lundi 22 février 2016

Pierre Bergounioux, écrire la vie

Sa mère est morte la veille des attentats de novembre 2015. Pour l'écrivain, les deux deuils, personnel et collectif, se mêlent.
©Pierre Bergounioux

« Je lis Spinoza après avoir mis deux lessives à sécher […]. Les années, à mon âge, ne durent plus. Je m’étonne, chaque matin, au réveil, de vivre toujours. Cela fait si longtemps. » Étonnant Pierre Bergounioux (né en 1949), qui publie le quatrième volume de ses Carnets de notes chez Verdier. C’est un vrai journal de bord, où se côtoient les chiffres de tension artérielle, l’effroi et le vertige, le chant des grives, les visites à la mère, Mam, dans sa maison de retraite. Ainsi sur plus de 1 200 pages, le tout formant une entreprise sans équivalent actuel, un journal à la Léautaud, auteur fétiche d’Antoine Doinel chez Truffaut.
Oui, il existe quelque chose d’intemporel dans cette course éperdue contre la montre, et la référence à Truffaut n’est pas si absurde dès lors que le style nait des tumultes de la passion, de la fièvre d’embrasser le vivant, jusqu’au plus petit événement de la vie : ici consignées, cinq années de la vie d’un homme ordinaire, qui ne prétend pas en extraire la part la plus noble, mais au contraire en saisir la part la plus friable, la plus fugace. Nul jugement, simplement le journal d’un Matinal qui se lève tôt pour avoir une chance de saisir l'éphémère et l'or du temps. Jusqu’à la date de la mort de Mam, qui s’éteint le 12 novembre, la veille des attentats de Paris : « Le paysage s’embue», en ce noir novembre 2015 qui emporte la mère et endeuille Paris. Le carnet de notes continue, comme une barque frêle mais obstinée lancée dans l’océan du Temps.
Daniel Morvan.
« Carnet de notes 2011-2015 », de Pierre Bergounioux, Verdier, 1 204 pages, 38 €.

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