samedi 6 avril 2019

Les bonheurs poétiques de Magali Brazil (2003)

Magali Brazil © samoa


 Archive. Magali Brazil, directrice de la Maison de la poésie à Nantes : la poésie comme moyen d'ouvrir l'existence à plus d'intensité. Ses bonheurs de lecture révèlent un goût très sûr: Autant de prescriptions à suivre!
 
« La poésie se porte bien. » Magali Brazil ouvre le dernier numéro de « Gare Maritime » (1), tout frais sorti des presses. La revue de la Maison de la poésie, qu'elle dirige, réunit sur un disque une sélection des meilleurs moments des lectures publiques. Un florilège capté au Pannonica au cours de l'année 2002, et qui donne une idée de l'activité poétique à Nantes : 23 auteurs, parfois à mi-chemin entre jazz et poème, ont dit leurs textes. Des poètes reconnus comme James Sacré, Jacques Roubaud ou André Velter. Des auteurs de la jeune génération comme Sabine Macher. Il y a cinq ans, ces rencontres rassemblaient une vingtaine de spectateurs. Aujourd'hui, ils sont une cinquantaine à se retrouver au Pannonica.
Magali Brazil a découvert la poésie par l'édition, après avoir suivi la formation Pro Libris du Cecofop de Nantes. « J'aimais l'esprit petit éditeur typographe. J'ai travaillé aux éditions Cénomane, puis au service manuscrits des éditions du Rocher. Là, j'ai découvert le versant kafkaïen de l'édition, quand on sait que pour 15 manuscrits reçus chaque jour, un seul sera retenu pour toute l'année. » 
Un sur 5 000. Le reste relevant des logiques de réseaux, de l'ancrage sociologique de l'auteur... En poésie aussi ? « C'est très différent ! L'éditeur joue un rôle de découvreur, s'appuie sur le travail des revues. On ne publie pas seulement un livre, mais une œuvre et un auteur. Le Printemps des poètes est une façon de montrer tout ce travail souterrain. De montrer que tout le monde peut avoir accès à l'émotion poétique. La poésie s'adresse aux individus, pas aux masses. Elle suppose effort et patience, à contre-courant des modes et des habitudes médiatiques. »
Ce qui caractérise l'époque est le retour à l'oral et un goût certain pour la présence, la performance d'auteur. On aime une poésie qui rende un « son neuf » en restant audible (comme le dit le poète Jean-Claude Pinson). Et au-delà des clivages d'écoles, entre formalistes et lyriques, hermétiques, expérimentaux ou tenant d'une parole « ordinaire », chacun peut y trouver son bonheur. 
Magali Brazil nous confie le sien.

Ses coups de coeur: Rouzeau,
Fourcade, Biga, Venaille, Sacré

Valérie Rouzeau : « Pas revoir ». Personne ne la connaissait lorsqu'elle publia ce livre, où elle faisait le deuil de son père. Magali Brazil a été saisie par son émotion sensible à fleur de syntaxe, allant jusqu'au babil, au bord des larmes. Elle n'a pas été la seule puisque ce livre fut épuisé au bout d'un an, puis imprimé, réimprimé à 10 000 exemplaires. Valérie Rouzeau (née en 1967, elle est aussi traductrice, en particulier de Sylvia Plath) est désormais une voix majeure de la poésie française contemporaine. « Enfant dans les grands sapins verts/c'était toi qui sifflais soufflais enfant/dans les grands sapins blancs. » éd. Du Dé Bleu, 1999.
 
Dominique Fourcade : « Est-ce que j'peux placer un mot ? » Voici l'un de ces poètes revigorants de la nouvelle génération, peu soucieux de s'insérer dans une chapelle. Ce livre, explique Magali Brazil, « est important pour tous ceux qui s'interrogent sur la place du langage dans la construction de soi ». Il est en effet construit comme un va-et-vient entre tous les refrains de l'enfance où l'auteur demande s'il peut être au monde, et par quelle méthode, si elle existe. « Je suis un handicapé profond dans un brouillard de lavande. » Éd. POL, 2002.

Daniel Biga : « L'Afrique est en nous ». Un poète proche de la Beat Generation, connu pour son recueil : « Les poètes ne cotisent pas à la Sécurité sociale ». « Une explosion verbale et un regard acide sur la culture de masse, son manque d'authenticité. » Biga (le Nantais est né en 1940 à Nice) écrit pour un « retour à la Poévie, voix vibrant du dessus des décombres, des gravats et des menaces de ce temps ». Aux éditions l'Amourier, 1999.


Franck Venaille : « La descente de l'Escaut ». Ce livre de poète marcheur est devenu un classique, après avoir été couronné par le prix Mallarmé en 1995. « Le fleuve semble avoir un cours régulier. Il impose son rythme, sa dimension, sa profondeur. Je le crois très indépendant d'humeur. C'est sans âge. Cela aime éloigné de tout. C'est toujours là. Ça ne risque guère de changer de place. C'est ça la vérité. » Éd. Obsidiane, épuisé (disponible dans le recueil « Capitale de l'angoisse animale », Obsidiane/Le temps qu'il fait).


James Sacré : La poésie, comment dire ? » À mille lieues du mysticisme, du post-romantisme, James Sacré atteint dans son écriture la dimension du chant par le recours aux façons de dire de sa Vendée natale (il est né en 1939 à Cougou). Une poésie qui use savamment et subtilement des parlers populaires pour nous ramener dans un quotidien démaniéré et profondément émouvant. « Il explique que la poésie est partout dans l'attention à la vie. » Aux éditions André Dimanche/Ryoan Ji. Sans oublier "Une fin d'après-midi à Marrakech" (Ryoan Ji).


(1) Gare Maritime 2003, revue de la Maison de la poésie. 84 pages, avec CD, 15 €. Maison de la poésie, 35 rue de l'Héronnière 44000 Nantes. Tél. 02 40 69 22 32.


mercredi‎ ‎12‎ ‎mars‎ ‎2003
1262 mots
Daniel Morvan