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jeudi 10 janvier 2019

Le beau style contre l'épaisseur des murs

Pourquoi des poètes? Parce que les prisons © YLM Picture

Issues (création théâtrale proposée en janvier au TU Nantes) n'est sans doute pas un texte sur la prison, mais la prison en est le pré-texte: la pièce de Samuel Gallet a pour cadre exclusif un centre pénitentiaire. En prison! "Quel est le sabre effilé qu'on ne place pas dans son fourreau?" interrogerait un poète arabe. Le sabre ne demande qu'à être brandi. Mais par qui? Le voici, ce défourailleur, cet extraterrestre: un animateur d'atelier d'écriture. La poésie et la prison sont liés par un lien substantiel, celui de la captivité heureuse, de Stendhal à Genet, sans oublier Verlaine. Pourquoi des poètes? Parce que les prisons. 
L'amour du verbe contre l'épaisseur des murs. Pourtant il ne sera pas ici question de poésie dans les fers, ni d'une éclosion lyrique acceptant le cadre imposé, mais plutôt d'une expérience d'effraction, d'une transgression génératrice de sens. 
La première partie de la pièce, très rythmée, décrit l'affrontement des deux univers: celui des prisonniers, pour qui les mots sont rares, violents, et celui de l'animateur qui a lu Kerouac, et qui assure qu'il suffit de libérer les mots, de découper les signifiants et de les recoller au hasard pour qu'un sens profond en surgisse. Il leur explique les libres associations, les techniques destinées à tromper la censure, comme le "cut-up" des poètes beatniks. Cette première partie, séquencée, pédagogique, se suit aisément avant la longue mise en orbite qui suit.
L'univers carcéral est évoqué dans une scénographie maîtrisée, qui oppose l'espace de l'atelier, havre de culture dans un univers âpre, et le reste de la prison évoquée par les sons "off". La fiction se débloque par l'évocation des femmes, et sur l'idée farfelue de travailler sur le Lystrata d'Aristophane, qui met en scène la grève du sexe menée par des femmes pour obtenir la paix.
Un rebelle déjanté, joué par Nicolas Richard, propose d'inverser le propos. L'idée est un peu tordue, mais les trois comédiens apprentis écrivains (Giuseppe Molino, Denis Monjanel et Gilles Gelgon) acceptent d'incarner des femmes qui refusent cette grève. Cette prise du pouvoir littéraire par trois détenus est l'idée centrale de la pièce, théâtre dans le théâtre. Les prisonniers deviennent performeurs et se laissent emporter sur une histoire de flingues, de virée en bagnole et de méchoui. 
Soudain, ils se trouvent devant une partition vierge, et improvisent une dramaturgie free style au bout de laquelle, peut-être, nés de leurs propres fables, ils seront d'autres hommes? Si l'on manque de la patience nécessaire au métier de spectateur, on peut trouver que l'exercice épuise ses charmes en s'étirant, se privant de la concision qui faisait la force de l'acte d'exposition.
Hors cette réserve, on admire cette urgence précise avec laquelle la percée théâtrale des trois comédiens et martyrs est conduite par Simon Le Moullec, avec ses comédiens très convaincants qui jouent sans afféteries le travestissement, au milieu du fracas des portes et la bande-son électro. "Nous sommes tous dans nos prisons, assure Simon Le Moullec, et nous devrions plus souvent nous amuser avec le cut up de la vie!" Évasion réussie.

Daniel Morvan


Jusqu'au 12 janvier au TU Nantes, 20h30. Durée: 1 h 45. Issues, texte de Samuel Gallet, mise en scène Simon Le Moullec. Création de Les Eclaireurs Compagnie, coproduite par la Fonderie Le Mans et le Grand T à Nantes. Coréalisé par le TU Nantes/Le Grand T, dans le cadre du dispositif Voisinages. 

dimanche 11 novembre 2018

Théâtre: Tourista ou la grande purge

Tourista, au TU Nantes: Tanguy Malik Bordage déploie un théâtre pulsionnel et désinhibé


"Chaque jour j'accorde moins de prix à l'intelligence": Tanguy Malik Bordage pourrait faire sien le précepte proustien et zen de non-maîtrise, et des vertus de l'abandon. Pourtant, la maîtrise est bien là, dans l'écriture, la mise en scène, la scénographie, le jeu et l'art de jouer sur les contrastes. Et cela malgré ses défauts, qui sont ceux d'une oeuvre singulière, intime, mais animée par une belle verve caricaturale.

En 2009 à Pondichéry, la mère de Tanguy Bordage est fauchée et tuée par une voiture. "Tourista" réunit les éléments collectés lors d'un pèlerinage sur les traces de la mère disparue, et constitue une éprouvante immersion dans le tourisme de masse. "Tourista, c'est chercher à se vider afin de redevenir un réceptacle vierge, une grande purge", explique Tanguy Bordage dans ses intentions d'auteur et de metteur en scène. Représenter le monde pour s'en libérer. Montrer ce qui vous obsède et vous emprisonne. Poser ses cauchemars sur un plateau pour s'en affranchir.

L'errance dans les fêtes tristes du club de vacances mondial se superpose ainsi au deuil, dans un contrepoint violent. C'est un mélancolique "Pondichéry mon amour" qui s'écrit sous nos yeux, à la faveur de cette projection dans le réel des voyages low cost, sous forme de sketches qui semblent improvisés, dans un décor qui étonne, avant de prouver son efficacité: Les toilettes d'un centre de villégiature.

Comme dans son précédent "Projet Loup des steppes", Tanguy Bordage joue délibérément la carte de la surprise, d'un sentiment cosmique affronté au monde tel qu'il l'éprouve: gerbant. Ce qui donne un théâtre pulsionnel et cathartique où le comédien a beau jeu de déployer ses provocations, au risque de frôler le déjà vu. Nous aurons droit au rap picard, au "stand up" raté de Club Med', aux cocaïne parties dans les toilettes (avec l'excellent Bertrand Ducher), aux crises de couple (hurlées par Julia Gomez dans un rôle sur mesures), aux coliques de touristes (d'où le titre) et prêches divers: des vertus palliatives de la diète ayurvédique chez les fêtards, de l'universalité du message d'amour, et même un "balance ton Astérix" proféré par un Hervé Guilloteau en Obélix - il aura vraiment tout fait.
Farce folle plus crachée que mise en scène, aussi énorme que désespérée, cette "Tourista" n'est est pas moins hantée par une émouvante déesse mère (Layal Younesse), seul élément de réelle féerie dans un univers dévasté. Ce que Tanguy Bordage, dans son écriture instinctive, nous montre, c'est l'indécence du monde d'après, sans elle. Un monde de frénésie qu'il ne comprend plus, soudain. Car l'univers se moque du deuil, il stagne et triomphe. Il ne s'intéresse pas aux voitures folles sur une route de Pondichéry. Voilà pourquoi nous aurons toujours besoin de théâtre.

Daniel Morvan


Du 12 au 15 novembre 2018 au TU Nantes, chemin de la Censive du tertre. De 20€ à 5€, réservation: 02 40 14 55 14






lundi 8 octobre 2018

Tony: Bertrand Ducher, Brando du 44

Hervé Guilloteau et Bertrand Ducher dans "Tony" (compagnie Grosse Théâtre)
Tony, il redoublait sa cinquième quand il l'a connu. Lui, Hervé, entrait dans un moment terrible pour sa colonne vertébrale. Paralysé, immobilisé sur un lit d'hôpital à quinze ans. Cloué par une maladie orpheline. Vint Tony. Un Brando du 44 chauffé à blanc par le silence des campagnes. Pas trop cador aux QCM mais doué pour explorer ce "long printemps de l'adolescence", autour d'un étang (comme dans une scène du Poirier sauvage) ou au camping de Saint-Jean-des-Monts. Toute cette histoire de vie effervescente tient en une heure de scène (on l'a vu au Nouveau studio théâtre à Nantes) et l'univers est en place en deux taffes trois murmures. Garçons dans l'obscurité; leurs paroles tournent autour d'une question importante: l'hostie a-t-elle un goût? Lumière sur le tandem rural. Le spectacle embraye sur un gars branché plomberie, qu'Hervé Guilloteau (auteur, metteur en scène et acteur) a enregistré dans le train, smartphone captant la parole d'un ouvrier volubile, reprise en fil rouge.

Tony, c'est l'entre quinze et vingt ans, la tire pilotée au frein à main, le déodorant de petit fumier rural (et en déodorama pour nous spectateurs envapés), High Hopes de Pink Floyd à fond dans la berline, les virées en boîte. Cela fait-il cliché convenu des années 1980? En mépris du lieu commun, Guilloteau ne tente pas d'extraire une métaphysique de sa première ivresse, il pose tout sur la table, dans la pure inconscience de l'âge, pour nous laisser en découvrir la grâce. Et elle existe, cette grâce. L'acteur Bertrand Ducher, dont la photographie en jeune homme figure sur l'affiche du spectacle, est un merveilleux Tony, un demi-dieu en siège baquet, une force qui emporte tout comme une R14 lâchée dans la stratosphère, avec les mots brusques lâchés comme des briques, les mots qu'il faut pour tant de jeunesse. Un garçon entier qui joue le poème en prose de l'adolescence, formant avec son Guilloteau un duo scénique comparable à - qui? Rions un peu: Bourvil et Louis de Funès? Jacques Villeret et Thierry Lhermitte? Mel Gibson et Danny Glover? Rien ne se compare à vous, les Kerouac de la Grigonnais. Ou alors Rox et Rouky, le renardeau et le chien. Oui, Hervé Guilloteau a le culot de convoquer Walt Disney et ses deux héros destinés à se séparer, parce qu'ils sont un renard et un chien, qu'ils sont Tony et Hervé.

Ce paysan de Guilloteau est notoire pour sa faculté à lancer la baston, et pour qu'il s'en sortît vivant il fallut bien que Tony s'interposât et prît sa part de beignes, ce que la pièce nous confirme. Cette histoire de poteaux à la vie à la mort s'appuie sur deux barres verticales, seul élément de décor. On sent derrière la campagne crucifiée des années 1980, la force de décentrement qu'elle exerce pour produire ce théâtre subtil et désespéré, écriture ciselée et beauté maladroite des corps, mariant la rudesse et la finesse. Les chèvres du voisin ont des noms d'actrices italiennes, la famille Cheval est morte dans un accident de bateau-mouche. On fait son stage de troisième dans une station service et on se demande si un BEP c'est la bonne voie. Cette histoire si admirablement filée, dans une écriture qui combine drôlerie et pure émotion, c'est vraiment la sienne, à Hervé Guilloteau. La vieille alliance de la maladie et de la beauté a opéré pour tirer un artiste d'un désert. Hervé rejoint la cohorte des poètes couchés, les Joë Bousquet et les Marcel Proust, mais le voir debout quand même, observer de quel corps est parti quel texte, c'est le privilège du théâtre et du spectateur, à qui il est donné de voir la transmutation du bancal en divin. Avant de devenir théâtre, sa parole est conquise sur la paralysie et se déroule comme la recherche d'un espace de rêve, un endroit possible où la vie ne serait pas juste cette force brute qui décide que Rox et Rouky, ça ne peut pas marcher. Un espace de rêve qui continuera à s'appeler théâtre, tant qu'Hervé Guilloteau voudra bien nous raconter sa drôle de vie.

Daniel Morvan

Tony, avec Bertrand Ducher et Hervé Guilloteau, compagnie Grosse Théâtre en résidence au Nouveau Studio Théâtre. Coproduction Grosse Théâtre, Ville de Nantes avec le soutien du TU-Nantes et de la Fonderie au Mans. Mes remerciements à Christelle Guillotin.

dimanche 17 juin 2018

Festival des caves: 19 spectateurs, plus les hirondelles


Une cave du Bignon, près de Nantes, transformée en théâtre



Les caves se rebiffent. S'enfoncent dans le sol pour nous donner de l'air. L'air du théâtre, celui qui oxygène, asphyxie, transporte, grise et enchante. Voici un théâtre pour 19 spectateurs, plus les hirondelles. C'est dans le vignoble. On s'y retrouve presque clandestinement, attendant sous la pluie l'ouverture du parterre. 
Beaux moments scéniques proposés en juin 2018 dans le pays nantais par le douzième Festival des caves. Un événement de "théâtre souterrain" initié à Besançon en 2005, à partir d'une commande du musée de la Résistance. Rendez-vous en ville en un point de ralliement secret, cheminement vers un lieu de spectacle insolite, découverte de textes forts, dans une relation frontale comédiens-public, peu de décors, priorité à l'imagination, tous ces ingrédients ont contribué à faire du festival des Caves un rendez-vous exceptionnel: "un peu comme de se retrouver dans un petit musée face à face avec un Mantegna ou un Monet", résume le créateur Guillaume Dujardin. Une douzaine de créations sont ainsi présentées en mai et juin, dans une centaine de villes et villages en France et en Suisse, avec une troupe de comédiens "permanents" sur la durée du festival.

Anaïs  Marty et Anne-Laure Sanchez dans "Des idiots, nos héros"


Cette belle idée plantait ses tréteaux le 14 juin 2018 à la Maison Rouge (Le Bignon), avec une proposition de la compagnie Banquet d’avril: Deux mots, monologue de Philippe Dorin mise en scène par Monique Hervouet. Une jeune femme (Anne-Laure Sanchez, remarquable dans cet exercice de fausse naïveté) vide son sac et se raconte à travers les objets qu'il contient (tube de crème, botte d'oignons, prise électrique...). Une fraîcheur de surface, un langage enfantin, des scintillements poétiques et des noirceurs qui se révèlent à mesure que le texte vrille... Et l'on rigole un peu moins quand la gamine sort le flingue. Après le spectacle, un rosé du vignoble voisin permet de faire connaissance. 
L'aventure souterraine se poursuivait à Nantes le samedi, avec une pièce de Moreau: Des idiots nos héros, où l'on retrouve Anne-Laure Sanchez au côté d'Anaïs Marty. Des idiots, nos héros est un texte inédit (écrit en 2012, dans une sorte de défi ou de marathon personnel de l'auteur, il a été lu à la Comédie française) et articulé en trois monologues. Le premier (qui met en scène deux frères) est proféré plein pot et compteur bloqué, comme pour une italienne (répétition d'une voix neutre), par Anaïs Marty sur les lieux mêmes du rendez-vous, à l'arrêt Romanet de la ligne 1 du tramway nantais. Le festival des caves exige du spectateur une bonne capacité à absorber le flot verbal, et réclame aussi des comédiens "bouffeurs de texte" et athlètes de la diction. 

Moreau (auteur de "Des idiots, nos héros") et Anaïs Marty

Ce premier moment de l'album de famille, porté par une longue mélopée vocale, est une pièce d'un puzzle dont on découvre la suite à 500 mètres de là, dans une cave sombre de Bellevue. Le spectateur est médusé par la vision de ces deux silhouettes hiératiques, raidies par l'effort d'un mouvement imperceptible vers le public, cadré par deux spots verticaux et un rayon laser tranchant un nuage de fumée. C'est l'image unique de cette seconde phase, assez forte pour le porter pendant près d'une heure, sur le fil d'une progression insensible. Les deux comédiennes, vêtues de crinolines grises, poursuivent cette tragédie familiale à la découpe, dans un cadre minimaliste qui coïncide avec l'histoire racontée, celle d'une famille française dont le père est gardien de nuit dans un parking. Il est désynchronisé des siens, piégé par une vie répétitive et sinistre, entre ses rêves et son uniforme détesté, badgé du coeur vendéen. 
Scandé comme un solo de Coltrane (Moreau, alias Frédéric Mauvignier, confiera ensuite qu'il écrit en musique), le texte poursuit son travail de sape, accusant les lignes de faille et les clivages. Le texte, juste le texte et ses silences, sans rien d'autre que la lumière et les bruits d'eaux usées dans les conduites du sous-sol, un sourd nappage sonore dramatisant le crescendo vers la révélation finale, et les quinze spectateurs sous emprise suivent, se laissent dévorer par cette histoire, bombardés, essorés par la litanie des mots et les vies brisés.

