Pourquoi des poètes? Parce que les prisons © YLM Picture |
Issues (création théâtrale proposée en janvier au TU Nantes) n'est sans doute pas un texte sur la prison, mais la prison en est le pré-texte: la pièce de Samuel Gallet a pour cadre exclusif un centre pénitentiaire. En prison! "Quel est le sabre
effilé qu'on ne place pas dans son fourreau?" interrogerait un
poète arabe. Le sabre ne demande qu'à être brandi. Mais par qui?
Le voici, ce défourailleur, cet extraterrestre:
un animateur d'atelier d'écriture. La poésie et la prison
sont liés par un lien substantiel, celui de la captivité heureuse, de
Stendhal à Genet, sans oublier Verlaine. Pourquoi des poètes? Parce que les prisons.
L'amour du verbe contre l'épaisseur des murs. Pourtant il ne sera pas ici question de poésie dans les fers, ni d'une éclosion lyrique acceptant le cadre imposé, mais plutôt d'une expérience d'effraction, d'une transgression génératrice de sens.
L'amour du verbe contre l'épaisseur des murs. Pourtant il ne sera pas ici question de poésie dans les fers, ni d'une éclosion lyrique acceptant le cadre imposé, mais plutôt d'une expérience d'effraction, d'une transgression génératrice de sens.
La
première partie de la pièce, très rythmée, décrit l'affrontement
des deux univers: celui des prisonniers, pour qui les mots sont
rares, violents, et celui de l'animateur qui a lu Kerouac, et qui
assure qu'il suffit de libérer les mots, de découper les signifiants et de les recoller au hasard pour qu'un
sens profond en surgisse. Il leur explique les libres associations, les techniques destinées à tromper la censure, comme le "cut-up"
des poètes beatniks. Cette première partie, séquencée, pédagogique, se suit aisément avant la longue mise en orbite qui suit.
L'univers carcéral est évoqué dans une
scénographie maîtrisée, qui oppose l'espace de l'atelier, havre de culture dans un univers âpre, et le
reste de la prison évoquée par les sons "off". La fiction se débloque par l'évocation des femmes, et sur l'idée
farfelue de travailler sur le Lystrata d'Aristophane, qui met en
scène la grève du sexe menée par des femmes pour obtenir la paix.
Un
rebelle déjanté, joué par Nicolas Richard, propose d'inverser le
propos. L'idée est un peu tordue, mais les trois comédiens apprentis écrivains (Giuseppe Molino,
Denis Monjanel et Gilles Gelgon) acceptent d'incarner des femmes qui
refusent cette grève. Cette prise du pouvoir littéraire par trois
détenus est l'idée centrale de la pièce, théâtre dans le théâtre. Les prisonniers deviennent performeurs et se laissent emporter sur une histoire de
flingues, de virée en bagnole et de méchoui.
Soudain, ils se trouvent
devant une partition vierge, et improvisent une dramaturgie free
style au bout de laquelle, peut-être, nés de leurs propres fables, ils seront d'autres hommes? Si l'on manque de la patience nécessaire au métier de spectateur, on peut trouver que l'exercice épuise ses charmes en s'étirant, se privant de la concision qui faisait la force de l'acte d'exposition.
Hors cette réserve, on admire cette urgence précise avec laquelle la percée théâtrale des
trois comédiens et martyrs est conduite par Simon Le Moullec, avec ses
comédiens très convaincants qui jouent sans afféteries le travestissement, au milieu du fracas des portes et la bande-son électro. "Nous
sommes tous dans nos prisons, assure Simon Le Moullec, et nous
devrions plus souvent nous amuser avec le cut up de la vie!" Évasion réussie.
Daniel Morvan
Jusqu'au
12 janvier au TU Nantes, 20h30. Durée: 1 h 45. Issues, texte de
Samuel Gallet, mise en scène Simon Le Moullec. Création de Les
Eclaireurs Compagnie, coproduite par la Fonderie Le Mans et le Grand
T à Nantes. Coréalisé par le TU Nantes/Le Grand T, dans le cadre
du dispositif Voisinages.
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