jeudi 19 janvier 2017

Johan van der Keuken, l’homme à la caméra





Le festival documentaire nantais Hors format invite à découvrir l’œuvre d’un géant du documentaire, le néerlandais Johan van der Keuken. Passionné par le réel, il expérimente, explore, reste toujours accessible.

Entretien
Thierry Nouel, spécialiste et ami de Johan van der Keuken. Documentariste, réalisateur de Johan dans l’arrière cour et de Johan van der Keuken.

Quinze ans après sa disparition, quelle est l’influence de JVDK sur le cinéma documentaire ?
Une influence est toujours difficile à mesurer quand on est face à des auteurs d’une telle dimension. Johan van der Keuken réalise de 1957 à 2000 près de 60 films.
Successeur des grands visionnaires hollandais (peintres, architectes) tout en étant contemporain de la Nouvelle vague, il bouleverse (comme Godard pour la fiction) la question du regard, de l’écoute, du montage.
Il a marqué bien au-delà du champ du cinéma, par exemple dans les écoles d’art ou dans le milieu de l’art contemporain ; son approche sociale et politique, les relations poétiques entre mot et image, ce cinéma physique et abstrait questionne : comment voir et entendre ce qui nous entoure ? Qu’est-ce qui touche et nous révolte ?
Quelles sont selon vous les caractéristiques essentielles de son écriture ?
Le cinéma de Keuken procure un choc : celui de la découverte d’un univers intense et vivifiant. Il est un brillant cameraman, un compositeur sonore aux rythmes prenants associé à sa femme Nosh, ingénieuse du son subtile. Keuken est enfin un impitoyable moraliste ; car il peut être à la fois en empathie avec les humbles et lucide sur notre monde jusqu’à la cruauté, tout en restant parfaitement conscient de sa simple place d’homme à la caméra. Et son écriture fait exploser le récit classique en développant des couches d’histoires et des méandres d’émotion comme seuls les grands inventeurs de forme savent le faire.
Quelles sont les conditions qui ont permis à son cinéma de se développer ?
Johan van der Keuken appartient au mouvement progressiste des années 60-70. Il fait d’entrée scandale avec son livre de photos Nous avons 17 ans, puis revivifie le court-métrage (“Beppie” “L’Enfant aveugle 1 et 2”), interroge les mondes en crise avec sa grande Trilogie (“Nord-Sud”), puis avec un film précurseur sur l’écologie (“ La Jungle plate”).
Ensuite Keuken entreprend presque à chaque film un renouvellement de son style : ouverture aux cultures asiatiques, recherches expérimentales, œuvre totale avec Amsterdam global village. Mais curieusement il n’entrera pas tout à fait dans le Panthéon cinéphilique, ignoré d’une critique qui s’est détournée de sa mission, pour préférer les paillettes, dans les années 80-90. Le geste final de “Vacances prolongées” offre une des plus stimulantes méditations sur la vie, ses joies et ses angoisses, en un fascinant final.
Dans son œuvre, qui mériterait d’être bien davantage montrée, Keuken continua jusqu’à la fin de sa vie à explorer le monde, le cinéma et lui-même.
Pourquoi faut-il continuer à montrer et à voir ses films ?
Johan van der Keuken est accessible, transversal, unique. On ne peut le limiter au genre documentaire, car il interroge tous les genres, et les déborde en permanence, dynamitant le film-essai, le film de famille, détournant le film militant. Ou nous donnant des films-mondes puis de superbes films témoignages (“Sarajevo film festival film”) ou pédagogiques (“On animal locomotion”) toujours bourrés d’idées et d’humour. Il disait : Je suis un documentariste entre guillemets, qui se situe surtout du côté des guillemets.

Recueilli par
Daniel MORVAN.


Focus van der Keuken. Mardi 31 janvier 2017 au cinéma Concorde Nantes à 20 h 15 : Vacances prolongées, 2000.
Jeudi 2 février au Dix (Nantes) à partir de 19 h, prix libre : Autour de Johan van der Keuken, un verre à la main : projections et débat animé par Thierry Nouel. Courts métrages : Beppie, 1965, 38 min. Sarajevo Film Festival film, 1993, 14 min. On animal locomotion, 1994, Pays-Bas, 15 min.
 

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