vendredi 15 juin 2018

Baudelaire, ce walking dead

Baudelaire (daguerréotype, 1850)

La rue de Rivoli à l'heure des soldes. Sur le trottoir, un homme meurt dans l'indifférence d'une foule rivée à ses smartphones et à son pouvoir d'achat. Personne ne peut reconnaître le poète maudit du Spleen de Paris. Revenu parmi nous, non en dandy mais en vagabond, sans abri, mort-vivant ou "walking dead" de série TV, Charles Baudelaire? C'est la drôle d'idée d'Eric Chauvier: déplacer le poète dans le décor qu'il a lui-même prophétisé, en poète de la vie moderne, de la rue libérale, du règne de la marchandise, de ses passantes. 
Baudelaire n'est pas seulement le théoricien de la modernité artistique, mais aussi le sociologue de la société industrielle. Né dans une capitale encore terrorisée par les épidémies de choléra, il est un grand témoin du Paris d'Haussmann, érigé par les puissances de cette révolution rapide à laquelle la ville doit sa découpe en arrondissements, ses places en étoile, ses boulevards, ses halles, ses ponts, ses jardins, ses égouts et son éclairage. 
Abreuvé de toutes ces métamorphoses, Baudelaire saura fondre toutes ces expériences dans un formidable élan transgresseur, réunissant dans le même creuset poétique les femmes, la mort et Paris, comme le dit Walter Benjamin cité en exergue. Cet homme qui gît sur le trottoir a, nous dit Chauvier, "dans une langue qu'aucune sociologie n'égalera jamais en pouvoir d'analyse", inventé le concept de flânerie. "Il en a quasiment conçu le slogan: "Jouir de la foule est un art".
D.M.

Éric Chauvier: Le revenant. Allia, 2018. 78 pages, 7,50€.

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