Katia, fille d'ingénieur, et René, fils d'un chauffeur des charbonnages : deux habitants du bas Chantenay, où les générations se côtoient dans l'harmonie. |
« Chantenay la rouge » fêtait en 2004 le centenaire de sa mairie. Sa construction fut le dernier acte d'indépendance d'une commune longtemps considérée comme mal famée. Passant outre cette mauvaise réputation, une nouvelle génération de « bobos » aime vivre à Chantenay, et cohabite harmonieusement avec sa population d'origine ouvrière.
Ici à Chantenay, on n'y va pas au brise-glace pour causer. Il y a toujours un moment où le cadre, la prof, le journaleux, la théâtreuse, sont bien contents d'avoir un voisin comme René pour bricoler un lavabo. Ici, on ne cohabite pas, on débarque avec la clef à molette et on repart avec trois invitations à l'apéro, un projet de fête de rue, un point complet sur la situation des intermittents et une initiation à la plomberie. Pour la mixité sociale, ne cherchez pas : Katia la bobo et René le prolo sont tombés dedans.
Katia écarquille les yeux : c'était il y a combien de siècles ? Moins que ça fillette, puisque René est né en 1939. Sa mère, une orpheline de Bannalec, avait été placée dans une ferme. Son père, chauffeur aux charbonnages. « Ceux qui habitaient ici étaient tous manoeuvres, ils n'avaient pas de métier. Réussir, c'était devenir ouvrier. »
Katia, c'est autre chose. Née en 1970, papa ingénieur à Indret. Fac de science éco, chargée d'insertion puis coach d'artistes. Pas une cinglée de l'ascension à tout prix. « J'ai découvert Chantenay en allant aux concerts de l'Olympic. Une copine m'a dit, quand je lui ai annoncé que j'achetais à Chantenay : vous allez en baver, dans ce quartier ouvrier moche. »
Katia ne capte pas forcément tout quand René parle de l'octroi de la Croix-Bonneau, ancienne barrière d'origine féodale. Mais dès que le baroudeur attaque sur les souvenirs, Katia voit défiler le film en scope noir et blanc. « Avec les fumées de charbon, des engrais, Chantenay, c'était Liverpool. Épais comme ça de vélos à l'entrée des bistrots. On achetait tous les produits en vrac, en amenant son bidon ou sa bouteille. La marchande de sardines passait dans la rue avec sa trompette. On allait pique-niquer aux Dervallières, ou alors exceptionnellement, on prenait le train en bois pour passer la journée au Cellier. Sinon, on ne quittait pas le quartier : le ciné à l'Olympic, au Vox, le bal popu au salon Gutenberg, le bal breton du Cordon Bleu, le Bon accueil de la mère Postollec, avec le poêle et l'accordéon. Il y avait le look chantenaysien, on se faisait faire nos pantalons chez les tailleurs des quais, un tissu bleu avec deux poches sur le devant et le bas évasé, on pouvait pas nous confondre avec les bourges de Commerce. Et pour la castagne, il y avait ceux des Ponts. On allait les chercher et on se mettait sur la gueule. Quand j'y réfléchis, c'est pas si vieux. »
René en Marlon Brando sur les quais de Chantenay, avec son pantalon bleu. « Ça doit faire drôle tous ces changements, dit Katia. C'est vrai que les bords de Loire, quand il fait gris, c'est glauque : il faut aimer. Mais ici, tu te crois à la campagne. Sans rire. »
Réussir, c'était devenir ouvrier
C'est un peu tôt pour le rosé, mais on peut commencer par juste le regarder. Katia vient encore de tout chambouler chez elle. Un établi relooké a fait le tour du salon. L'établi retapé, avec sa mâchoire de serrage reconvertie en porte-bibelot : l'objet boboïque type. Ça fait sourire René, lui qui a connu cette rue Garibaldi au temps où « les soeurs Oblates, au couvent voisin, la descendaient pour amener leurs vaches paître dans le champ à côté ».Katia écarquille les yeux : c'était il y a combien de siècles ? Moins que ça fillette, puisque René est né en 1939. Sa mère, une orpheline de Bannalec, avait été placée dans une ferme. Son père, chauffeur aux charbonnages. « Ceux qui habitaient ici étaient tous manoeuvres, ils n'avaient pas de métier. Réussir, c'était devenir ouvrier. »
Katia, c'est autre chose. Née en 1970, papa ingénieur à Indret. Fac de science éco, chargée d'insertion puis coach d'artistes. Pas une cinglée de l'ascension à tout prix. « J'ai découvert Chantenay en allant aux concerts de l'Olympic. Une copine m'a dit, quand je lui ai annoncé que j'achetais à Chantenay : vous allez en baver, dans ce quartier ouvrier moche. »
Un seigneur du froid
Caricature qui ressemble peu à René, sorti du rang grâce à ses études de chaudronnerie, et devenu chef de chantier de montage frigorifique en Afrique du nord. Le seigneur du froid est toujours revenu à Chantenay. Il y a son « château » (une maisonnette avec jardin et volière de perruches, écran plasma géant) et son épouse, Nicole, qu'il a rencontrée alors qu'elle sortait d'un pensionnat religieux nantais, façon Magdalena Sisters.Katia ne capte pas forcément tout quand René parle de l'octroi de la Croix-Bonneau, ancienne barrière d'origine féodale. Mais dès que le baroudeur attaque sur les souvenirs, Katia voit défiler le film en scope noir et blanc. « Avec les fumées de charbon, des engrais, Chantenay, c'était Liverpool. Épais comme ça de vélos à l'entrée des bistrots. On achetait tous les produits en vrac, en amenant son bidon ou sa bouteille. La marchande de sardines passait dans la rue avec sa trompette. On allait pique-niquer aux Dervallières, ou alors exceptionnellement, on prenait le train en bois pour passer la journée au Cellier. Sinon, on ne quittait pas le quartier : le ciné à l'Olympic, au Vox, le bal popu au salon Gutenberg, le bal breton du Cordon Bleu, le Bon accueil de la mère Postollec, avec le poêle et l'accordéon. Il y avait le look chantenaysien, on se faisait faire nos pantalons chez les tailleurs des quais, un tissu bleu avec deux poches sur le devant et le bas évasé, on pouvait pas nous confondre avec les bourges de Commerce. Et pour la castagne, il y avait ceux des Ponts. On allait les chercher et on se mettait sur la gueule. Quand j'y réfléchis, c'est pas si vieux. »
René en Marlon Brando sur les quais de Chantenay, avec son pantalon bleu. « Ça doit faire drôle tous ces changements, dit Katia. C'est vrai que les bords de Loire, quand il fait gris, c'est glauque : il faut aimer. Mais ici, tu te crois à la campagne. Sans rire. »
Daniel MORVAN.
1: Bobo: Bourgeois-bohème, catégorie sociale hybride disposant de l'aisance bourgeoise mais attachée aux valeurs d'une « contre-culture ». Quartier massivement gentrifié, Chantenay est devenue « le » quartier bobo à l'ouest de Nantes.
QUOTIDIEN OUEST-FRANCE
samedi 4 septembre 2004
835 mots
Daniel Morvan
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire