ?
Pourquoi les Dialogues sont-ils considérés comme l'un des plus grands opéras de tous les temps ? Parce qu'ils évoquent la terreur de la mort ?
C'est votre première mise en scène puisqu'à l'origine vous êtes chanteuse d'opéra. Qu'apportez-vous de neuf ? Votre direction d'acteur ?
Il pleut sur Nantes, baisers de Mayotte
C'est beau, c'est intime, c'est dépressif.
Sur le Pont du Titanic le tissu des transats bat à vide comme dans un roman de Marguerite Duras. Ce charmant belvédère regarde tristement vers la rive droite Dieu que c'est triste et moche un escorteur d'escadre dans le port de Nantes. Le Pélican, alias Simon La pluie a contraint les organisateurs de Musiques sur l'Ile à retarder les concerts. Une pluie qu'on connaît bien, maintenant, qui vous arrive sur le paletot quand vous ne l'avez plus. Les premiers spectateurs désoeuvrés traînent d'un rhum à l'autre, d'un nozy bé à un bois bandé, sans conviction. Elle a raison, Barbara, c'est quand il pleut sur Nantes qu'il faut se prendre par la main. Et puis Flora la florifère passe par là : ' Dis, tu connais le Pélican ? ' Confus, tu feuillettes ton programme. Le Pélican, c'est Simon Nwambeben. Un peu comme quand on dit ' le nain jaune ' pour Youenn Le Bihan ou ' la cantatrice chauve ' pour... (hum, mieux vaut ne pas dire qui).
Epatant, le pélican. L'oiseau a la réputation de s'arracher sa propre substance pour nourrir ses petits, et c'est un peu ce que fait Simon, sur la scène de la Loire. Une scène en étrave, où les musiciens jouent pour une centaine de personnes. Mais la grosse affaire du début de soirée, c'était Baco. Sur le quai, on était 25 à l'attendre, le Baco. Le temps de causer avec deux mignonnes dames fans d'afro qui ont pris leur ' pass'' et commentent. ' Par contre, on croyait avoir du méringué avec les Dominicains, mais quand je l'ai vu arriver avec son grand pantalon baggy, j'ai compris qu'il y avait maldonne. C'est dommage parce que le méringué, c'est tout de même plus dominicain que le rap. '
Pour le reste, Marie-Claude a pris son plaisir : pas vu Salvador (il était hors ' pass quatre jours '), mais adoré Touré Touré, Massilia Sound System, ses décibels et sa farandole, moins aimé Cheb Mami. Deux choristes belles s'approchent de leurs pupitres, une basse six-cordes chauffe dans les soutes, une monstrueuse machine à rythme se met en place. Baco prend les commandes, et maintenant, on s'en fiche de la météo nantaise. Bons baisers de Mayotte.
Daniel MORVAN.
jeudi 23 mars 2017
Punk is dead: Il y a 40 ans, Eudeline allumait sa mèche
Le punk a 40 ans, et plus toutes ses dents. Pour rendre compte de ce mouvement musico-social, Stereolux sort le grand jeu : expo, films et concerts. Invité spécial, une figure du punk français, Patrick Eudeline.
Entretien
Patrick Eudeline, écrivain.
Vous souvenez-vous des années punk ?
« Ceux qui y étaient ne peuvent pas s’en souvenir », vous connaissez la phrase célèbre. Mais j’étais bel et bien là, cette année 1976 qui vu naître le punk. Je suis même le seul survivant du groupe Asphalt Jungle, l’un des premiers groupes punks français. Vous savez, en France cela n’a duré qu’un an, un an et demi maximum. Du moins avions-nous le sentiment aigu de vivre un moment bref, mais dont on parlerait très longtemps. Et le slogan de l’époque : No future ! reste valable aujourd’hui.
No future, ça voulait dire quoi en français ?
Ça voulait dire la même chose que partout : le rêve hippie était fini. Adieu l’âge du Verseau, le bonheur éternel et toutes ces fadaises de babas cool. Dream is over, disait Lennon : le rêve est terminé. Le punk est venu clore le cycle des années 50, la prospérité, les trente glorieuses…
Et vous, Eudeline, qu’est-ce qui a clashé en vous ?
J’étais un petit-bourgeois parisien, et j’ai rencontré le rock vers 12 ans. Les choses sont allées très vite : j’ai découvert les écrivains décadents français, les Huysmans, Villiers de l’Isle Adam, tout explosait : à 19 ans, j’ai rencontré William Burroughs, croisé Blondie dans le métro. J’ai écrit dans le magazine Best, vu et écrit sur Lou Reed et le Velvet Underground, les Flamin’ Groovies, les Sex Pistols. C’était incandescent.
Vous aviez le temps de regarder la France, à l’époque ? Et Paris ?
Nous étions les derniers des Mohicans dans cette France profonde. Mais Paris, Paris… Les Kinks, c’est Londres, et le Velvet Underground, c’est New York. Paris était ma ville, plus dangereuse qu’aujourd’hui mais plus belle. Pas de gauche caviard ni de bobos à l’époque, on avait encore les loyers de 1948, pas chers. Les punks, ont relancé le Marais, Belleville et le 14e arrondissement. C’est le boulot des artistes, de porter une vision sociale et de faire aimer les parties mal aimées d’une ville.
Ça ressemblait à quoi, un punk français de l’époque ?
Ça ressemblait à un punk mais en plus fort : nous avions les cheveux plus dressés que Sid Vicious, le cuir plus clouté que les New York Dolls, les jean’s plus déchirés qu’Iggy Pop. Tout ça grâce à Vivienne Westwood, cette styliste anglaise qui piquait ses idées dans la rue. Quand on a vu apparaître les épingles à nourrice en or, on a su que c’était mort.
Vos influences profondes, c’était qui ? Les Stones ou Françoise Hardy ?
Hardy, bien sûr. Les Stones n’étaient déjà plus de ce monde, rien qu’une machine commerciale, après leur dernier bel effort d’Exile on the main street (album de 1973). Nous avions une tendresse infinie pour Serge Gainsbourg, Polnareff et Hardy. On les reprenait sur scène, à contre-courant de la tendance qui consistait à dénigrer la langue française.
Vos idoles d’alors le sont toujours ?
À l’époque, on s’est tous pris le premier album des Clash en pleine gueule, c’est le plus fort. Strummer était l’icône de la révolte anti-Thatcher, du combat sandiniste. Mais notre Maître à tous est Paul McCartney. Plus grand que Dylan et tous les autres.
Comme lui, vous observez une stricte hygiène de vie ?
J’ai stoppé les drogues, et moins d’alcool. Autre question ?
Quelques conseils diététiques pour nos lecteurs ?
À l’époque, nous étions tous fast-food, on mangeait n’importe quoi. Aujourd’hui, beaucoup de punks sont vegan. Je suis seulement végétarien, mais de stricte obédience.
Recueilli par Daniel Morvan.
Samedi 25 mars à 16 h, table ronde : Tranches de vies, London-Paris 1976-1978, deux histoires punk, avec Patrick Eudeline et bruno Blum. Stereolux maxi, entrée libre et gratuite. Stereolux, 4 bd Léon Bureau, Nantes.
Du 23 au 29 mars, Fils de punk 1977-2017 : expos, concerts, projections, ateliers. Programme : www.stereolux.org
lundi 13 février 2017
La guitare contre le cœur, comme un poignard
Il a le saut de l'ange un peu lourd. Le stage diving depuis la scène se termine en sortie de piste et l'une des groupies du premier rang se prend une rangers dans l'orbite. Tout cela ressemblerait à un samedi soir comme les autres aux confins de la terre. Sauf que ce bout de terre contient Dolly. Lui appartient.
Retour de Dolly dans ses pénates, après une tournée qui a fait du quatuor de Naoned le groupe rock de l'année, avec Louise Attaque. Parmi les centaines de groupes français capables d'en faire autant, Dolly a fabriqué le son de 1997. Un peu de Nirvana, un peu de Niagara. Dolly, c'est chaud et froid, omelette norvégienne. Fusion d'une blonde prophétique et de guitaristes kamikazes.
Les paroles ? Charriées, stroboscopées, criblées en bouillie, hormis un réjouissant «tanké dans le vert» qu'on doit à Jean Fauque. Et bien sûr le titre « Je ne veux pas rester sage » élevé par les fans à l'indignité d'hymne national.
Chez Dolly, tout est dans la tenue des guitares. Dos cassé, le bassiste cale la sienne sur les rotules, faisant ronfler les gros ampli Fender du gras du pouce. Le guitariste tire de sa six-cordes de maladives aurores drapées de sons fuzzés, passant des vibratos hébétés aux sifflements de 747 en tour de chauffe qui laissent pantelantes les enceintes de l'Olympic. Si chez Dolly quelqu'un s'enroule sur le manche (comme on l'a vu oser l'écrire), c'est lui le grateux, surfer lové dans le tube du son. Surplombant ce précipice sonore, Manu, la Manu en robe rouge. Icône rock, madone des flippés fascinés par son oeil, ciel limpide où germent des ouragans. Elle porte sa guitare sur le cœur, comme un poignard. La fille aux yeux pers gifle l'air de ses nattes blondes comme l'une de ces gorgones pétrifiantes de la mythologie grecque.
quelques années plus tard, on retrouvait Manu pour cette interview - tutoyée comme il se doit.
Emmanuelle Monet, « Manu ».
Après une longue période sans jouer, la scène te manque-t-elle ?
Deux ans sans jouer à part quelques dates, ça me manquait énormément. Le besoin de scène s'apparente presque à une déprime. Je finis par me demander si ça vaut encore la peine... Je ne sais pas faire grand-chose d'autre, je n'aime pas voyager, mes vacances, c'est le concert. Oublions, bien sûr, l'horrible quart d'heure de trac avant de monter en scène !
Et sur scène, aimes-tu retrouver le jeu de la fascination et le look rock qui tue, comme du temps de Dolly ?
Question look, on m'a assez critiquée là-dessus dans le passé, mais maintenant je me maquille et je suis très bien entourée de mes musiciens Nirox, Shanka et Ben ! Pour le reste, je ne suis pas la reine de la blague, mais j'aime bien aussi que ça rigole, un mélange de sourire et d'émotion. Et puis Snoïze me fait toujours de très beaux shows lumière, sans aller jusqu'à la cinéscénie d'Eurodisney. La chanson pour Mika, par exemple, est un moment très intense...
Même les rockeuses ont le blues ? Votre premier album, après la mort de votre bassiste Mika en 2005, vous a-t-il aidée à le surmonter ?
Tout s'est écroulé d'un coup, Dolly sortait d'une décennie de succès, symbolisée par notre tube « Je n'veux pas rester sage ». À la mort de Mika, il m'est arrivé ce qui se passe quand on perd tout : je me suis séparée, le groupe s'est arrêté, j'ai eu droit au filet garni d'épreuves. Une belle montagne à soulever... C'est la musique qui m'a sauvée. J'ai mis tout ça dans l'album précédent, Rendez-vous, suivi d'une tournée et d'un album live. Le second disque qui sort est tourné vers les autres, j'ai encore des choses à dire... Une dernière étoile brille.
Comment avez-vous écrit ce second album de chanson rock édité sous votre propre label, La dernière étoile ?
Je suis sortie de ma position autocentrée. J'ai observé les gens et j'ai pris beaucoup de notes, oui, comme un reporter qui regarde. Je pense avoir progressé dans l'écriture. Mes titres chouchous ? « J'attends l'heure » (écrit sur une maison de retraite) et « La dernière étoile ». La tournée qui s'engage est une présentation de l'album, une tournée plus conséquente devrait s'ensuivre. Je chanterai les deux albums, avec des surprises et des inédits de Dolly. Je crois que cette fois, je vais rechanter « Je n'veux pas rester sage ». J'en suis maintenant à nouveau capable.
vendredi 3 février 2017
La folle journée: Voyage dans un monde timbré
C’est timbré, la musique. Le timbre, c’est la vie du son, l’épaisseur de l’instrument, ce mélange de spectre, de vibrato, de son, de charnu, de boisé, de subtil, un truc indéfinissable. Prenez ce bête triangle, oui, celui de l’Orchestre national de Lettonie. Ne vous égarez pas dans la blondeur et la rousseur des violonistes, oubliez le pont des soupirs et concentrez-vous sur ce triangle. Si fascinant : la pièce la plus petite de l’orchestre, et pourtant… Andris Poga, le chef, a mené la répétition à l’arraché. On révise les raccords, on vérifie le velouté de la clarinette dans le beau tango d’Arturs Maskats, et roulez jeunesse. Ce concert va vous brouiller avec vos repères, mix de Venise (les chevelures), de Budapest (les danses hongroises) et de Buenos Aires. Baladés de Riga à Venise, vous n’aurez bientôt plus qu’un point d’ancrage : le son bien timbré du triangle qui traverse l’auditorium jusqu’à votre tympan. Imperceptible, minuscule, et pourtant, comme il porte la mélodie loin, cet accent aigu !
