Remarier la harpe et le lutrin en misant sur la complicité du bouzouki et de la bombarde, la connivence entre une voix galloise et un piano classique, les affinités d'un pipeband écossais et d'une flûte traversière : le concert total eu lieu le samedi 26 juillet 1993 à Quimper, place de la Résistance, pour plus de 5 000 spectateurs.
Les straps sur la table de mixage annoncent ce qui va se dérouler : 64 entrées de micros, un casse-tête de réglages, de pense-bêtes, des petits cœurs pour les chœurs et des bouches pour les voix. A cet instant, l'ingénieur du son tient entre ses doigts le silence et la vie de 75 musiciens, avec ses effets qui créent autour d'une guitare l'espace d'une cathédrale.
«Une grosse usine à gaz dont on se demande par quel bout elle va exploser!» commente un journaliste. D'explosion, point ou presque. Seulement une poussée d'adrénaline lorsque qu'Eithne Ni Uillachean se retrouve sans micro. Anicroche vite réglée en console, et la musique se déroule, alternant l'intimisme des voix et l'essaim dantesque des bourdons et des anches. Un kaléidoscope musical s'ouvrant sur un air de biniou.
Avec Donal Lunny et sa section rythmique de haut vol (Eoghan O'Neill, basse, et Ray Fean, batterie), Dan Ar Braz appareille pour l'Irlande, sur la voix cristalline d'Eithne Ni Uillachean, le son nappé de Patrick Péron et son ampli de concours Lépine. Il sort de son chapeau l'ami Gilles Servat, vêtu en petit matelot : « J'ai rencontré ce matin... » Et le petit-fils du montreur d'ours chantera à faire pleuvoir les hermines, puis «Sur la route de Quimper», son tube country-euphorique. Le Bagad Kemper et la guitare de Gilles Le Bigot : l'union du rouleau compresseur et du bouton d'or.
« Part six : Rain » est-il écrit dans le document de travail du concert. Or Dan ar Braz se mélange les pinceaux et annonce la partie n° 7, une évocation des disparus écrite par Paul McCartney. Simple accroc qui a le mérite de détendre l'atmosphère. On reprend. Retour à la pluie d'Écosse, véritable défi jeté à une météo providentielle bénie des 5 000 spectateurs, auxquels s'ajoutent le public massé sur les quais et sur le mont Frugy laissé ouvert. Justement, pas Rain: un ciel radieux pour un raid nocturne, mené par le pipe band calédonien et le bélier quimpérois. « Les orteils qui vrillent ! » suffoque le producteur du spectacle, Jacques Bernard. Frisson qui va se prolonger avec le «Caledonia» d'Elaine Morgan. Culmination avec «Elisiza» de la belle Elaine, et le rêve réalisé sous nos yeux en engendre un autre: cette voix et cette guitare ensemble sur tout un répertoire.
Le manifeste électrique de la vague celtique
La suite se nommera Alan Stivell, silhouette mythique derrière un triskell d'argent martelé. En dilettante élégant, il tire de sa harpe bruinante et de sa bombarde toutes les féeries des années 70, à deux pas du quartier quimpérois du Styvell qui lui donna son nom, sur les bords de l'Odet. Ouverture majestueuse du « Spered Holl Vedel » de Dublin, « Tri Martolog ». Prudent, le harpiste garde ses distances, mais Dan fait sauter les bouchons: c'est le « Pop plinn » de la génération de 1975, manifeste électrique de la new wave celtique et pièce à conviction de son génie de guitariste.
Et ce son, mais ce son ! Le final ? Ah oui, le final ! C'était sur quelle planète, déjà ? Je me souviens, sur « Borders of Salt », du regard lancé par Donal Lunny à Dan, qui voulait dire : « Eh bien mon cher Dan, c'est bien ça que tu voulais, n'est-ce pas? »
Everybody on stage, 75 musiciens pour un bœuf infernal qui ne se reproduira pas de sitôt, un son énorme et parfait : c'est pour les dieux qu'on joue. On ne nous l'avait pas dit, que le Frugy est un volcan qui n'obéit qu'à une personne, un enchanteur nommé Dan ar Braz.
Daniel Morvan
paru le lundi 26 juillet 1993
822 mots
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