dimanche 22 octobre 2017

Yves Tanguy, le Breton qui peignait dans un placard

Yves Tanguy avec Peggy Guggenheim, peu avant son départ pour les USA.





Yves Tanguy passa une partie de son enfance à Plestin-les-Grèves, et dans la région nantaise. Il se destinait à la Marine marchande, mais la peinture le conduisit vers des rivages qui ne figurent sur aucune carte. Plus célèbre à l'étranger qu'en France, le Breton fut le premier peintre surréaliste exposé aux Etats-Unis.

C'est l'un des premiers tableaux d'Yves Tanguy, et peut-être le plus beau : « Rue de la Santé » montre une artère qui monte, presque verticale, et que gravit un cycliste. Un drapeau tricolore pend à l'entrée d'une prison, et des immeubles semblent s'effondrer les uns sur les autres. Le tout est baigné d'une lumière froide, mentale. On comprend le coup de foudre d'André Breton pour ce tableau qui procède de « l'automatisme psychique pur ». Mais il n'avait encore rien vu.

Il peint dans un placard

Tanguy n'était certes pas le seul à chercher une peinture qui ne réponde qu'aux ordres de l'inconscient: Max Ernst, Miro, Masson, de Chirico, Dali suivirent cette voie, en insérant des objets familiers dans des univers oniriques, imperméables au langage. Tanguy seul peignit des paysages intérieurs habités par des êtres et des choses issus d'une imagination impulsive.


L'histoire commence à Montparnasse, où Tanguy partage un taudis avec Jacques Prévert ; une bagarre de rue leur permet de faire la connaissance avec Desnos et sa bande. Le poète découvre les toiles fraîches peintes par Tanguy, et diffuse dans tout Paris la nouvelle « d'un peintre très bizarre, il peint dans un placard ».
André Breton se précipite, le placard à balais est intégré à la forteresse surréaliste. Le soir, ils boivent énormément et jouent au « cadavre exquis », divertissement qui érige l'automatisme en principe d'écriture. C'est par ces exercices sur l'inconscient qu'Yves Tanguy fait brutalement surgir son univers méticuleux peuplé d'êtres-objets, en 1926. Un espace improbable, bien que tridimensionnel, avec son horizon laiteux et ses laisses de mer d'où émergent des formes cartilagineuses, homoncules auberginomorphes, aérolithes flasques, phoques tractés par des araignées, moustaches volantes et vertèbres enlisées dans des rougoiements utérins.

Le cousin d'Amérique

Ce sont « de faux paysages où rien n'est reconnaissable ». Même si, à l'évidence, s'y trouve l'image réverbérée des grandes baies bretonnes, en particulier de la grève de Saint-Efflam (Saint-Michel-en-Grève). Comme a pu l'écrire Patrick Waldberg, « la Bretagne engloutie carillonne au fond de son œuvre ».
Tanguy, peintre breton ? Individu et biographie sont très loin derrière l'œuvre, nourrie de nomadisme mental. Soit, on peut repérer quelques éléments: il est fils d'adjudant et de boulangère. Vacances adolescentes à Locronan. Il y amène ses amis avant que le cinéma ne s'en empare. Prévert, Eluard et Nush, Péret. Et Breton y découvre la Bretagne. Tout le reste n'est que folklore. À Plestin-les-Grèves (Côtes d'Armor), personne ne connaît Yves Tanguy, ce cousin d'Amérique qui a sa plaque sur le mur de l'ancien Bazar, devant l'entrée de l'église.

Dans le Connecticut

La rencontre et la liaison avec Peggy Guggenheim, en 1930, va conduire le peintre vers d'autres cieux : la richissime mécène (dont le père était mort dans le naufrage du Titanic) s'entiche du Breton taciturne et l'expose à Londres. Il commence à vendre ; il divorce et épouse une artiste américaine, Kay Sage. Aux États-Unis, il conserve son univers intact et jouit d'un prestige et d'une aisance inespérée. Kay Sage l'écarte prudemment de New York et de ses tentations alcoolisées (qui le conduisent parfois à manger des araignées et à sortir le couteau pour trancher un débat). Tanguy, naturalisé américain, passe des fantômes cartilagineux aux structures minérales. Il n'aura jamais été aussi fécond que dans sa grange du Connecticut, un atelier spacieux où il travaille de longues heures sur des toiles de plus en plus grandes, comme un peintre de la Renaissance.

Daniel Morvan.

 Fils de marin, il se destinait à la mer. À la mort de son père, il fut d'abord élevé à Pont-Rousseau, avant de partir pour les Côtes d'Armor, dont les rivages imprègnent son œuvre. Au lendemain du centenaire de la naissance de l'artiste, le livre des éditions Palantines apporte l'éclairage français et américain sur ce peintre à double nationalité. Avec analyses, biographie détaillée et 130 reproductions venant des plus grandes collections.


‎vendredi‎ ‎21‎ ‎décembre‎ ‎2001
985 mots

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