Daniel Morvan

Festival des caves, jusqu'au 30 juin 2018 en France. http://www.festivaldecaves.fr/calendrier/




mercredi 14 février 2018

L'homme qui mangea le monde: grandeur et misère de la classe moyenne

Yvon Lapous et Hervé Guilloteau dans "L'homme qui mangea le monde". ©DR
Lorsque le rideau se lève (manière de parler puisque de rideau point dans cette belle salle du nouveau Studio théâtre, rue du Ballet à Nantes), le public sait déjà que tout est perdu. La pièce s'ouvre sur un passé traumatique inconnu. On a perdu le courage de finir ses phrases, de briller, on est comme ces sphinx qui contemplent le désert et qui s'ennuient dans les vestiges écroulés d'une civilisation morte.
Nous savons pourtant que nous avons affaire aux doubles décolorés de personnes qui de leur vivant savaient captiver, fasciner et plaire. Pourtant tous ont gardé une trace de l'enjouement de l'époque où ils étaient pleins d'espoir et réussissaient. 
Des membres de cette famille de la classe moyenne pétrifiée par l'échec, un seul peut avancer l'excuse des ans, avec cette cette bonté inutile des vieillards cernés par la méchanceté d'enfants gâtés qui ont tout détruit. C'est le père, qui apparaît au début de la pièce, tel un vieux roi de contes de fées, frappé de gâtisme et tremblotant de tous ses maux. Il s'est mordu la langue, brûlé la main, il souffre de grippe mais travaille encore. Chez qui vient-il demander secours? Chez son fils aîné et adulé, le rejeton sous le coup d'un licenciement brutal dont nous ignorerons les causes (insubordination, insultes?).
Avant d'aller plus avant dans cette pièce, faite de répliques interrompues, de propos hachés et crachés, de colères subites, de coups de téléphones qui s'entrecroisent nerveusement, peut-être faut-il présenter du tandem Hervé Guilloteau et Yvon Lapous. Ce dernier revient sur la scène de ses débuts, comme une figure du temps retrouvé, des années épiques où il faisait ses débuts sur cette même scène, ce studio théâtre d'où peut-être sortirait un jour (mais ne sortirait effectivement pas) le centre dramatique de Nantes. Mais par une ironie de l'histoire c'est donc en vieux père malade qu'apparaît maintenant un Yvon Lapous devant l'un de ceux qui reprennent le flambeau: Hervé Guilloteau, dans le rôle d'un fils indigne, d'un père absent et d'un maltraiteur de vieillard.
La pièce est admirable, d'un auteur allemand qui fut distingué comme "jeune dramaturge de l'année 2010" par les critiques du journal Theater Heute. Elle met donc en présence un homme qui, en pleine crise, désire s'arracher au "bourbier des responsabilités" pour crier: Je suis libre! Il ne voit plus ses enfants, sa femme Lisa l'a quitté pour son meilleur ami Ulf (Bertrand Ducher), "connard de capitaliste" qui continue de le fréquenter au nom de leur vieille amitié, et lui assène ses quatre vérités. Son frère cadet Philipp, faute d'égaler un aîné admiré, sombre dans la marginalité, mais tente encore de répondre à ses demandes d'argent en inventoriant un misérable pécule de petit dealer. Car l'aîné veut "se mettre à son compte", projet fumeux comme il semble en avoir la spécialité. Lisa (Florence Bourgès) se mure dans une dignité pathétique, partagée entre la honte d'être "regardée avec une petite pointe de pitié" partout où elle va, la tristesse d'avoir perdu le génie protecteur de sa famille et avec lui son rêve de vie conjugale.
C'est tout? Oui, c'est tout. Des personnages comme on peut en connaître dans la vie, des phrases inachevées comme on en entend chez les gens qui craquent, une histoire que l'on prend à sa fin en ignorant le début, tout cela ensemble nous mène à cette pièce qui s'achemine lentement et sûrement vers le pire. Un pire qui s'avance sur des patins de feutre, avec cette démarche un peu biaisée qui est celle du fils: nous le verrons soumettre le vieux père, tiré nu du placard où il se terre avec sa soupe de lentilles et s'automutile, à une séance de torture morale difficile à entendre. Puis, entre deux douleurs féminines étouffées, l'effondrement du cadet, puisque c'est la maladie qui, tôt ou tard, vient empocher les mises. C'est avec des rêves que l'on fabrique le désespoir. Ces personnages nous sont présentés d'emblée dans leur détresse, se déchirant et détruisant toutes les promesses. L'auteur de cette pièce n'a eu qu'une délicatesse, laisser planer un doute sur la possible euthanasie qui clôt ce tableau de moeurs contemporaines.
On ne peut que se réjouir de retrouver Hervé Guilloteau dans cette proposition du théâtre du Loup, arraché à ses propres routines et ses provocations, humblement comédien au service d'un texte fort, inédit en France. Le texte de Nis-Momme Stockmann (né en 1981) agit comme un bain révélateur, plongeant les corps dans un catalyseur qui produit un théâtre âpre, où le réalisme social se joue sur la partition des crises sans fin, des pleurs ravalés au bout du fil et des égoïsmes inatteignables. La sobriété de la scénographie est liée aux conditions de la création, mais elle convient bien à cette tragédie du déclassement, la pauvreté au pas de la porte, à portée d'une main brûlée, d'une gifle.
Daniel Morvan

Une pièce présentée par les éditions de l'Arche. 
Production Théâtre du Loup et Le Grand T avec le soutien de la ville de Nantes.
Théâtre du Loup, 27 av. de la gare Saint-Joseph, 44300 Nantes. Tél. 02 40 84 31 52.
theatreduloup@wanadoo.fr

jeudi 8 février 2018

Hybris: la cruauté sied aux belles âmes


"... comme essoré par les mots dits, hachés et pulvérisés..." 
© Bastien Capela

Hybris, du grec ancien démesure: c'est le titre du spectacle écrit et joué au théâtre universitaire de Nantes (février 2018) par ce couple d'acteurs, Vanille Fiaux et Manuel Garcie-Kilian (tous deux issus de la classe d'art dramatique du Théâtre national de Bretagne). C'est en effet de démesure qu'il faut parler, de férocité et de douceur, de symbiose et d'incompréhension, de qu'on s'envoie dans la figure au gré de la météo tourmentée d'un couple à la Cassavetes. Un peu de cruauté sied aux grandes âmes. Lui est poète, un héros amoureux, aux prises avec un "moi" enténébré, représenté ici avec une rudesse homérique et sans égard pour les codes de la galanterie théâtrale. Elle s’appelle Mathilde, Julie, Lennie… Elle ajoute par le jeu et la diction quelque chose qui participe à la fois du naturel contemporain et des traits génériques de l'amoureuse tragique.
Mais ce n'est pas vraiment pour le vérisme des scènes sentimentales et violentes que le spectacle tout entier vous empoigne avec une force presque racinienne: c'est plutôt par cette façon de condenser des époques très lointaines de cette vie commune, des âges reculés de l'amour et les blessures encore ouvertes, que ce spectacle écrit et joué à deux réussit une sorte de tour de force. Oui, c'est ce jeu sur le temps, sur les facettes d'un sentiment qui renvoie sur son objet les éclats les plus lointains comme les plus immédiats, qui donne sa valeur à ce spectacle écrit (dirait-on) au cours d'un été d'accalmie dans les intervalles d'une vie passionnée. Aussi s'accroche-t-on à ce qui ressemble aux instants de bonheur, puisque tout, même l'idylle la plus touchante, engendre des éclairs de colère: "cependant leur amour est pire que leur haine", dit le tragédien. Vanille Fiaux et Manuel Garcie-Kilian ont réussi à rétablir le sentiment du tragique dans un univers d'idéaux déçus, de rêves galants, de fantasmes héroïques. 

