Le Caire, 23 juin 1999, avec le groupe nantais Orange Blossom.
Contempler au Caire les momies pénétrées de bitume et de natrum, le masque d'or massif de Toutankhamon, surmonté des têtes d'un vautour et d'un cobra, les deux déesses tutélaires d'Égypte, visiter le souk en compagnie d'un supplétif en chemise verte portant un pistolet automatique dans la ceinture, humer les parfums de la reine Nefertiti dans la caverne d'Ali Baba.
Depuis le minaret de la mosquée Ibn Toulon, la plus ancienne de la ville, le regard plonge sur les terrasses des immeubles où se promènent lapins, oies et dindons, au-dessus des places bardées de calicots félicitant Hosni Moubarak pour sa réélection.
Depuis le minaret de la mosquée Ibn Toulon, la plus ancienne de la ville, le regard plonge sur les terrasses des immeubles où se promènent lapins, oies et dindons, au-dessus des places bardées de calicots félicitant Hosni Moubarak pour sa réélection.
Le Caire, ville inépuisable, plusieurs villes dans la ville, ici un métro en chantier, là des enfants qui jouent pieds nus avec un petit chien. Il est pourtant un lieu de paix incomparable, le pont Kasr-el-Nil, où l'on regarde passer les lotus bleus arrachés des rives du lac Nasser, sous les yeux de jeunes femmes qui, aux yeux du voyageur, semblent avoir le même mystérieux sourire, la même carnation de bronze et les mêmes yeux, agrandis par une ligne d'antimoine, que celles qui furent les modèles d'Hâtor. Sur les rives, les vedettes à passagers se délabrent, clouées à leurs pontons depuis un sinistre jour de novembre 1997 et l'attentat de Louxor qui a paralysé le tourisme.
2000 : Jarre et la Sainte Famille
Mamdouh El Beltagy, ministre du tourisme, nous annonce les deux créations destinées à marquer le passage à l'an 2000 : un concert de Jean-Michel Jarre sur le plateau de Gizeh et la création d'un itinéraire touristique sur les pas de la Sainte Famille lors de la Fuite en Égypte, du Sinaï jusqu'au vieux Caire. Mamdouh El Beltagy nous expose sa conception de la culture : « Un Égyptien est par définition soi-même et l'autre, étant issu du croisement de multiples cultures. Il n'y a pas de races ni de minorités égyptiennes. »
L'unité de la basse et de la haute Égypte, du papyrus et du lotus, est depuis toujours l'obsession des Égyptiens, et le ministre nous indique qu'il désavoue l'expression de « musique nubienne », à laquelle il préfère celle de « musique égyptienne de Nubie. »
A croire M. El Beltagy, la musique traditionnelle ne risque pas la disparition, contrairement à ce que Mostafa Abdelhaziz dit de la pratique déclinante de l'arghul. « L'arghul, explique le ministre, est un instrument du peuple. Connaissez-vous la légende ? Un pharaon, trouvant cet instrument trop puissant, a chassé l'arghul de l'orchestre royal. Le peuple l'a repris et a maintenu cet instrument jusqu'à nos jours. L'arghul est un instrument rebelle. » Et très difficile à jouer : Mostafa tente de l'enseigner à son fils de 17 ans, Amr, mais ce dernier ne parvient pas à maîtriser la technique de respiration continue, qui est « un don de Dieu. »
Un concert patchwork
Le premier concert d'Orange Blossom et Ganoub a lieu dans une agora à ciel ouvert à l'intérieur de l'Opéra du Caire, qui annonce pour la fin de l'année un « Aïda » pharaonique. Le spectacle est gratuit mais le cordon rouge qui clôt l'enceinte et le détecteur de métaux à l'entrée en réserve l'accès à la gentry des ambassades. Dans cette ambiance un peu coincée, anxieux, les Nantais ont la lourde tâche de produire les fruits de leur résidence création, et de payer en retour ceux qui l'ont financée.
L'entremêlement des sons traditionnels et des nappages de samplers lancés par JC, le contraste entre la gestuelle introvertie du chanteur et la placidité du « crooner » nubien Khedr el Attar, et même les différences vestimentaires (le tee-shirt « Adidas » orange de JC, la djellaba noire de Mostafa) accroît l'effet « patchwork » de ce premier concert.
La « qanoun » (musique classique arabe) et la techno vont pourtant s'emboîter grâce à une bonne communication des musiciens. Saleh, à l'accordéon, a les yeux rivés sur PJ, au violon, qui lui indique quand il doit se lancer. Le public est subjugué par la voix de Kedhr, qui s'accompagne au luth ; la fusion de ces mélopées lointaines et du groove électro parvient souvent à soulever l'émotion d'une communication intersidérale, d'un dialogue entre planètes et temporalités que des années-lumière séparent.
Le jasmin du Pont des soupirs
Ce premier concert impressionne par la beauté du rapprochement des musiques populaires et des machines. JC lance ses sons échantillonnés sans intervenir sur eux en cours d'exécution. La techno joue le rôle de toile de fond, devant laquelle alternent les morceaux de rock à tonalité « british » d'Orange, et les mélopées envoûtantes de Ganoub. La confrontation est parfois abrupte, parfois idéale; les Nantais mouillent leur chemise, PJ en transe veut entrer avec son violon gitan dans son ampli de retour ; Carlos, le percussionniste, vole naturellement la vedette à tous les autres. La venue de Ganoub au festival d'été de Nantes promet d'être un grand moment. Et puis il faudra quitter le Caire, traverser sous les acacias la nuit tissée de klaxons, une dernière fois prendre le pont Kasr-el-Nil où les adolescents rêvent devant les eaux du fleuve, en humant un bouquet de roses ou un collier de ce jasmin qui ne se récolte que la nuit.
Daniel MORVAN.
Daniel MORVAN.
mercredi 23 juin 1999
1414 mots
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