avec G.P.
J’aurai grand-chose à dire sur la campagne
la campagne n’est pas une illusion elle est le contraire
d’une illusion
habiter à la campagne ne procure pas un sentiment uniforme
et partagé de tous
ce sentiment peut prendre des formes opposées
dans un cas c’est le sentiment de l’espace qui domine
non par son immensité ni par la vastitude des plaines
c’est au contraire la sensation de clôture qui vous étreint
et que de champ en champ l’espace est une extension d’un foyer
soit dans l’autre cas l’admiration des beautés de la nature
et l’émerveillement
dans le premier cas c’est l’ennui qui prédomine
et l’idée que cet espace n’est objet d’aucune curiosité
il a toujours été là et le sera
même si tout a commencé par l’arasement
d’une partie du paysage et qu’un bulldozer jaune
s’est chargé de faire place nette — mais non de ce
qui faisait la beauté du paysage ses vallées ses ruisseaux
et tout ce qui se trouvait dans les creux
dans le second cas l’euphorie est reine
et vivre à la campagne ressemble à l’image
que s’en font les gens des villes — une biche
allaite son faon dans un petit bois
amour victorieux triomphe dans tout l'univers
la course des chatons de saules sur la surface d’une rivière
le festin de clôture des moissons — faites place au dieu du cidre
le passage des oies sauvages et au matin
le salut des pastoureaux au soleil levant
rien ne ressembla totalement à l’une ou l’autre des deux formes
on ne fut jamais tout entier son village
tout entier une réserve de chansons populaires
tout entier un savoir sur les récoltes les châtaignes
les champignons le miel la pêche à la truite
et on ne fut jamais totalement ville
totalement quelque part totalement ici
on était le mouvement celui qui va de la librairie
à l’étable celui du survol
de la cinémathèque française au champ de choux
des six mille litres de lait par an à Honoré de Balzac
aussi n’y eut-il jamais
de méditation sur la fuite du temps de vision pastorale
d’étreinte élégiaque au départ de la campagne
pour la ville — la seule émotion vraie les larmes de mère
qui éprouvait les moments-seuils ceux où
le plus-jamais se fait connaître d’un coup
de stylet dans le coeur
mère possède un sens particulier pour cela
et vous le ressentez au même moment
Ce serait
la troisième forme de sentiment propre à la campagne
ni la vastitude d’un espace arasé sur lequel
il faudrait faire entendre l’air du froid de King Arthur
ni l’ancrage dans une musique pastorale illimitée
mais le mouvement
le mouvement comme condition même de soi
la campagne serait ce qui se quitte pour toujours
elle serait l’espace du plus-jamais
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