Je suis l’araignée Kumo, 20 mètres d’envergure les pattes dépliées. Je viens promener mes 35 tonnes dans les rues de Nantes…
Agrandie mille fois |
Je suis Kumo, une araignée née en 2009 à Nantes. Vous croyez me haïr et vous allez m’aimer. Votre cœur va battre pour moi, le mastodonte dont vous rêverez bientôt, que vous embrasserez peut-être en songe. Pourtant, je n’ai ni regard véritable ni bouche digne de ce nom, mais les ballerines jalousent mes huit pattes grêles et les fauves, mes mandibules.
Je suis la fille de François Delarozière, ce bipède. Je pense qu’en me créant, c’est cette chimère qu’il poursuivait : m’agrandir mille fois. Et agrandir ses peurs. Un fantasme semblable animait déjà Jonathan Swift, auteur des Voyages de Gulliver. On dit que les rêves d’agrandissement viennent des crises, pendant lesquelles les fortunes enflent ou diminuent sans contrôle. Je suis la fille d’un rêve de croissance sans fin. On m’appelle The Princess à Liverpool, où je suis allée parader. Les Japonais me nomment Kumo-ni, l’araignée, d’où mon nom usuel, Kumo.
Appelez-moi comme vous voulez, je suis si peu de votre monde. Vous terriens, vous êtes des créatures ancrées. Vous vous élevez lourdement du sol. Moi, sans effort, je vous survole, je vous enroule dans un fourreau de soie, je vous chasse à courre ou à l’affût. Je suis fille de l’air, de l’eau et de la terre. Admirez-moi tant que vous pouvez, faites des réserves de féerie, car nous nous retrouverons. Et vous serez mes rouleaux de printemps.
Seize Lilliputiens manipulateurs
Accrochez-vous à des données, des chiffres, si cela vous rassure : admirez mes 13 mètres de haut, déployée. Mon envergure de 20 m. Mes quatre paires de pattes animées par huit manipulateurs, assis sur des sièges spartiates. Admirez les seize Lilliputiens qui s’activent à me donner vie : un conducteur pour le roulage, un autre pour régler l’assiette, un autre spécialisé dans ma tête et mes yeux opaques, deux autres pour l’abdomen, la bave, le venin, la soie.
Hors de mon corps, un bipède guide les manipulateurs et toute cette valetaille obéit à un directeur de manœuvre au sol, qui règle toute la dramaturgie : il est mon âme. Ce major Tom donne ses ordres par liaison radio intercom. Ça crachote dur dans le casque. Ce n’est pas du chant grégorien, mais l’effet est le même : chair de poule et frissons. Car vous avez au moins ça, minuscules humains : l’émotion.
Ma tripaille hydraulique
Fredette Lampre, mère poule de la compagnie La Machine, adore la tripaille de buses hydrauliques connectées à des joysticks. Pour rassurer, elle dit que je suis une princesse lunaire en déplacement, une reine de la nuit en tournée mondiale.
Les mécanos qui me démontent et me remontent rigolent de mon côté Soyouz, cette capsule spatiale soviétique. N’empêche que bouger huit pattes de 800 kg chacune, ça ne se fait pas au sang de navet. Je marche aux fluides hydrauliques et à la sueur des hommes.
Marrez-vous, bipèdes : tout à l’heure, vous ferez des selfies avec moi. Vous chercherez à lire dans mes yeux. Vous trouverez du mystère dans mon cœur diesel. Vous vous direz : c’est peut-être elle la mère de toutes nos colères, de nos défilés en ville, de nos frontières bravées, cette Kumo qui n’a même pas de regard. Avec ses yeux en sonnette de vélo, Kumo voit plus loin que les hommes fatigués. Si vous montiez sur ma carapace, pour voir l’avenir ? »
Daniel MORVAN.
L'autre araignée de La Machine |
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