Une musique implacable et sombre


"Car après la mort le Temps se retire du corps et les souvenirs - si indifférents, si pâlis - sont effacés de celle qui n'est plus et le seront bientôt de celui qu'ils torturent encore, eux qui finiront par périr quand le désir d'un corps vivant ne les entretiendra plus." Je ne suis pas certain de citer la phrase dite, que Manuel Garcie-Kilian tire d'un livre qu'il tient à la main (celui-là même que je lisais lorsque je suis allé voir cette pièce: Le temps retrouvé); et voici que déjà le livre tombe au sol. S'élève une musique implacable et sombre (Seilman Bellinsky) qui semble renforcer la confusion entre les rêves qui s'effacent et les lectures qui s'y mêlent: telle est la condition de spectateur que, lorsque les mots se mêlent à ses propres rêves, il en vient à douter de leur réalité. La musique, justement, ne vint qu'à point nommé et sans esprit d'habillage, en évitant la surenchère d'effets qu'il est si facile de produire avec la puissance du rock, comme on l'a encore vu récemment chez Vincent Macaigne. La musique de Seilman Bellinsky vient au contraire comme doucher la logorrhée incessante du couple, cette parole répétitive qui forme parfois des boucles musicales superposées d'une manière virtuose. Un mélange de Schubert et d'Eli et Jacno, nous dit Jonathan Seilman. Quelque chose de solennel et de romantique en fin de partie.
Je sortis de ce spectacle mal réveillé, sans avoir rien noté, ni songé une seconde à une quelconque attente critique, comme essoré par les mots dits, hachés et pulvérisés, tâchant de recouvrer au plus vite le sentiment ordinaire de la réalité. Et maintenant, comme ce mélomane qui ne sait plus depuis longtemps pourquoi il aimait la musique, je ne saurais que balbutier mécaniquement: oui, ces deux comédiens ont une classe extraordinaire.

Daniel Morvan


Durée: 1 h 45. Production Fitorio Théâtre.

jeudi 19 octobre 2017

Colyne Morange, la marelle du surmoi artistique

Colyne Morange dans Trtff-Les gens importants, au TU Nantes


Carte blanche à Colyne Morange: belle idée que de confier à une artiste la liberté de ses préférences, en dehors de son propre travail dont on sait comme il est miné par le doute. L'idée neuve jetée sur le plateau avant filtration...
Thibaud Croisy ouvrait le bal sur le thème de la première apparition de soi dans le ventre de sa mère.
Cette création 2017 (La prophétie des lilas) s'appuie sur un dispositif très posé: le comédien et auteur dit son texte d'une voix neutre et intériorisée (on croirait entendre du Modiano) pendant qu'une assistante dispose sur un agrandisseur les images de sa vie: maison de sa mère, clinique des Lilas où il est né, carte d'identité, parties de soi conservées dans une boîte (dent de lait, mèche de cheveux), photo de la maman en vacances, emails de sa mère et planches d'un manuel de gynécologie... A partir d'une rencontre avec un monsieur Johnson, le gynécologue et obstétricien de sa mère, le narrateur s'engage dans une enquête aux origines de son monde, pour découvrir ce M. Johnson retraité, autrefois militant de l'IVG, et maintenant obsédé par une idée: l'inventaire des diverses manières dont on interdit à chacun la liberté de son propre corps. Or, il se souvient d'une phrase que lui adressa ledit obstétricien, ce fameux soir de la prophétie des Lilas: pour être vraiment libre de soi et de son corps, deviens créateur, deviens artiste. M. Johnson met en avant un concept mystérieux: celui de l'indisponibilité du corps humain, principe juridique posant des limites à la libre disposition de soi, le corps n'étant pas une chose. Le résultat, quarante minutes où le théâtre devient la salle de travail d'une nouvelle naissance à soi-même...

L'échec de l’œuvre, l’œuvre de l'échec


Second volet de cette première soirée, Colyne Morange nous emporte dans ses variations sur et les mille manières de ne pas créer un spectacle (Trtff- Les gens importants). Reprenant un dispositif classique où l'échec de l’œuvre devient l’œuvre de l'échec, elle confronte son vouloir-jouer, son vouloir-créer à l'acide du doute et de la non-confiance en soi. Ce faisant, elle montre l'édifice de tâtonnements et de titubements sur lesquels s'appuie l'audace d'un geste, d'une phrase. On devine une critique des modes de management dans l'usage parodique fait des post-it géants, issus des brainstormings d'entreprise: ici, la comédienne saute physiquement d'une injonction à l'autre, comme dans une marelle du surmoi artistique, selon qu'elle entend faire preuve de sincérité, de courage, d'écoute, d'éco-responsabilité, d'indépendance, d'esprit. Toutes ces conditions remplies permettraient un bon spectacle, si le sentiment d'imposture, combiné à un dilettantisme avoué, ne venait anéantir tant de bonne volonté. Colyne Morange, quand le sentiment d'être de trop finit par vous rendre indispensable!
Daniel Morvan.

TRTFF - What can I do to make you love me, une exploration théâtrale et dansée du sentiment d'imposture. TU-Nantes, chemin de la Censive du tertre. www.tunantes.fr

mercredi 26 avril 2017

Théâtre. Suivre les morts: Quand les corps migrants reviennent




Chère metteure en scène Monique Hervouët, je n’étais pas très chaud pour aller voir ta pièce sur la mort. Une proximité excessive avec le sujet va me faire perdre tout mordant, je le crains.
Mais allons, trop tard pour reculer.
Belle idée que celle de transposer un sujet de recherche en pièce de théâtre. Nous le devons aux deux chercheuses nantaises Anne Bossé et Elisabeth Pasquier. Le spectacle, « Suivre les morts », raconte la migration post-mortem des immigrés, migrants et de tous ceux qui, décédés hors sol, aspirent à rentrer à la maison, avec le cortège de la parentèle à la suite.
Les deux auteures ont « écrit les voix » des personnes interviewées. Rien de plus vivant, de plus drôle, que ces nouveaux rituels qui s’inventent au bas de la soute de l’Airbus vers Alger ou Ankara. Avec ses objets comme le "cercueil rapatriement" à hublot. Comment on se cotise ou pas pour l'avion; comment on rattrape le mort à l'arrivée; comment on finit là-bas la prière commencée ici. Comment, en Turquie, on observe le rite de la pelle plantée mais jamais tendue à l’autre.
Les morts sont des barques qui tracent un sillage lumineux dans la nuit des migrations, quelquefois ils nous font la visite d’un pays ancestral que nous, générations nouvelles, ne connaissions pas. On ouvre des maisons qui ne respiraient plus, et maintenant elles sourient. On rouvre de vieux chemins de terre. Oui, on devrait plus souvent faire du théâtre avec des thèses de socio. Et avec tout, d’ailleurs.
Daniel Morvan.

Mercredi 24 Avril à 20h30 & jeudi 25 Avril à 19h30 au Théâtre - Scène nationale de Saint-Nazaire

dimanche 23 avril 2017

En 2000, je rencontre Armand Gatti



‎mercredi‎ ‎25‎ ‎octobre‎ ‎2000
583 mots

A la Libération. Mon régiment de parachutistes était fixé à Château-Bougon. Nantes, c'était pour moi André Breton, lui qui m'avait pour ainsi dire sauvé la vie par ses livres. J'ai voulu mettre Nantes en état de réception. On a pris de l'alcool et on a forcé les agents de ville à en boire une demi-bouteille, revolver sur le ventre. 
Ça a surréalisé Nantes, les agents dansaient dans les carrefours. J'ai été arrêté mais je le garde comme quelque chose de précieux. 

