La
dernière page de ce livre se referme et, comme ses héros, on
n'éprouve plus rien d'autre que l'amertume des
atterrages. Rejetés sur le bord par une
histoire trop forte, pleine de bruit et de fureur, qui puise dans la
tradition lointaine des grands romans maritimes. Nul besoin d'en
appeler aux arguments de la "grande fable contemporaine",
de la métaphore du voyage comme image de la vie. Sylvain Coher va
plus loin que dans son roman précédent, Carénage,
plus loin dans la composition d'un roman qui est à la fois roman de
mer, thriller
empruntant ses procédés au cinéma (celui du flashback), roman
d'amour (dans une géométrie triangulaire) et enfin roman
fantastique, jusqu'à frôler l'horreur. La comparaison avec le
précédent livre se justifie par l'importance accordée au
"véhicule": la moto de Carénage
nous faisait approcher les héros modernes à la James Dean, le
bateau de Nord-nord-ouest
(une sorte de day-boat pour les pique-nique nautiques) est lui aussi
un explorateur de limites (ces "points de repère éternels sur
les grands chemins du monde" dont parle Loti, cité en fin
d'ouvrage), et cette liberté rêvée, effrayante, semble avoir pris
la place de la baleine blanche d'Achab dans Moby
Dick.
Capitaines courageux
Le nom du bateau, Slangevar (slainte!
santé, en gaélique) est ironique mais contient aussi le secret de
la destination de cette arche. La dimension initiatique est un autre
point commun, ce roman ayant pour personnages trois jeunes gens en
fuite, cousins de Tom Sawyer et des Capitaines courageux, prêts à
tous les risques, à transgresser l'interdit de la frontière (en
ceci, frères de tous les émigrants), pour accéder à une vie
nouvelle. L'auteur ne révèle pas la raison de cette fuite,
réservant ce moment à l'un des épisodes les plus critiques de la
traversée, pour conjuguer la révélation d'une menace au risque
mortel qu'il fait prendre.
Les
références à la peinture sont aussi fortes que celles qui évoquent
Jules Verne, Edouard Peisson, Victor Hugo (et ses encres marines bien
présentes dans les scènes de tempête)... L'unité de l'ouvrage
tient à sa manière de nous conduire vers un sens apparent très
binaire (l'opposition première entre terre et mer contenant celles
de la jeunesse et du destin, du huis clos et du ciel pur, de
l'enfermement et de la liberté) qui ferait de l'océan le lieu de la
purification des fautes commises à terre. La révélation tardive
vient surprendre le lecteur dans ses attentes, les trois novices
engagés dans une course désespérée apparaissent alors comme de
vrais héros. Le récit en vient ainsi à dépasser la proposition
dramatique de départ: "manquer d'expérience ne peut conduire
qu'à l'échec et à la mort" devient: "l'expérience la
plus grande s'acquiert dans la confrontation au risque de mort".
C'est même le ressort principal du roman d'apprentissage qui, c'est
la loi du genre, débute dans les tavernes, où l'on chante dans les
langues officielles de la mer, l'anglais et le breton. Avec ce fier
proverbe, devise de tous les aventuriers: An
hini n'eo ket un aotrou en e vro N'en deus nemet mont d'ur vro all
hag e vo (Celui
qui n'est pas un monsieur dans son pays, qu'il aille dans un autre et
il le sera). Sylvain Coher nous offre un magnifique roman de mer,
puisant dans sa propre expérience de voile, ses souvenirs malouins,
pour le nourrir du beau
vocabulaire nautique, de sorte qu'il n'est rien de plus précis
que ce roman des vagues. "Le ciel se maintenait dans une sorte
d'obscurité laiteuse venant tremper dans l'eau noire. Slangevar
multipliait les effractions. Plus bas, les bêtes suivaient la
progression de la quille qui déchirait leur ciel. Avec les fragments
luminescents d'une étoile filante. Le grain les surprit et leur
ferma la vue, aussi radicalement qu'un poing ganté. Il leur sembla
glisser sur un tapis roulant, vers un gouffre dont ils percevaient la
rumeur."
Daniel
Morvan
Sylvain
Coher: Nord-nord-ouest. Actes Sud, 268 pages, 18,70€
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