Avec le quatuor de percussions Esegesi, c’est un autre royaume. Quarante-cinq minutes de batterie : autant dire émotion zéro ? Pas si vite ! Un festival de timbres, là aussi, entre woodblocks, casseroles, chaudrons, marimbas, toms basses, bols tibétains. Partitions de Xenakis, Reich ou Nystedt, le public entassé dans le Lieu unique ne pipe mot : aucun doute, taper comme des dingues sur des tambours, ça peut faire vibrer la fibre humaine aussi.
Ce parcours se terminait sur la Music For Eighteen Musicians de Steve Reich. C’est un peu la Messe en si du minimalisme. Une merveille du XXe siècle, une heure d’immersion dans la rêverie lointaine des années 1970. Un orchestre beau comme le Chrysler Building : quatre pianos à queue, quatre xylophones, métallophones ou marimbas, un violon, un violoncelle, quatre choristes, et deux clarinettes basses qui rebrassent l’incroyable pâte sonore et vous transportent dans d’autres mondes. Par son ampleur et sa puissance, cette œuvre a fait disparaître la notion de « minimalisme » au profit de quelque chose de plus fort, de plus fou. Nous étions partis. En Inde, en Afrique, dans un continent inexploré, dont les timbres dessinaient la carte.
Daniel Morvan
Jérôme Fouquet |
mercredi 19 octobre 2016
Trois raisons d’aller écouter Leyla McCalla
Photo Sarrah Danziger |
1. Magie du folk créole
Bayou louisianais, folklore haïtien, formation classique : le secret de Leyla McCalla est cette triple distillation des sources musicales. Débuts confidentiels au seul des Carolina Chocolate Drops. Violoncelliste de formation, elle quitte New York pour La Nouvelle-Orléans. Alors seule dans les rues de Crescent City, elle joue des suites de Bach.
2. Poésie des origines
C’est dans la rue que la jeune Haïtienne concocte son nouveau son, en chantant les poèmes de Langston Hughes (1902-1967), leader de la Harlem Renaissance.
3. Beauté superscénique
Illuminant ces poèmes de folk et blues, elle se produit sur scène avec violoncelle, banjo et pedal steel guitar. Découverte à Jazz sous les pommiers, après un rodage parisien, elle s’offre même un mini-tube blues, A Day For the Hunter, a Day for the Prey, extrait de l’album qui porte le même nom.
Mardi 22 novembre à 21 h. 20 €/18 €. Salle Paul-Fort, 9, rue Basse Porte, 44 000 Nantes.
T. 02 51 72 10 10
lundi 20 juin 2016
Scopitone 2016: la scène européenne et féminine en tête
scopitone.org
mercredi 8 juin 2016
Beach House: dans la famille Legrand, la nièce
Victoria Legrand (Beach House) © DR |
S'il y avait un malentendu sur Beach House, groupe pour hipsters, il est levé. Au lugubre carrefour Stereolux, ce lundi 6 juin 2016, on avait peut-être encore dans les oreilles le son des albums : tempo mou, phrasé vaporeux et impression que le même morceau se répète de plage en plage comme quand on vous a oublié en salle de réveil, parce que tout le monde est parti. La surprise est d’autant plus grande que l’image trahit le son : mêmes coulis de guitares cassis et de claviers comme sur la radio-réveil Casio des années Dominique A, mais ne cherchez pas les palmiers en plastique, même ça vous sera refusé: le groupe de dreampop s’est transformé en quatuor séquestré par des skins en manque. Le rêve (si le mot a un sens) est toujours présent dans cette voix qui voudrait s’envoler, et Victoria Legrand n’est pas pour rien la nièce de Michel. La couleur dominante est le noir, le noir Stephen King de Misery, le noir Michel Ange. Une touffeur de cave à charbon dévastée par des drone suicide, dans laquelle Beach House enracine ses boucles, sous les franges obscures d'une pénombre rebelle. Il s’en faut d’un cheveu que cette pop ne bascule dans le tragique, du côté de Nico : musique de rêve, oui. Mais de ces rêves montent des visions intenses, torturées, terminales, qui ne sont pas pour les hipsters.
lundi 7 mars 2016
20 questions impertinentes sur la musique
photo marc ollivier |
Un violoncelle, c’est un gros violon ?
Oui, ces deux instruments sont de la même famille des cordes. En gros, ça grince et ça va du plus aigu au plus grave. En dessous, il y a la contrebasse.