Poésie. On vit sous domination rationaliste. Notre seul compagnon est Nietzsche qui a dit : ' nous avons l'art pour ne pas mourir de la vérité '. Dans le combat contre l'exploitation de l'homme par l'homme, tout le monde a échoué. Au Chiapas, le sous-commandant Marcos dit que ' la seule voie, c'est la poésie '. Quand je fais du théâtre avec mes ' loulous ' de Marseille, je commence par leur demander d'envoyer une lettre au chef des zapatistes pour lui dire que leur combat et le sien sont identiques. 

Loire. La Loire est un fleuve de langage. Moi je me suis marié avec la langue française, que je considère comme ma femme. Mon père était anarchiste (il avait créé une commune libertaire en Argentine, a été poignardé, puis a retrouvé ma mère à Monaco le jour de ma naissance). Pour lui, l'italien de Mussolini était ' la mauvaise langue '. Mes parents ­ balayeur et femme de ménage ­ travaillaient pour que je sois le premier en français, la langue des riches : ' montre-leur ce que sait faire le fils de l'anarchiste '. Mon père a été tué pour avoir écrit ' Cronstadt ' (1) sur un mur à 200 m du Casino de Monaco

Guerre Civile. La guerre civile est la seule où l'on connaît celui qui est en face. J'ai appelé mon fils Guerre Civile, on m'a condamné, au motif que ' Guerre Civile est un nom ordurier assimilable à pipi ou caca '. Du coup je l'ai appelé Stéphane. A cause de Mallarmé. Le seul poète anarchiste, l'anar des mots, qui n'écrit pas pour le peuple afin de faire accepter la défaite des pauvres. Aujourd'hui, le Verbe est mort. La communication l'a tué. 

Heiseiberg. Il a été accusé de physicien juif par les prix Nobel de l'époque, et n'a été sauvé que parce que sa mère était une amie d'enfance de la mère de Himmler. Les physiciens ont été les seuls à mener la bataille du langage, ils ont avancé l'idée d'un langage du possible pour créer une science de ce qui n'est pas directement visible. 

Daniel MORVAN

1. Cronstadt : en 1921, les marins de la flotte de Cronstadt se rebellent contre le pouvoir soviétique.

jeudi 23 mars 2017

Théâtre. Dieudonné Niangouna ou la fureur de dire




L’auteur de théâtre congolais Dieudonné Niangouna présente à Nantes une pièce-fleuve : Nkenguegi, voyage à travers les migrations… À l’affiche du Grand T du 26 au 28 avril 2017.



« C’est l’histoire d’une troupe de théâtre qui répète une version contemporaine du Radeau de la Méduse. C’est l’histoire d’une fille debout à sa fenêtre qui se voit passer dans la rue… » Il y a bien des histoires dans cette pièce intitulée Nkenguegi, écrite et mise en scène par Dieudonné Niangouna.
Dernier volet d’une trilogie (Le Socle des vertiges), Nkenguegi a été créée au festival d’automne de Paris en 2016, puis montrée à Lausanne, Saint-Denis, Francfort. Avec sa troupe de onze comédiens, le metteur en scène né à Brazzaville en 1976 mêle palabre provocatrice et pamphlet politique, dans un bazar débridé de situations gravitant autour d’une image : une tribu d’affamés errants au milieu des eaux, les naufragés du Radeau de la Méduse, peints par Théodore Géricault.


« C’est un télescopage d’espaces, Paris, Brazzaville, le radeau, autour d’un personnage de fou du village. Autour de lui, je dessine la carte d’une république bananière en pleine décomposition », analyse le fougueux congolais.
Est-il représentant d’un « théâtre africain », lui dont le parcours se construit en Europe, d’Avignon à Amsterdam et de Limoges à Francfort ? « J’ai été formé dans la lecture systématique de toutes les cultures et toutes les formes d’expression. Me définir comme auteur africain serait obéir à ce qu’est écrire africainement. L’histoire totale du théâtre et de la littérature dépasse la géographie. »
Poète, acteur, dramaturge et metteur en scène exilé de son pays, Dieudonné Niangouna fut artiste associé du Festival d’Avignon 2013. On l’associe à la notion de « théâtre de texte », à une rage d’expression à la hauteur du continent noir et de son besoin d’une parole libre. Catherine Blondeau, directrice du Grand T, rappelle qu’il est l’héritier de Sony Labou Tansi, « un écrivain d’une envergure comparable à Gabriel Garcia Marquez, même s’il n’a pas eu sa célébrité ».


Issu du vivier théâtral de Brazzaville, ancienne capitale de l’Afrique équatoriale française, le bouillant Dieudonné hérite donc d’une tradition flamboyante à la gloire du texte et de la langue française. « Mon père était grammairien, raconte-t-il, il recevait Léopold Sédar Senghor à la maison, et avec lui, il pouvait passer des heures autour d’un simple mot ».
Niangouna aura aussi su tirer parti des enseignements théâtraux les plus divers, au sein des troupes de la capitale congolaise, associant politique et poétique, en jouant avec la censure. Son théâtre n’est pas celui d’une classe sociale privilégiée, mais un théâtre de la rue, jouant la démesure et le choc verbal. Nkenguegi est (pour ceux qui ont déjà vu cette pièce) à l’image de ces origines, sans égard pour les conventions, comme une divagation entre sud et nord, entre jeunesses sacrifiées et rage de vivre.
« Sur les planches de Vidy, lisait-on en novembre dernier dans Le Temps (Lausanne), c’est cette apocalypse qui remonte en torrent, portée par Dieudonné lui-même et une bande d’acteurs et de musiciens admirables. Ce Nkenguégi a ses faiblesses, ses nids-de-poule qui vous jettent dans le fossé, mais il est animé d’une fureur contagieuse ».
Daniel Morvan.
Mercredi 26 avril et jeudi 27 avril à 20 h ; vendredi 28 avril à 20 h 30. Au Grand T, 84, rue du général Buat. Durée : 3 heures. Tél. 02 51 88 25 25.

mercredi 8 mars 2017

Deux ampoules sur cinq: Poète russe à la lampe de poche

photo Pascal Victor


À l’entrée du Salon de musique, Anna Akhmatova vous tend une lampe de poche. Puisque vous êtes au premier rang, vous ferez partie des éclairagistes du spectacle. Belle responsabilité que d’éclairer le visage d’Isabelle Lafon, qui joue Anna Akhmatova, la grande poétesse russe aux cinq « a » dans son nom. Et celui de Johanna Korthals Altes, dans le rôle de son amie Lydia.
1938, les purges staliniennes balaient l’URSS. Akhmatova était une poétesse célèbre, une aristo du vers. Jusqu’à son interdiction, puis sa radiation de l’Union des écrivains, considérée comme « à demi-nonne, à demi-pute ». Elle reçoit Lydia Tchoukovskaïa, femme de lettres dont le mari, comme le fils d’Anna, est emprisonné. Ainsi débutent 25 ans de compagnonnage féminin, pour libérer les proches et parler littérature.
Le modeste appartement communautaire d’Anna se remplit du murmure de cette conversation intime. Ça vole haut, ou bas. On se permet de dire que le grand Stanislavski a « une gueule de singe », que Pasternak n’est qu’un égoïste, que les personnages de Tchekhov sont minables. Akhmatova, est une femme svelte et belle, qui adore les bains de mer et reste comme une « icône de la souffrance russe ». La Russie est ce pays où on reconnaît un poète dans la rue. Un jour de 1937 (1), dans la file qui s’allonge devant la prison de Leningrad, une « femme aux lèvres bleuies?» lui dit : «?Et ça, vous pouvez le décrire ??» Anna dit: «Oui, je peux». Juste pour voir naître «un sourire sur ce qui autrefois avait été son visage».
Daniel Morvan.
Jusqu’à samedi à 20 h 30, salon de musique du Lieu unique, quai Ferdinand Favre. 1 h 20. Tél. 02 40 12 14 34.
1 : Lire Le Requiem & autres ?poèmes choisis, d’Anna Akhmatova, Al Dante, 2015.
Pascal Victor

lundi 6 mars 2017

ça ira, 1: Ma nuit debout avec Joël Pommerat


Une révolution contemporaine


Ça ira (1) – Fin de Louis, de Joël Pommerat. Rien à voir avec une reconstitution historique en costumes de la Révolution. Le roi est habillé comme un patron du CAC 40 et Marie Antoinette est une femme désespérée et chancelante, plus proche de Shakespeare ou Cassavetes que de Madame de La Fayette. Le vrai héros, c’est le peuple. Le Tiers état, qui se bat pour la vie, le pain et l'Assemblée nationale, alors que l’armée resserre son étau autour de Versailles. Le spectacle ne donne pas de date : ça se passerait aujourd’hui, rien ne serait gagné. Le mot danger clignoterait au dessus du micro. On risquerait sa tête sur un mot, une audace démocratique. Pas de fraises empesées, pas de crinolines, pas de têtes au bout des piques. Jamais on n’a montré la révolution de manière aussi vivante, comme une contemporaine. Une Nuit debout qui aurait réussi.


Un spectacle immersif


Votre voisin s’est mis à applaudir. Vous faites de même. Erreur : les comédiens sont aussi dans la salle. Puisqu’en effet tout le spectacle va tourner autour de ces gens courageux qui ont, par vertu d’éloquence et entêtement provincial, fait entrer la notion d’Assemblée nationale dans le vocabulaire de la nation française. Le spectacle est partout. Vous allez sortir groggy de cette immersion dans les débats acharnés qui ont engendré la Révolution, avec des moments qui piquent les yeux comme celui où un homme seul, devant son micro, bredouille une esquisse de déclaration des droits de l’homme. Pommerat ne donne aucun nom. Mieux que réaliste, le spectacle est vrai.


L'histoire hurlée dans le micro


Impossible de déterminer la vérité historique des débats où le tiers état bataille furieusement face aux deux autres ordres. Saisissant effet de réel : L’échiquier politique actuel se dessine sous vos yeux, ici la manif pour tous, là Mélenchon, Fillon et la droite catholique, ici le centrisme louvoyant. L’événement vient frapper aux portes, à grands bruits sourds, clameurs du peuple qui fait irruption dans les débats, au son du canon… Aucune date n’est citée, tout juste « le 14 du mois dernier »…
Oui, une machine à remonter le temps, dans le bruit et la fureur où s’inventa cette exception française, la révolution. L’histoire hurlée dans le micro, potentiomètre à fond, 5 heures d’affilée de punkitude rousseauiste. C’est bien trop long, trop fort, trop tout. Mais pour rien au monde on ne ratera le deuxième volet, quand il sera à l’affiche.
Daniel Morvan.

mercredi 1 mars 2017

Théâtre: Le bruit des arbres qui tombent (Nathalie Béasse)

Nathalie Béasse © Morvan




Critique

Une bâche en plastique, et quatre poulies. Vous êtes libre de penser à du matériel agricole ou aux voiles mouvants d’une danse moderne. Bâche d’ensilage, ou robe de Loïe Fuller ? L’art peut nous suspendre entre les deux, dans un univers original où rien n’est encore décidé. Nathalie Béasse vous montre une bâche, et en fait de la poésie. Comment ? En confiant les rênes à quatre comédiens danseurs. Et en collant dessus l’adagietto de la 5e symphonie de Mahler. Ça, vous ne le trouverez pas aux Magasins verts, juste dans la tête de Nathalie Béasse. Ainsi commence ce spectacle au Théâtre universitaire de Nantes.
C’était la première d’une création qui sera montrée cet été à la biennale de Venise : Le bruit des arbres qui tombent. Le spectacle annonce un talent neuf et plein de vigueur, qui ne se hâte pas de fournir des significations toutes faites. Une façon de dire qu’on n’y comprend rien ? Oui, mais non. La pièce se situe entre danse et arts plastiques, il suffit au public de se laisser entraîner par un kaléidoscope de visions et d’images fortes, et par les gestes et mots des quatre personnages qui peu à peu, s’étoffent.
Un décor imaginaire s’impose, sur les rives d’un fleuve, en lisière d’une forêt. Ce qu’on voit sur scène est une suite de scènes bien carrées : danse country, homme-sapin, généalogie des rois de la Bible, comment habiller un homme tout mou, etc.
Ce que ça raconte ? La rencontre de l’homme et de la matière, eau, terre, bois, étoffe.
Ne manque que le feu, qui est tout intérieur.

Daniel MORVAN.

Octobre 2017


mercredi 22 février 2017

Nathalie Béasse, Nantes-Venise

Le bruit des arbres qui tombent est la nouvelle création de Nathalie Béasse. Elle est présentée au Théâtre universitaire. Avant la biennale de Venise, qui lui accorde une «carte blanche».

Nathalie Béasse a été remarquée pour un spectacle présenté en 2014 à Paris : Rose, variation libre autour du Richard III de Shakespeare, envisagé par elle comme pâte à modeler du théâtre, de l’imaginaire. La bonne nouvelle est tombée alors que l’Angevine jonglait avec un plan de travail déjà serré : elle fait partie des sept femmes metteuses en scènes sélectionnées dans le volet « art contemporain » de cet événement international, du 25 juillet au 11 août : « Ce qui m’offre une formidable visibilité, dans ce monde du spectacle où il n’est pas si facile de s’imposer quand on est femme et provinciale », se réjouit Nathalie Béasse. Jamais programmée à Avignon, elle a montré ses créations à Marseille, Lyon, Beyrouth, et bénéficié du soutien du CNDC d’Angers, du Théâtre universitaire, du Lieu unique, d’Onyx et du théâtre Bastille à Paris, où quinze représentations du nouveau spectacle sont programmées à la rentrée.


Formée en arts visuels aux Beaux-Arts puis au Conservatoire Art Dramatique d’Angers, Nathalie Béasse a croisé les formes artistiques, à l’image de la « danse théâtre » de Pina Bausch. « Mais je suis orientée cinéma depuis le départ, et envisage mes spectacles sous l’angle du montage, du gros plan, du fondu enchaîné, du travelling… » Il en découle une écriture de plateau spontanée, née dans des décors naturels, car elle aime travailler ses idées en extérieurs. L’extérieur ne nuit pas.
Une exploration de l’intime
Le bruit des arbres qui tombent, tel est le titre : « c’est tiré de mon livre de chevet, Partition rouge, anthologie poétique des Indiens d’Amérique du Nord. On est toujours dans le plaisir de jouer comme des enfants et d’inventer, avec une bûche qui tombe, un son, la chair. » Et ce théâtre d’image, qui travaille à fleur de peau, raconte une histoire en gros plans sur quatre membres d’une famille. Vous n’êtes pas libres pour la prochaine biennale de Venise? Venez donc la découvrir à Nantes.

Daniel Morvan.