Pourquoi ne peut-on pas applaudir entre les mouvements ?
Le mélomane bien élevé n’applaudit qu’à la fin, et pas entre ou pendant les mouvements. Encore faut-il les repérer. Mais en Italie, c’est chic d’applaudir le soliste après un air réussi.
Un chef-d’œuvre, c’est quoi ?
Ce n’est pas forcément marqué dessus, mais un chef-d’œuvre est ce qui traverse le temps et dépasse son époque. Un chef-d’œuvre rompt avec le passé. Debussy invente un nouveau langage.
Musicien pas connu = pas bon ?
Erreur. Si c’était vrai, Patrick Sébastien (auteur des Sardines) serait plus fort que Schubert (et sa pauvre Truite).
Tous les compositeurs sont-ils morts ?
Non, ils sont nombreux à continuer de composer. Tout ne s’est pas arrêté après Beethoven et Verdi. Boulez fut, avant sa mort, un contemporain.
Sans la pub, ils n’auraient rien fait ?
On entend dire que Mozart a copié la musique de la pub des yaourts La Laitière. Rétablissons la vérité : La Flûte enchantée, œuvre de Mozart, existait avant. Et celui qui a fait la pub Opium n’est pas davantage l’auteur du Requiem de Mozart.
Le rythme, c’est quoi ?
Un phénomène qui se répète. Mais le principe du rythme est qu’il est irrégulier, comme les vagues. Contrairement à la pulsation, qui elle est régulière.
Baroque, c’est du classique ?
Le classique n’est qu’une des époques de l’histoire de la musique. Les voici : Moyen Âge (époque du musicien Guillaume de Machaut). Renaissance (Clément Janequin). Baroque (Vivaldi, Bach). Classique (Mozart, Haydn). Romantique (Beethoven, Verdi, Bizet). Moderne (Debussy, Ravel). Contemporain (Boulez, Dusapin).
Les musiciens sont-ils payés ?
Oui, c’est un métier, avec convention collective et grille des salaires. On peut d’ailleurs en vivre, même si on n'est pas connu.
C'est bien connu: les musiciens n'ont pas de vie privée ?
C’est sans doute un métier prenant, mais cela n’empêche pas les jeunes violonistes, hautboïstes et harpistes d'avoir une vraie vie, de tomber amoureux, de faire du shopping et d’avoir une vie de famille.
La musique, c’est de la chanson ?
Toute musique n’est pas chanson : pour faire une chanson, il faut un texte.
Le style, c’est le genre ?
Justement non. Le style est lié à une époque, le genre, lui, voyage dans le temps. Vivaldi est un musicien de style baroque, qui écrit dans le genre concerto.
Toutes les femmes sont-elles soprano ?
Non, et tous les ténors ne sont pas des castrats.
Boulez, vous écoutez ça chez vous ?
La musique n’est pas uniquement d’agrément. Le « Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima », de Penderecki, ça ne se fredonne pas : c’est une musique pour ne pas oublier le cataclysme de l’arme atomique.
Delpech, aussi fort que Boulez ?
L’un et l’autre sont bons dans leur domaine. Comparaison : Boulez, c’est le roi du fleuret, Delpech, l’as de la pétanque.
Chœur et chorale, quelle différence ?
Le chœur désigne un ensemble de choristes professionnels (chœur d’opéra) ou de haut niveau. La chorale, elle, désigne simplement une formation d’amateurs réunis autour de l’amour du chant.
Music ou musique ?
Tendance forte : angliciser musique en music. Mais en français, l’art d’assembler les sons s’écrit toujours musique.
Symphonie, concerto, c’est pareil ?
Concerto vient de « concertare », qui veut dire « converser ». Désigne donc le dialogue entre un soliste et un orchestre. Symphonie est une œuvre orchestrale complexe, constituée de plusieurs mouvements sur des tempos différents. Mais rien n’est simple, Mahler utilise des voix solistes.
Un opéra, c’est quoi ?
Une pièce de théâtre pour voix non amplifiées.
Pourquoi font-ils de drôles de têtes ?
On rit parfois des mimiques des chanteurs lyriques, leur côté « cul-de-poule ». La prouesse technique passe avant le look : au moment du penalty, le buteur ne pense pas trop à sa trombine. Mais ça se perd: à l’opéra, ils sont mignons tout le temps, même dans les passages difficiles.