Mardi 28 février, mercredi 1er et jeudi 2 mars 2017 à 20 h 30 au TU Nantes. Tél. 02 40 14 55 14. Durée : 1h. 4 €/8 €. Le 24 mars au Cargo de Segré et les 10 et 11 mai au Grand R (La Roche-sur-Yon).

lundi 12 décembre 2016

Dom Juan dynamité par Jean-François Sivadier




Dom Juan, comme ces héros Marvel d’aujourd’hui, qui ne meurent jamais.© Brigitte Enguérand

Dom Juan est comme les cow-boys solitaires, qui laissent derrière eux des cœurs brisés et des cadavres, et l’interrogation : mais qui était cet homme ? Jean-Marie Sivadier en a fait un homme d’aujourd’hui : un Dom Juan pour la Star Academy, qui chante Sexual Healing dans un micro vintage - et comment oublier que Marvin Gaye fut assassiné par son père ? Même destin pour ces deux roucouleurs de soul music !
Mais la vraie histoire de Dom Juan remonte plus loin, en 1665. Dans la pièce de Molière, c'est un blond séducteur dont le chemin est jalonné de filles abandonnées et de familles en état de choc. Il défie Dieu, affirme que le ciel est vide et affronte tout l’inconnu au-dessus de sa tête, figuré par un bric-à-brac planétaire sorti de l’univers de Galilée. Si on ne croit pas au châtiment final de Dom Juan, en revanche on croit au théâtre de Sivadier. Par sa manière de jouer follement avec les codes du théâtre, avec l’adresse au public mis dans la complicité : d’entrée, Nicolas Bouchaud s’amuse à séduire les filles des premiers rangs, s’attachant d’abord à une certaine Amorine de Strasbourg : « Un autre objet a chassé Elvire de mes pensées », dit-il en lui offrant des fleurs.


Avec une machinerie à l’ancienne, ses coups de tonnerre et ses beaux effets de carton-pâte, Jean-François Sivadier, Nicolas Bouchaud et son équipe ont pris l’option d’un théâtre ludique. Le public adore l'irrésistible Lucie Valon dans son rôle de Bécassine et de clown, ainsi que Stephen Butel qui lui donne la réplique, dans un gallo venu de la nuit des provinces. L'extraordinaire et bondissant Nicolas Bouchaud joue avec la diction et en tire de très beaux effets comiques. Ainsi dans la phrase : « et tout le plaisir de l’amour est dans le... ? Dans le... ? Changement! », où il retarde le dernier mot comme un politique ou un maître d’école.
S’il est clair que Dom Juan avait toute la sympathie de Molière, c’est qu’il est aussi une figure du comédien. Irréductible au principe de réalité, il ne rembourse aucune dette, ne doit rien à personne. Un antihéros qui disparaît corps et biens, purement éclipsé. Dom Juan l’insaisissable est bel est bien comme ces héros Marvel d’aujourd’hui, qui ne meurent jamais.
Daniel Morvan.

Lundi 12 décembre 2016 à 20 h 30, mardi 13, mercredi 14 et jeudi 15 à 10 h, vendredi 16 à 20 h 30 et samedi 17 à 19 h. Au Grand T (Nantes), tél. 02 51 88 25 25.

mercredi 16 novembre 2016

5e hurlants: la persévérance de l'araignée

© Georges Ridel

Raphaëlle Boitel revient au Grand T avec cinq jeunes artistes issus de l’académie Fratellini.

Je voudrais vous parler de la persévérance, nous dit Raphaëlle Boitel, metteur en scène de la compagnie L’oublié(e). La persévérance des chats, celle des araignées et des hommes. Elle a travaillé treize ans avec le petit-fils de Charlie Chaplin : il y a sûrement un lien (de transmission) entre cet artiste des chutes et le travail de la jeune chorégraphe. Son goût des pieds dans le plat, des orteils qui ripent, des glissades sur les fesses.
Il y a longtemps que vous n’avez pas entendu ces rires clairs dans la salle ? Ces rires premiers, ceux du clown qui se casse la figure ? Et le vôtre, il se porte comment ? Il ira encore mieux quand vous aurez vu 5e hurlants. Un spectacle qui raconte le spectacle, nous le montre en train de se faire. Une suite de numéros, qu’on applaudit, avec de la belle musique, pour illustrer le proverbe : « Sept fois à terre, huit fois debout ».
Deux jeunes femmes et trois jeunes hommes qui jonglent, s’élèvent et chutent en musique. Le tout dans un espace clair-obscur, tendu par les tire-forts, sous l’œil d’un gros projecteur roulant, lieu sombre pour de belles fulgurances : Julieta au cœur de son cerceau et dans ses agrès, Aloïse en contorsion et glissades, Salvo dans ses sangles, Alejandro jonglant et Loïc hésitant virtuose sur son fil. Pour ce troisième opus de cirque chorégraphié, Raphaëlle Boitel nous raconte la naissance du merveilleux, la conquête de l’espace et l’invention de la précision par des artistes par ailleurs normaux, amoureux et maladroits. Un poème de la fragilité et de la force, et du trajet qu’on rêve tous de faire de l’une à l’autre, dans les deux sens.
Daniel Morvan.

© Georges Ridel
Ce jeudi 17 novembre, à 20 h, vendredi 18, à 14 h, et samedi 19 novembre, à 19 h. Grand T de Nantes. Tarifs : 25 € et 21 €. 

Annie Ernaux au théâtre: L'hyper est notre humeur


« Sur le tapis roulant, sous la verrière, on monte vers les guirlandes et les illuminations qui pendent comme des colliers de pierres précieuses ». « Regarde les lumières mon amour », c’est le titre du livre d’Annie Ernaux, qu’elle a écrit au fil de ses observations à l’Auchan de Cergy-Pontoise. Zone aveugle, « l’hypermarché offre autant de sens et de vérité humaine que la salle de concert ». Un lieu révélateur sur notre façon de « faire société ». Empoigner ce texte pour en faire spectacle, c’est l’autre pari de Marie-Laure Crochant, metteur en scène nantaise.
Avec sa comédienne Marilyn Leray, elle sait jouer sur la fausse banalité d’un lieu pourtant contraint, lieu de liberté surveillée, d’injonctions incessantes, de slogans (« la vie, la vraie ») de rituels (le passage en caisse automatique) et de contrôle général.
Un dressing modulable permet de faire évoluer l’espace, de cette fausse banalité à la fantasmagorie la plus effrayante, dans une mer de plastique qui nous rappelle le Vortex de Phia Ménard. Oui, l’hyper est encore dans nos humeurs et nos rituels pour quelque temps. Et Marie-Laure Crochant nous montre combien nous y sommes spectateurs de nous-mêmes et des autres.

Daniel Morvan

dimanche 13 novembre 2016

Le Silence des chauves-souris : la grâce des exilées

Le silence des chauve-souris, création 2015 de la Grange-aux-belles

Critique
Présentée en octobre 2016 au Studio Théâtre, la pièce "Le silence des chauve-souris" raconte l'histoire de deux femmes en fuite : l’une échappe à la guerre, l’autre à l’amour. Le chant de leurs incertitudes est mis en scène avec grâce, malgré quelques flottements…

Deux histoires, celles de Maya et Nour : l’une a dû faire son sac en cinq minutes pour quitter une histoire d’amour. La seconde a dû faire son sac en cinq minutes pour quitter son pays en guerre.
Dans leur colocation, sur leurs lits superposés, les deux femmes rongent leur frein et soliloquent dans un silence de mort. Née d’une rencontre de l’auteur et metteur en scène, Anaïs Allais, avec une jeune femme ayant fui la Syrie, la pièce sonde cet intervalle de stupeur situé entre le moment des bombes et le retour de la parole : « Ce que vous allez entendre, vous allez certainement vous en foutre. Qu’il soit question de guerre ou pas, vous allez vous en foutre aussi. […] Mais ce n’est pas parce que vous n’avez pas connu la guerre que vous ne la connaîtrez pas. Et ce n’est pas parce que vous n’avez pas connu la guerre que vous n’avez pas connu la guerre. »


Pas sûr de tout capter


Comme ces chauves-souris guidées par écolocation, en émettant 180 cris à la seconde, les deux femmes sondent le silence des humains. Le nôtre.
Présentée par le TU dans le cocon du Studio théâtre, la pièce bénéficie d’une belle scénographie, un rideau scindant l’espace intime et celui de l’adresse au public. Comme le dit le texte, le spectateur n’est pas sûr de tout capter, partageant lui-même l’état de stupeur des personnages.
Sommes-nous bien d’accord sur ce qui constitue le « cœur du scénario », ce qui fait qu’on veut savoir la suite ? L’irréalité des scènes se justifie par ce que vivent les personnages, moins par ce que vit le spectateur. Il flotte, jusque dans les scènes qui forment l’ancrage réaliste de cette pièce, au risque de trop nous tirer vers le poncif « amateur » des parcours administratifs et médicaux : les visites à la préfecture, chez l’ophtalmologiste, le dermato ou le gynéco. C’est drôle, mais un peu bateau.
Manque sans doute un fil rouge qui dynamiserait ce spectacle long, et une intrigue plus marquée qui permette de suivre le beau texte d’Anaïs Allais. Celle-ci, jeune et prometteuse auteure/actrice, n’en impose pas moins un univers très fort qu’on attend de retrouver dans des pièces plus lisibles.
Et, pour tenter de rattraper la goujaterie de cette critique, saluons la beauté des images scéniques produites par Anaïs Allais. C’est une belle loi du théâtre, toute œuvre a son moment de grâce absolue, qui rachète les souffrances du spectateur. Mardi soir, ce fut un merveilleux moment de tango. Juste quelques pas argentins sur la piste, qui tout d’un coup, vous soulèvent de votre siège.

Daniel Morvan.
Le 4 avril 2017 au Théâtre de l’Hôtel de Ville à Saint-Barthélemy-d’Anjou

samedi 5 novembre 2016

Faire du théâtre amateur à Nantes: les bonnes pistes


Comédien dans l’âme, vous connaissez par cœur les répliques des Tontons flingueurs, ou celles de Cyrano de Bergerac ? Pas d’hésitation, bougez-vous !

L’agglomération nantaise foisonne de propositions : centres d’animation, écoles de théâtre, conservatoire, ateliers… Procurez-vous l’indispensable « guide des pratiques artistiques », annuaire nantais des activités artistiques amateur (1). Une pléthore de propositions, pour cultiver son art scénique sans forcer sur les vieilles dentelles. Mais avant tout, quelques recommandations pour s’y retrouver !

Précisez votre besoin
Selon que vous cherchiez à améliorer votre aisance en public, perfectionner votre diction bafouillante, renforcer votre charisme ou désamorcer l’agressivité de votre chef de service, l’offre est différente.

Testez le cours
Il faut tester le cours, afin de vérifier que vous avez les atomes crochus avec les pédagogues. Sur le papier, c’est formidable, mais en pratique ?

Évitez les cours surchargés
Inutile d’insister si votre atelier entasse les apprentis acteurs pour faire du chiffre. Cinq, sept élèves, c’est bien. Trente, c’est injouable !

Gardez-vous des gourous
On ne s’improvise pas plus prof de théâtre que maître cuisinier. Une autoformation succincte ne suffit pas. N’hésitez pas à demander le diplôme. Et si le prof est un gourou à tendances narcissiques, changez de crémerie.

Préférez les pros
Corollaire : vous êtes amateur, préférez les professionnels. De nombreuses compagnies pros locales et régionales proposent des cours. Il suffit donc d’aller consulter leur site, pour vérifier qu’elles font bien du théâtre et ont su conquérir leur public. C’est un gage de qualité, qui n’est pas liée au prix d’inscription.

Quelques bonnes pistes
Parmi les compagnies nantaises réputées, en voici quelques unes à recommander pour leur sérieux pédagogique : la Ruche, théâtre de l’entracte (tél. 02 51 80 89 13) ; Banquet d’avril (tél. 06 89 08 43 38) ; la Lina (ligue d’improvisation, tél. 02 40 30 11 76) ; les Aphoristes (tél. 09 52 71 15 72) ; le Théâtre nuit, branché comédie musicale (tél. 02 40 69 00 47) ; la Fidèle idée (pratiquestheatrales@lafideleidee.fr)…
À cette liste non exhaustive, il faut ajouter les stages proposés par le Grand T, le Pont supérieur ou l’Université permanente.
Parmi ses nombreuses activités, le pôle de la vie étudiante propose aussi un atelier de pratique théâtrale chaque mercredi au Théâtre universitaire. Gratuit, ouvert aux étudiants et aux personnels de l’université.
Daniel Morvan.

(1) Le guide des pratiques artistiques 2016-2017, édité par la ville de Nantes. Il recense toutes les compagnies, associations et structures assurant cours ou formations (en musique, chant, danse, théâtre et cirque). Gratuit, dans les lieux culturels ou à la Direction du développement culturel, 2, rue de l’Hôtel-de-Ville, à Nantes.
La fidèle idée, l’une des compagnies que nous recommandons pour la qualité de leur formation.

vendredi 4 novembre 2016

Cet acrobate qui déplie l'espace de Georges Pérec



Théâtre. Le metteur en scène Aurélien Bory rend hommage à Georges Perec, dans sa création intitulée Espæce. Un spectacle sans mots mais qui évoque l’enfance de l’écrivain. Une merveille de mise en scène, de scénographie, et une lecture inventive de Pérec.







Comédien, acrobate, directeur artistique de la compagnie 111, Aurélien Bory aime mêler théâtre et cirque, opéra et contorsionnisme. Sa spécialité est de plonger des artistes dans un univers inconfortable, et de voir ce qu’ils deviennent : plan incliné, chapiteau caoutchouteux ou forêt de fils, ils sont toujours confrontés à un espace singulier, riche de surprises et de machineries.

Espæce, sa nouvelle création, a pour origine un livre de Georges Perec, Espèce d’espaces. Présentée cet été à Avignon, cette courte pièce démarre sur un espace vide. Qui va se remplir «comme dans un cauchemar », dit Aurélien Bory.
« Perec était un arpenteur d’espace, il marchait beaucoup. En lisant ce livre, j’ai eu l’intuition de ce spectacle et de son sujet : Un espace inhabitable que l’espèce va tenter d’habiter. Contrairement à mon habitude, je pars d’un plateau nu, et de la disparition de l’espèce. »

Conceptuel ? Un brin. Il faut être joueur, aimer les puzzles, énigmes et clefs secrètes : « Je pars de cette phrase du livre de Perec : Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner. »
Tout un programme. Et toute une histoire, celle de Georges Perec, dont l’œuvre est hanté par la disparition - titre d’un de ses livres. Ses jeux de mots les plus anodins, en apparence, portent l’ombre du 3e Reich et de la mort de sa mère, Cécile/Cyrla : ses traces sont disséminées dans l’œuvre. elle est dans W ou le souvenir. Le « W » du titre, c’est celui d’Auschwitz, où fut déportée sa mère en 1943.

« La raison première de son écriture est l’autobiographie. Il dit vouloir laisser quelque part un sillon, une trace, une marque ou quelques signes. »
Écriture d’une pudeur extrême, jouant avec les vrais souvenirs (les « scènes primitives »), et celles qu’il imagine. Quel écho ceci éveille-t-il dans l’imaginaire de Bory ? « La question des espaces flottants, le fait d’être de nulle part constituent mon rapport au monde et au théâtre… Le théâtre, c’est l’endroit d’où l’on voit. » Et d’où l’on imagine mieux ce que la vie a décidé de rendre flou : enfance, mère disparue, voici qu’ils retrouvent leur lieu et leur espace. Une espèce d’espace.

Daniel Morvan.

« Espæce » est l’au-revoir d’Aurélien Bory au Grand T. Il clôt six ans de compagnonnage avec la salle de Loire-Atlantique, où quatre de ses onze spectacles ont été créés, depuis 2011 : Géométrie de caoutchouc, Plexus, Azimut et cette année Espæce.